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"La religion est-elle asservissante ?" - "Tu ne tueras point"(Mel Gibson, 2016)

Publié le 16 Décembre 2023, 21:32pm

Catégories : #Philo (exposés)

"La religion est-elle asservissante ?" - "Tu ne tueras point"(Mel Gibson, 2016)

Proposition de traitement par Grégoire Binard, lycée naval de Brest,  T2, novembre 2023


Caractéristiques (diapo 1):
Tu ne tueras point (Hacksaw Ridge) est un film de guerre australo-américain réalisé par Mel Gibson et sorti en 2016.
Nommé dans six catégories aux Oscars 2017, dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur, le film remporte deux récompenses : meilleur mixage de son et celui du meilleur montage.

Bande d’annonce (diapo 2):

https://www.youtube.com/watch?v=egCk2kE3HQI&usg=AOvVaw1b6GI1mjKThk2qIhtzln4f&opi=89978449

Résumé du film (diapo 2):
Desmond Doss, fils d'un ancien soldat de la Première Guerre mondiale, veut apporter sa pierre à l'édifice lorsqu'éclate la guerre du Pacifique lors de la Seconde Guerre mondiale après l’attaque des japonais sur Pearl Arbor le 7 décembre 1941. En tant qu'objecteur de conscience, il souhaite s'engager mais refuse de tuer ou de porter une arme au combat en raison de ses croyances adventistes. Après de difficiles négociations avec l'armée, il est affecté au poste d'auxiliaire sanitaire.
L'unité de Doss est affectée à la 77e division d'infanterie et envoyée sur le théâtre de la guerre du Pacifique pour participer à la bataille d'Okinawa (1er avril au 22 juin 1945) qui se déroule sur la colline de Hacksaw Ridge (titre original du film), qui peut se traduire par « L'arête de la scie à métaux »

Définition d’objecteur de conscience :  Jeune homme qui, avant son incorporation, se déclare, en raison de ses convictions religieuses ou philosophiques, opposé en toutes circonstances à l'usage personnel des armes.
L'objection de conscience est un refus d'accomplir certains actes requis par une autorité lorsqu'ils sont jugés en contradiction avec des convictions intimes de nature religieuse, philosophique, politique, idéologique ou sentimentale.

Analyse philosophique du film :
La religion est-elle asservissante ? Quelle autorité devons nous placer au-dessus de nous ? L’autorité religieuse ou l’autorité politique ? Refuser le port d’arme au cours d’une guerre au nom de la religion est-il un usage superstitieux (croire -venant du credere latin- à un certain présage favorable ou défavorable) de la religion ?

Nous allons tout d’abord procéder à une analyse linéaire du personnage de Desmond Doss en découpant le film en trois parties.

Premièrement, désigner Desmond Doss comme un objecteur de conscience, comme le font de nombreux résumés en ligne, ne reflète pas vraiment la réalité. En réalité, ce héros s'est porté volontaire pour intégrer l'armée américaine, contrairement à ce que suggère l'idée d'une conscription obligatoire. Son engagement repose sur des motivations nobles : il considère comme son devoir de défendre son pays et de se joindre aux autres jeunes dans le combat. Cette démarche ne correspond donc pas à la définition d'un objecteur de conscience, qui implique un refus explicite d'accomplir des actes requis par une autorité, alors qu'il s'engage de son plein gré et refuse d'accomplir des actes allant à l'encontre de ses convictions.

Néanmoins, malgré son choix volontaire, ce héros va strictement suivre le sixième commandement de sa religion, celui des adventistes du 7ème jour, qui stipule « Tu ne tueras pas » (Exode, 20,13). Il applique ce commandement en refusant catégoriquement de porter des armes. Sa volonté est de servir en tant qu'infirmier au sein d'unités combattantes pour sauver des vies, en étant au cœur des conflits. Il rejette lui-même l'étiquette d'objecteur de conscience, préférant se qualifier de « coopérateur de conscience ». Cependant, l'armée américaine cherche à le classer ainsi pour simplifier la situation, menaçant même de le renvoyer. Cela devient un point de conflit car, en s'engageant dans l'armée, il aurait dû se former à l'usage des armes, ce à quoi il refuse de se plier.

