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"Prendre conscience de soi, est-ce devenir étranger à soi ?" (Bac blanc lycée naval de Brest, décembre 2023)

Publié le 17 Décembre 2023, 14:52pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés), #Dissertations d'élèves

"Prendre conscience de soi, est-ce devenir étranger à soi ?" (Bac blanc lycée naval de Brest, décembre 2023)

Proposition de traitement par Lubin Garino, T3, lycée naval de Brest, bac blanc décembre 2023

 

Lorsque l’on prend conscience de soi, on revient au monde, c’est-à-dire autre chose que soi. Mais qu’est-ce que le moi ? Blaise Pascal, considéré par la majorité aujourd’hui comme l’un des plus grands philosophes, donnait la description du moi comme une entité spirituelle et physique se posant face à l’altérité, c’est-à-dire à l’autre. En effet, depuis des millénaires l’Homme tente de se définir de par ses facultés et ses caractéristiques.
Qu’est-ce au juste que la conscience ? La conscience de son étymologie, cum scire (avec savoir), indique la réflexivité de l’Homme par rapport à ses connaissances, à ce qu’il est, et au monde. Mais, dans une dimension abstraite, est-ce que, dès lors que l’on "prend" conscience de soi, on "devient" comme étranger à soi-même ? Le soi peut être défini comme la symbiose entre la chose étendue, res extensa en latin, et la chose pensante, res cogitans. Il est certain, le soi est défini comme une entité physique et spirituelle. Une sorte d’entité métaphysique. Depuis son apparition sur Terre, l’Homme se définit bien souvent par ce qui lui ressemble et ce qui lui est étranger. Par ailleurs, l’Homme pose autrui comme étranger par rapport au référentiel de la société, entre autres : tout ce qui ne lui ressemble pas du point de vue de ses croyances.
Aristote, philosophe, penseur et homme politique de la Grèce antique disait dans Les Politiques : « Zoon politikon logon ». Il considère l’homme comme un animal politique ; selon lui l’Homme n’est rien dès lors qu’il sort de la cité. Le terme "prendre", lui, représente l’action de s’approprier, et de sortir de notre condition d’Homme par une élévation et le terme "devenir" peut induire une volonté de changement volontaire ou involontaire sur une échelle de temps définie par celui-ci.

 

Cependant, on peut s’interroger : de par notre histoire, l’homme possède-t-il une conscience subjectivement objective ? S’il existe dès lors qu’il prend conscience qui est-il ? Sommes-nous ce que nous voulons être ? Encore une fois, qu’est-ce que le moi ? "Prendre conscience de soi, est-ce devenir étranger à soi ?" Or, de par ce raisonnement sceptique de remise en cause et de problématisation du sujet, une question bien précise en découle : faut-il s’approprier notre corps et esprit, afin de se considérer comme différent de notre propre personne ?

De par le biais de trois interrogations globales, la réponse apportée se subdivisera en plusieurs axes. Dans un premier cadre, nous verrons par quels moyens l’Homme s’élève vers une dimension supérieure par la réflexion. Puis, il sera intéressant de se demander s’il faut vouloir cette élévation vers la déification de notre pensée, par un raisonnement hypothétique. Et enfin, nous terminerons par le rapport entre la conscience et le sujet.
En effet, tous ces thèmes propres à l’Homme et lui permettant sa propre définition introspective seront détaillés dans le but de donner un sens à son existence. Kant disait dans sa Logique : « On n’apprend pas la philosophie, on n'apprend qu’à philosopher ». Il est donc libre à chacun de s’attribuer sa propre définition de son existence, car elle-même subjective.

