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"Etre sujet-est-ce être autonome ?" (copie 2)

Publié le 2 Avril 2024, 17:43pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés), #Dissertations d'élèves

"Etre sujet-est-ce être autonome ?" (copie 2)

Proposition de traitement par Morgane Lagathu, TS1, Saint-cyr 2011-2012. 



Chaque Homme se différencie d’un objet – « ce qui est jeté devant » – par le fait d’être un sujet. Sujet provient du latin « subjectum » ce qui signifie « ce qui est jeté en dessous ». On assimile le fait d’être sujet avec le fait de posséder une conscience. La conscience, selon Alain dans ses Définitions philosophiques est « le savoir revenant sur lui-même et qui prend pour centre la personne humaine elle-même qui se met en demeure de décider et de se juger ». L’Homme est doté de la capacité de décider et donc de faire des choix. Le choix est un droit qui fait appel à notre raison. Certaines opportunités sont en effet judicieuses à choisir. Or, la raison suppose que le sujet doit être en mesure de juger ce qui est bon ou mal pour lui. Elle lui permet ainsi de créer ses propres lois qui lui permettront de choisir. Créer ses propres lois est le fait d’être autonome.

Ainsi, peut-on dire qu’ « être sujet, c’est être autonome » ? 

Qu’entend-on par être sujet ? Quels types de sujets peuvent accéder à l’autonomie ?

Qu’est-ce qu’alors l’autonomie ? Doit-on être libre pour être autonome ? L’autonomie existe-t- elle réellement ? En étant totalement libre, le sujet serait-il autonome ? Son sens moral leluipermet-il ?

Ayant distingué les sujets pouvant accéder à l’autonomie, nous saisiront les sens – l’essence – de ce terme pour étudier son (in)conditionnement et son rapport avec la liberté.

Enfin, nous chercherons les critiques que l’on peut adresser à l’autonomie.

Pour finir, à supposer que nous pourrions être autonomes, doit-on l’être ou bien doit-on ignorer notre raison et ne vivre que selon les règles de société ?

Nous trouvons au nom sujet cinq sens différents. En premier lieu, nous distinguons le sujet grammatical où un sujet ou objet est attaché à un verbe. Par exemple dans la phrase «  ma bouteille d’eau est sur la table » la bouteille d’eau est sujet. Cette douce illusion donnée par le langage est dénoncée par Nietzsche lorsqu’il dit dans le chapitre 16 paragraphe 7 de La Volonté de Puissance écrit en 1895 « On suppose des choses et leurs activités et nous voilà bien loin de la certitude immédiate ». Or, « être sujet » peut-il se rapporter à un sujet grammatical ou devons-nous trouver d’autres sens au mot sujet ? « Etre sujet n’est-ce pas avant tout « être » et donc penser selon la célèbre parole de Descartes « Cogito ergo sum » ? Il nous paraît évident qu’étudier le sujet en tant qu’objet - par exemple le sujet d’un devoir – ou le sujet au sens grammatical n’a pas de sens ici car pour « être autonome » il faut d’abord posséder une conscience.

« Sujet » peut également faire référence à un être dominé qui serait « jeté en dessous » de son dominateur. Selon Pierre Corneille, un sujet doit obéir à un pouvoir qu’il aurait choisi. Dans son œuvre Agesilas paru en 1666 celui-ci différencie la Perse et la Grèce par le fait que la Grèce possède « des sujets » contrairement à la Perse. Il dit en effet « En Perse il n’y a point de sujet […] la Grèce a de plus saintes fois, elle a des peuples et des rois qui gouvernent avec Justice ». « Etre sujet » ne serait-ce pas plutôt dans le sens politique assujetti à un autre ? Selon Michel Foucault, dans son Cours au Collège de France, le sujet politique est en effet créé par des relations d’assujettissement effectives. Une personne dominée peut-elle être autonome ? Etre dominé c’est avoir un maitre – du latin dominus – i.e être soumis à son autorité et à ses lois. Il faut lui obéir sous peine d’être réprimandé. Etre dominé par un autre est donc être dépossédé de toute liberté, de toute autonomie. D’après l’article 1 de La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Les sujets – au sens de sujets du roi – deviennent alors des citoyens. Dans le livre 2 chapitre 2 de L’Esprit des lois paru en 1758, Montesquieu stipule que «  Le peuple, dans la démocratie est, à certains égards le monarque, à certains autres, il est le sujet. ». Rousseau distingue également le fait d’être citoyen du fait d’être sujet dans le chapitre 8 du livre 1 du Contrat social publié en 1762 en disant que «  le sujet est celui qui obéit alors que le citoyen est celui qui légifère ». Nous pouvons donc établir une différenciation certaine entre le sujet et le citoyen. Ce dernier est en effet celui qui établit et discute les lois alors que le sujet les applique. Le citoyen possède des droits – jus en latin - mais également des devoirs ce qui fait de lui «  à certains égards […] le sujet ». « Jus » signifie également justice. Il est donc nécessaire de considérer qu’il est juste d’avoir des droits.