Cette tension va croître jusqu'à atteindre son paroxysme avec la cour martiale pour désobéissance, qui peut lui valoir une peine d'arrêts de forteresse. Le film décrit avec justesse chacune de ces étapes, illustrant la confrontation entre un objecteur de conscience et une autorité institutionnelle qui peine à comprendre ou accepter sa position.

Le conflit entre Desmond Doss et l'armée se décompose en 5 actes principaux :

Tout d’abord, Desmond Doss va invoqué une loi supérieure à celle des lois humaines, une règle qu'il ne peut enfreindre. De plus, il ne juge pas les autres, même ceux qui le sanctionnent. Il reste humble, un critère essentiel dans son discernement, accentué par son passé familial.

Ensuite, les autorités contestées vont se crisper, intensifiant pressions, brimades et violences injustifiées. Doss finit par être maltraité par ses camarades de régiment comme nous l’avons vu dans la bande d’annonce.

Cette situation se généralise ensuite souvent car les objecteurs de conscience se retrouvent isolés, confrontés à la rationalité collective qui les déclare « tort » dans leur refus de compromis. Même ses proches l'abandonnent. Surtout que certaine critique sont juste. En effet, le sixième commandement « tu ne tueras pas » signifie en réalité « tu ne commettras pas de meurtre.

Mais fidèle à ses convictions, Doss assume les conséquences de ses actions sans chercher d'échappatoire. Devant la cour martiale, il refuse de plaider coupable, privilégiant la vérité et la cohérence de sa démarche.

Finalement, l'armée consent à l'envoyer au combat. En étant ferme dans ses convictions, Doss s’affirme en tant que sujet selon la définition de Michel Foucault dans Dits et Écrits «Il y a deux sens du mot sujet : le sujet soumis à l’autre par le contrôle et la dépendance et le sujet attaché à sa propre identité par la conscience ou la connaissance de soi »

 

La seconde partie du film plonge directement dans les combats sur l'île d'Okinawa. L'unité de Doss doit conquérir une position stratégique en haut d'une falaise, déjà attaquée par plusieurs autres compagnies subissant de lourdes pertes.

Les différentes facettes du courage exposées élargissent la dimension humaine et morale du récit. Pour Doss, escalader la falaise avec les autres représente l'accomplissement de sa mission : prodiguer les premiers soins sous le feu ennemi, évacuer les blessés. Il tient bon malgré le repli de sa compagnie, restant une nuit entière en haut de la falaise, secourant les blessés abandonnés. Sa prière constante, « Seigneur, donne-moi la force d’en ramener encore un », pour avoir la force d'en sauver un de plus, répétée jusqu'au matin, lui permettra de sauver 75 vies au total. 

Sa détermination à avancer dans sa mission, méthodiquement et prudemment, même dans les pires conditions, incarne un vrai courage malgré une peur constante.

 

Mais ou Desmond trouve-t-il cette force de sauver tant d’homme en étant seule livré à lui même et dans un enfer impossible ? 

Ce film nous amène à nous poser beaucoup de questions de ce type et nous pouvons y répondre par la foi. En effet, la foi est une croyance en un dieu et aussi le fait de trouver une certaine force en ce dieu alors qu’il n’y a pas de preuves réels de son existence. Et comme le disais Pascal, « la foi est différente de la preuve ». Desmond Ross nous donne donc à voir un vrai témoignage de sa foi et de la force qui l’habite. Il se sent aimé par ce dieu et cela l’aide dans sa mission à accomplir ! Cette amour est marque dans la film par un objet qu’il a tout le temps avec lui, une bible. Cette bible représente les deux grands vecteurs d’amour de sa vie. L’amour d’un dieu et l’amour d’une femme. En effet, cette bible lui a été offerte par son amoureuse avant son départ pour la guerre et il y a une image d’elle dans la bible. Ces deux vecteurs d’amour représente donc toute la force qui l’anime.