 

 

 

L’Homme s’élève par certains moyens vers une dimension supérieure, vers la réflexion. 
L’homme, s’élève vers le supérieur et le divin par la réflexion de son corps et de son esprit. Il est ce qu’il n’est pas et s’assujettit à lui-même afin d’en améliorer sa propre perception. Dans La Raison dans l'Histoire d’Hegel, il est explicité que l’Homme n’a conscience de ses actes qu’après les avoir commis: « Lorsque l’Homme rentre dans l’histoire, il n’a pas conscience dans l’instant présent qu’il y rentre. » L’esprit, spiritus (dérivé de spirare, « souffler »)  en latin, nous est propre à chacun et concorde avec nos plus profondes convictions intimes. Il est certain que si l’Homme s’élève vers une dimension supérieure, la raison en est son esprit et sa psyché, plus que sa physiologie, physis désignant l’apparence, la nature première.
Depuis des siècles, nous nous élevons au-dessus de nous par l’apparence que nous donnons. Dans le Léviathan, Thomas Hobbes dit : « homo homini lupus ». C’est-à-dire que l’homme est un loup pour l’homme. De par son apparence, l’Homme est capable de rendre un individu, de par la parole et son comportement, comme "étranger" à lui-même. Les croyances de l’Homme, (tout ce que l’Homme pense par convictions ou foi, sans pouvoir le prouver par l’affirmation de preuves tangibles) le définissent en tant que soi et personnage. Ces convictions profondes sont si fortes que le sujet en tombe dans le fanatisme, prêt à affirmer son soi au-delà de la raison et de la morale.
Enfin, L’Homme se différencie de l’animalité et possède une identité spirituelle, spiritus, de par les deux types de consciences qui l’élèvent au-dessus de son corps. La conscience végétative est, elle, innée et représentée par la réponse biologique à trois facteurs : se reproduire, se nourrir, éviter le danger. Cependant, l’Homme en se définissant comme le moi (ce qui permet à chacun d'entre nous de se sentir singulier et distinct d'autrui), prend une dimension supérieure. La conscience réflective permet l’aboutissement de la sociologie (science des comportements et sociale de nos interactions). Nous nous posons face à notre condition sociale et nos relations en tant que sujet. (Le sujet est à la fois ce qui est objet de la pensée et de la connaissance, et le support de certaines autres réalités). De plus, la conscience morale permet l’abstraction, chez les es hommes et les femmes, de leurs folies, par la distinction entre le bien et le mal. J.- P. Sartre décrit cette dualité de la conscience dans L’Être et le Néant : « Le caillou n’espère pas car il vit stupidement dans un perpétuel présent ». Ce qui distingue l’Homme de l’objet, est pour Sartre sa capacité à se projeter dans le futur et à se représenter le temps.

 

Malheureusement ou non, l’Homme de par cette élévation, peut se trouver malheureux et déchu face à la vérité (la vérité peut être définie comme l’adéquation entre un jugement et la réalité). Afin de favoriser le bonheur par l’ignorance, il est capable de subvenir à sa propre condition.

 

 

Notre pensée peut s'élever vers la déification et le supérieur à l’Homme.
Par quels moyens sortons-nous de notre condition d’homme ? La religion, religare en latin, signifiant rassembler et relier (définition donnée par Lucrèce), permet à l’Homme cet accès psychique à cette élévation. Il est certain qu'elle lui permet le bonheur à travers la méditation. Selon Karl Marx, dans Pour une critique de la philosophie du droit d’Hegel, « La religion est l’opium du peuple ». Elle est ce qui le rend heureux, par la foi et ce qui le conduit à sa propre perte. L’Homme a toujours mis en corrélation la religion et lui même, que cela soit dans n’importe quelle société et à tout âge. Selon Karl Marx, l’assujettissement de l’Homme à la religion lui permet de se définir avec les autres dans un cadre commun et fictif. Dans le même ouvrage, il explique implicitement la dépendance de l’Homme à la religion et de la religion à celui-ci par le fait que, « C’est l’Homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’Homme ». l’Homme sort de ses conditions biologiques par la représentation physiologique et physionomique du spirituel.