« Sujet » est aussi le nom qui met en évidence la substance – substare en latin ; upokeimenon en grec. La substance est ce qui subsiste inchangé, ce qui demeure en soi malgré les changements physiques que l’on appelle accidents. Elle est l’essence de chaque être – son âme –, ce qui est insaisissable au contact de l’être considéré. Quand Descartes écarte de la cire tout ce qui lui est inessentiel et qu’il proclame « elle est quelque chose d’étendu, de flexible et de muable » ne devrions-nous pas plutôt penser que les expériences réalisées - afin d’arracher à la cire ses prédicats – ont dénaturé sa substance ? Si nous tentons de faire de même avec un être humain, n’obtiendrions-nous pas la mort de celui-ci plutôt que la définition de la substance de cet être ? Pour Aristote, la substance qualifie chaque chose alors que pour Descartes il existe une substance souveraine. Selon lui, l’Homme doit être « maître et possesseur de la nature » dans Le Discours de la méthode (chapitre 5). Leibniz dans La Théodicée marque la rupture totale avec Aristote. Est qualifié de substance seul les membres de l’espèce humain. Ainsi pour se référer à Heidegger, la subjectité – le fait qu’il y ait un Etre suprême – est remplacée par la subjectivité : l’Homme prend comme par un coup d’Etat le droit d’être sujet et s’accorde un pouvoir de domination sur toute chose. Il est un étant. Or selon Nietzsche, dans La Volonté de Puissance, le fait de se subjectiver n’est qu’un caprice, un égocentrisme extrême de l’Homme. Qu’est-ce qui pourrait en effet différencier le sujet de l’objet ? Qu’est-ce qui m’atteste que mon chien n’a aucune capacité de réflexivité ? Nous attribuons à la substance humaine le fait d’avoir une conscience. Qu’est-ce alors que la conscience ? La conscience est la capacité à se penser soi-même – cum-scire, penser avec en latin – et donc à avoir une capacité de réflexivité. Il existe trois niveaux de la conscience. Premièrement la conscience végétative – immédiate – qui est propre aux êtres-vivants. C’est l’instinct de survie appelé aussi cerveau reptilien chez l’Homme. Deuxièmement, la conscience réfléchie, possédée par l’Homme, est définie par notre capacité à observer le monde, à établir des lois physiques et de ce fait à « penser » le monde. Le stade ultime de la conscience est la conscience morale. Celle-ci n’est pas possédée par tous, elle est relative aux définitions du Bien et du Mal et est nécessaire pour être autonome. Un tueur en série n’a pas de conscience morale et par conséquent ne peut être autonome : il n’obéît à aucune lois. Par cette forme de conscience, nous nous devons de répondre de nos actes devant autrui – d’être responsables. Sommes-nous donc « condamnés à être libres » comme le dit Sartre ? Cette citation suppose que l’Homme peut faire ce qu’il veut et donc pouvoir accéder à une autonomie s’il le désire. En effet, il peut réguler sa vie avec certaines lois ou au contraire vivre sans lois. Dans ce cas, il devra néanmoins répondre de son mode de vie devant l’altérité.

Par conséquent, nous pouvons déjà objecter à notre problématique qu’un sujet grammatical, un sujet en tant qu’objet et un sujet politique – soumis – ne peuvent en aucun cas être autonomes car l’autonomie suppose d’être libre et donc de ne dépendre que de soi à l’image du modèle de l’absolu. Comment définir alors l’autonomie ? Est-elle une forme d’absolutisme ?

Autonome provient du grec autos et nomos – autos signifiant soi-même et nomos signifiant loi. Ainsi être autonome c’est se donner ses propres lois. L’autonomie fait donc appel à une capacité morale qui ferait de l’Homme un être sage pouvant connaître les limites de ses droits et reconnaissant ses devoirs. Dans la pièce de théâtre Antigone de Sophocle Créon et Antigone agissent en tant que personnages autonomes. En effet, Antigone désobéit au roi Créon pour enterrer son frère ayant trahi la cité et étant mort aux côtés de l’ennemi. Elle respecte ainsi ses devoirs envers les Dieux au risque de recevoir un châtiment. Elle fait donc appel à la moralité divine. Créon est autonome par principe – c’est le roi – et obéit à ses devoirs envers la cité : il donne à la mort aux traîtres (le frère d’Antigone et Antigone elle-même). Ici, nous ne sommes pas dans le contexte d’une moralité divine mais d’une moralité relative à la protection de la cité. Il existe donc des autonomies différentes, chaque être étant doté de convictions différentes. Comment peut-on devenir autonome ? L’autonomie n’est pas, à l’inverse de la conscience, inhérente à soi-même – on parlerait alors d’une autonomie idéale. Elle est forgée par les règles de vie en société. Nous savons que notre liberté « s’arrête là où commence celle des autres », nous sommes libres sans l’être réellement. Notre liberté est restreinte. Nul ne peut disposer d’un autre sans son consentement et cet accord suppose une entente particulière. De cette façon, tout sujet au sens philosophique de la substance dominante se révèle autonome car chacun se forme son propre mode de vie, ses priorités. Un bon élève malade ne se permettrait pas de rentrer chez soi au vu d’examens importants alors qu’un autre, plus négligent envers les cours, irait sans scrupule s’endormir chez lui. Pourtant, ils sont tous deux autonomes – étant ici libres de leurs actes – et ont tous deux raisons dans leur manière d’agir. Comment peut-on alors demeurer autonome, pourquoi ne pas cesser de l’être ?

Etre autonome suppose une liberté, nous sommes donc tous autonomes grâce à notre conscience. Cependant, sommes-nous vraiment autonomes ? Notre liberté n’est-elle pas qu’une simple illusion ? Qu’est-ce qu’alors la liberté ? La liberté – de liber en latin – nous offre idéalement la possibilité de faire absolument tout ce que l’on désire, c’est le modèle d’une vie parfaite. Mais la liberté ne serait-ce pas alors une régression à l’animalité et à la disparition de tout devoir ? Etre libre serait alors être, à longue échéance, dépourvu de droits car tout autre pourrait abuser de ses droits en supprimant ceux d’un autre voire en lui retirant la vie. Si la liberté est donc la possession de tous droits, elle est alors relative à l’animalité. Ce que nous entendons humainement parlant par liberté c’est donc de posséder droits et devoirs combinés afin de se donner une vie meilleure et plus longue. Nous possédons tous cette liberté fausse et illusoire qui tente de nous faire croire que nous pouvons faire ce que l’on veut même si nos droits sont en quelque sorte conditionnés et décidés par la loi. J’ai le droit de préférer une marque par rapport à d’autres mais je n’ai pas le droit de tuer une personne même si je le voudrais. Ainsi, un sujet ne peut être autonome que par rapport à une réalité qu’il peut choisir. C’est le domaine de la raison. Dans Souviens-toi l’été dernier , un homme, renversé par une voiture et jeté à la mer par des jeunes gens qui le pensaient mort, se venge en les tuant un par un. Il n’est pas dans le domaine de la raison au sens juridique car, sur Terre, la vengeance doit être rendue par la Justice. Il aurait été plus raisonnable d’aller porter plainte. Cet homme n’est donc pas autonome bien qu’il agisse selon son désir de vengeance. L’autonomie n’étant relative qu’à ce qui est inconditionné, il n’agit pas en tant que personnage autonome. Il faut en effet vivre selon les règles de la société avant de pouvoir vivre selon un mode de vie plus restrictif et plus moral afin d’accéder à l’autonomie. Ainsi, pour être autonome, il faut donc avoir des droits et pouvoir choisir entre deux possibilités légales – c’est-à-dire qui sont acceptées par la Loi.

Néanmoins l’autonomie étant en corrélation avec la raison, est plus autonome l’Homme qui choisit entre deux possibilité légitimes – c’est-à-dire qui sont définies comme bénéfiques du point de vue de la morale – du Bien et du Mal. L’Homme autonome refuse le Mal au nom de Dieu ou au nom de la société. Il faut donc avoir une conscience morale pour être autonome du point de vue d’une autonomie quasi idéale alors que le plus bas degré de l’autonomie n’a besoin que d’une conscience réfléchie. L’autonomie existe-t-elle réellement ou n’est-elle, comme la liberté, qu’une illusion ?