 

Mais, dans une autre mesure, est-ce que l’Homme est au centre des ses actions, par ce qu’il est ou ce qu’il pense ? Selon Descartes dans le Discours sur la Méthode, la faculté de cogito, de l’Homme, c’est-à-dire de la pensée (Descartes ayant inventé en son temps ce terme), le définit en tant que soi. En effet, sa citation la plus célèbre est : « cogito ergo sum », je pense donc je suis. L’Homme possède donc un but crucial à devenir étranger à lui même (ce qui peux être considéré comme péjoratif), puisque cela lui permettrait de redéfinir sa propre identité.
Dans le célèbre film sorti en 2000 de Mary Harron,
American Psycho, Christian Bale rentre dans la peau de Patrick Bateman, un homme en apparence parfait de par son corps, ses possessions et ses fonctions mais qui se révèle être un psychopathe. Une des phrases marquantes prononcées lors du début du film, lorsqu'on le voit faire sa toilette et son entraînement est : « I exist by others, but I am simply not there ». Sa pensée est ailleurs de son corps comme dissociée de son propre sujet. Grâce et à travers cette critique que la réalisatrice fait de cette société d’apparat (scène des cartes de visites, assassinat de Paul Allen, testaurant prestigieux ‘’The Dorsian’’), on retrouve bel et bien la différenciation du soi entre corps et esprit. L’esprit est permanent au regard l’apparence et du physique, qui ne sont, eux, qu’éphémères et fanent avec le temps ou les maladies. Finalement, il faut considérer l’Homme au centre de ses actions par ses représentations qu’il en a et non les faits. C’est ainsi cela qui distingue le soi de l’étrangéreté.

 

Peut-être qu’en déduction, au sujet de l’élévation de l’Homme, ce qui le distingue entre savoir, physique, et psychique, n’est que poussières. D’un autre point de vue, peut-être aussi que l’Homme possède la capacité de s’élever au-dessus de tout grâce au rôle du philosophe. Prenons l’exemple de ‘’l’allégorie de la caverne’’ chez Platon dans La République. L’Homme est enfermé dans une caverne et piégé par sa perception et ses cinq sens (le toucher, le goût, l’odorat, la vue et l’ouïe). Le penseur explique qu’afin de s’échapper, il est nécessaire d’abandonner toute perception et de prendre le contrôle absolu de son esprit. Cependant, selon Platon, et cette illustration de nos sociétés, dès lors que l’Homme parvient à s’échapper de cette caverne, la solitude l’emporte et il ne peut résister à cette volonté d’y retourner. Dans une idée plus approfondie, toujours selon Platon, si cet Homme libre vient à retourner dans cette caverne, dans l’objectif de sauver ses confrères piégés, il se fera tuer par eux-mêmes. Finalement, cette allégorie représente bien le rôle du philosophe dans nos sociétés mais elle reste assez pessimiste, voir dystopique.

 

 

Par cette dualité de la conscience, le sujet parvient à affirmer ses croyances. 
Le sujet est celui qui est défini comme personnage de l’action et central. Quel est le rapport entre la conscience et le sujet ? On constate avec certitude un rapport entre la conscience et le sujet, mais lequel ? Revenons sur l’altérité, qu’est-ce ce qui est différent de nous, mis à part la perception de nos cinq sens ? Qu’est ce que l’autre moi ? Selon Hegel, dans La Phénoménologie de l’Esprit, de 1807, lorsque deux sujets veulent se poser en maître, deux consciences s’opposent. Selon sa ‘’dialectique du maître et de l’esclave’’, « dès à présent qu’un rapport à l’autre s’installe, deux consciences s’affrontent, l’une en ressortira victorieuse et l’autre vaincue ». On peut en déduire que le sujet et donc, le moi, dépend de la conscience qui le définit. Cette conscience universelle de la croyance n’est en réalité que subjective. Cependant, afin de devenir maître de sa conscience l’Homme peut utiliser à ses fins des principes rusés voir immoraux. C’est le cas de l’hypocrisie, de son étymologie, hypo cratos, prendre le pouvoir du dessous. Encore une fois on remarque par évidence une corrélation entre la prise de pouvoir et la prise de conscience de soi. La polysémie du terme "prendre" (action de saisir ou de contrôler) induit-elle la nature de l’Homme comme mauvaise ? Peut-être que l’Homme en voulant "devenir", subsiste étranger à lui-même. Sûrement, en outre, que devenir soi et s’imposer aux autres est devenir autre que soi.