L’autonomie met en avant le problème de la transparence à soi-même. En effet, un Homme n’est autonome que s’il est le maître de soi-même c’est-à dire qu’il est « Un Empire dans un Empire » selon les thèses de Descartes ou « un pilote dans son navire » pour convoquer une image socratique. Or, la transparence à soi-même avait déjà été mis à mal par les dires de Hume qui dénonçait le fait que nous ne sommes que le réceptacle de flux de données par nos sens selon les thèses empiriques mais également qu’il existe en nous ce que Freud appelle – bien après Hume – pulsions. L’Homme est, pour Freud, empli de pulsions inconscientes. Pour lui « le Moi n’est pas le maître dans sa propre demeure car « ça » pense en moi » et ainsi nous ne serions pas libres de nos actes car nos pulsions – Eros et Thanatos – tentent de nous entraîner hors de notre volonté première. Comme l’a dit Bernard Henri Lévy dans le journal Libération du 8 octobre 2007 : « On écrit avec son intelligence et son inconscient ». Cela montre que, par la sublimation – qui est le déplacement des insatisfactions pulsionnelles dans le domaine artistique – l’Homme exprime son inconscient. Or, l’inconscient pose un problème épistémologique – relatif aux démonstrations scientifiques – comme le dénoncent Claude Bernard et Karl Popper. En effet, si « L’inconscient est ce qui s’énonce à l’insu du sujet » comme le dit Vincent Descombes dans L’Inconscient malgré lui comment prouver alors qu’il existe ? Néanmoins, si l’inconscient existe, la seule façon d’être autonome est de faire du Moi – la conscience – le maître et de parvenir à dominer le « ça ». En effet, on ne peut pas être autonome si l’on n’est pas libre ; or si nous sommes dominés par nos pulsions nous ne pouvons pas prétendre accéder à la liberté et de ce fait encore moins à l’autonomie.

De plus, pour adresser à l’autonomie une ultime critique, nous sommes forcés de constater que l’Homme n’est pas une créature du Bien. L’Homme est en effet « Un loup pour l’Homme » comme le signale de nombreux auteurs comme Hobbes dans Le Léviathan. Nous pouvons par ailleurs remarquer que notre substance humaine a subi de nombreuses déchirures et blessures pour citer Frédéric Passy : « L’ogre de la guerre a le plus longtemps dévoré le plus pur de la substance de l’Humanité ». Les guerres, les génocides, montrent en effet que l’Homme est en quelque sorte voué à sa propre destruction. Or si l’Homme n’est pas raisonnable par principe, comment pourrait-il être autonome ? Nous pouvons reprendre l’exemple du Mythe de Gygès dans la République de Platon où le berger, devenu invisible grâce à l’anneau magique tue le roi et lui prend sa femme. Ainsi, si ce n’est que autrui qui nous incite et oblige à être raisonnable et respectueux des autres, l’Homme ne peut être autonome sans autrui et donc ne peut être autonome car l’autonomie est du domaine de l’inconditionné. Par conséquent, « autonome » revient à dire que l’Homme est vertueux et distingue de lui-même le Bien du Mal. Pour Kant, la vertu est impossible à atteindre : elle représente un idéal. En effet, celui qui veut être vertueux ne peut l’être car il le désire et une personne vertueuse est fière de l’être or la fierté n’est pas une vertu donc cette personne n’est pas vertueuse. L’autonomie devient alors un idéal et absolue. Sa quête est comme la quête d’une vertu, elle nous rapproche du modèle de Dieu qui, pour citer Kant, « n’est pas une substance extérieure mais une relation morale en nous » dans les Ecrits Posthumes. Qu’est-ce que la vraie morale ? Selon Pascal « la vraie morale se moque de la morale ». L’Homme est donc perdu sur Terre avec un modèle divin qu’il a lui-même créé pour se rassurer selon les thèses freudiennes. De ce fait, l’autonomie idéale n’existe pas et ne peut être atteinte par l’Homme. Elle est comme la liberté – illusion – et comme la vertu – idéale.

Aucun sujet ne peut donc être autonome, car l’autonomie inconditionnée n’existe pas. Néanmoins, l’Homme doit garder l’autonomie comme modèle et tenter de s’en rapprocher. C’est la raison d’être de la mauvaise conscience où le juge intérieur est une « puissance qui veille en nous sur les lois » selon Kant. La conscience nous inculque les lois de notre société et le respect de ses lois est ce que l’on appelle autonomie qui se différencie alors de l’autonomie idéale et inconditionnée.

Nous nous devons donc d’écouter notre raison, de tenter de se créer d’autres lois – plus nobles que celles dictées par notre société afin d’être une sorte de « plante céleste » pour évoquer Platon. Nous devons pour cela ignorer les pulsions de notre inconscient qui est un « mauvais ange, diabolique conseiller » selon Alain.

Ainsi, le sujet en tant que substance et le sujet en tant que sujet politique dans la démocratie peuvent être autonomes. Néanmoins, cette autonomie se différencie d’une autonomie idéale car l’Homme n’est pas qu’une créature du Bien mais également une créature reptilienne. Nous devons cependant garder l’autonomie idéale comme modèle suprême de l’Humanité afin de tenter de rendre l’Homme bon envers son prochain et de permettre la vie en société. Nous pourrions de plus nous demander si la religion n’est pas un moyen de rendre l’Homme autonome et responsable en le faisant obéir à une morale formée par l’Homme mais non dictée par la vie en société c'est-à-dire non écrite dans la Loi.

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