 

L’être humain croit en ce qu’il voit, et non en ce qu’il sait. Selon Hume dans le Traité de la nature humaine, la croyance se distingue en deux catégories, la croyance forte le sujet possède une dimension supérieure à l’Homme et la croyance faible l’Homme est plus important que le sujet. En effet, ce flottement sémantique de la croyance diverge selon les opinions et peut être différent en fonction de notre perception. Dans le film Fight Club, de David Fincher, le personnage principal devient assujetti à sa propre conscience de par la schizophrénie et la perception qu’il a de son alter ego, Tyler Durden.
Par exemple, c’est le cas dans la scène de fin, lorsque il se bat avec lui-même, puis se tire une balle dans le cou, prêt à mourir par reprendre le contrôle de son être. Entre autres, il s’élève au-delà de la société par la représentation qu’il a de lui-même et de sa propre identité. Lui est timide, matérialiste et soumis aux mœurs et règles. Tandis que, Tyler Durden représenté par Brad Pitt est, lui, extraverti, déviant, et vit un tout avec un rien. C’est en devenant étranger à lui-même qu’il devient soi-même. C’est en doutant qu’il prend conscience de qui il est vraiment. De par le verbe douter,
dubitare en latin, il pose une entité divine comme source de sa tromperie, ainsi que de sa folie. D’après le ‘’Malin Génie’’, expression employée par Descartes, soit cette tromperie de nos sens et de notre perception régulière, nous devenons ce que nous sommes vraisemblablement, c’est-à-dire notre conscience, étrangère à nous-mêmes. L’Homme doit être "métamorphe" à sa propre identité afin de s’en emparer (c’est-à-dire qu’il doit être l’ensemble de son existence passée et présente pour pouvoir s’affirmer).

 

Bruce Lee disait avoir comme philosophie : « Be like Water ». Si tu souhaites devenir, le moi, prends la forme de ce qui t’entoure. L’eau est amorphe et prend la représentation de ce qui l’entoure. Bruce Lee utilisait pour illustration de cette citation l'image d'une tasse et d'un verre. Lorsque la tasse se remplit d’eau, celle-ci prend la forme de la tasse, lorsque le verre se remplit d’eau, l’eau prend la forme du verre. Cette métaphore et représentation du moi, peut être explicitée par l’ubiquité des stratégies guerrières dans nos sociétés, un concept propre à l’Homme.
Afin que le sujet possède un rapport avec la conscience, il ne faut être rien. Lors du chapitre 1 de
L’Art de la Guerre, de Sun Tzu, écrit au cinquième siècle avant Jésus-Christ, la représentation de la conscience du guerrier est décrite par cinq principes fondamentaux  :  la vertu, le climat, la topographie, le commandement, et l’organisation. Une célèbre citation de ce même chapitre permettrait d’exprimer la domination de sa conscience sur la conscience de l’adversaire, à travers la pensée, en devenant étranger à soi-même : « On le regarde, on ne le voit pas, on le nomme l’Invisible ; on l’écoute, on ne l’entend pas, on le nomme l’Inaudible ; on le touche, on ne le sent pas, on le nomme l’Impalpable ».
Finalement, le rapport entre la conscience et le sujet est un rien faisant un tout. Afin de procéder à cette élévation, il faut se poser en tant que maître, le tout par la conscience réflective et la conscience morale.

 

 

Ainsi, l’Homme est un animal politique, étant représenté par la collectivité, mais aussi, par l’individualisme de la pensée ; il est étranger à sa condition. Le sujet : « Prendre conscience de soi, est-ce devenir étranger à soi ?» n’attend aucune réponse universelle mais uniquement des réponses subjectives car l’Homme n’est que sa conscience dans son élévation, qui est elle-même subjective.
Cependant, il faut assurément s’approprier notre corps et esprit, afin de se considérer comme différent de notre propre personne sous peine de devenir la conscience d’un autre et de ne plus pouvoir se définir. Il ne faut ni prendre conscience de soi, ni devenir étranger à soi, si nous voulons rester qui nous sommes vraiment. Suis-je ? Sommes-nous ? Des concepts abstraits sans réponses cartésiennes, dans le but d’amener l’Homme à ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire étranger à soi.

 

 

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