La religion a donc une signification positive : elle peut être le moyen comme nous le montre le film de nous dépasser, c’est à dire aller au delà de soi.

Deux jours plus tard, la compagnie est renvoyée à l'assaut. L'exploit de Doss a radicalement changé la perception de tous à son égard. Mais épuisé, il est envoyé à l'hôpital de campagne. Son capitaine vient lui annoncer que la compagnie refuse de repartir sans lui. Cependant, cet assaut est prévu un samedi, jour du sabbat, un jour sacré pour les adventistes.
Doss hésite dans un premier temps, mais on le voit ensuite, au pied de la falaise, lisant la Bible et priant alors que la compagnie attend. Sa prière sous-entend une demande de pardon pour violer le sabbat, mais qui est motivé par son engagement envers ceux avec qui il se bat. Il rejoint ensuite ses camarades.

 

À la fin de la bataille, les Japonais semblent se rendre, mais c'est un piège : ils se suicident en provoquant le plus de morts possible dans les rangs américains. Une grenade tombe près de Doss; instinctivement, il la renvoie pour protéger les autres et lui-même, et se blesse dans l'explosion.

Cela pourrait-il prouver que ses convictions avaient une limite, celle de la légitime défense ? Ou est-ce une conséquence directe de la violation de son engagement ? La leçon dépasse ces considérations: Doss a consenti à sacrifier ses propres convictions non par faiblesse, mais pour remplir plus pleinement sa mission de secours auprès des hommes qu'il avait choisi d'accompagner. C'est une belle leçon d'humanité au milieu des horreurs de la guerre, une démonstration exemplaire de comportement moral, de recherche du bien à faire, ici et maintenant, guidée par la conscience. 

Le terme de « morale » vient du latin mores qui signifie « mœurs ». Elle désigne un ensemble de normes et de règles relatives au bien et au mal, propres à une société ou à un groupe. En philosophie, la morale tente de définir quelle est la finalité de l'action humaine pour en déduire des conduites à tenir.

 

Le film de Mel Gibson est véritablement un film sur « l'agir en conscience ». C’est à dire sur le fait d’agir en accord avec sois même et en accord avec ses convictions c’est à dire en vérité (adaequatio rei et intellectus est) avec toi même. Desmond est donc dans une posture de réflexion c’est à dire dans un rapport de soi à soi même.

Ce film nous interroge aussi sur la superstition qu’on peut faire vis a vis de la religion. La foi peut être interpréter d’un certain coté comme de la superstition. Il faut entendre par là une attitude naïve et irrationnelle attribuant de l'efficacité à des forces surnaturelles, susceptibles d’agir sur le déroulement des processus naturels, ainsi que sur le destin individuel.  La superstition est en particulier visible dans le fait que certaines critiques peuvent recéler une part de vérité : le commandement « tu ne tueras pas », en toute précision de termes, signifie « tu ne commettras pas de meurtre » et autorise la légitime défense. De sorte que ses amis et ses proches finissent par l'abandonner. Nous pouvons donc en déduire qu’une religion a des fondements commun aux hommes mais aussi des interprétations différentes et des applications diverses. Mais nous pouvons néanmoins expliquer cette application strict du commandement de dieu par les traumatismes que Doss a subit durant son enfance.

Mais lorsque la foi est le fruit de l'activité libre du sujet, lorsque la dépossession de soi correspond à une authentique expérience spirituelle qui élève et insuffle le sens du sacré, la religion peut indéniablement être une source d'inspiration favorisant l'épanouissement des facultés. Si, en plus, elle favorise le rapprochement entre les hommes, le travail incessant de distanciation critique à l'endroit des textes sacrés et de ses propres croyances, ainsi que l'ouverture à un progressisme moral, la religion, au lieu d'aliéner les hommes et d'en faire d'éternels mineurs, peut contribuer à leur pleine humanité.

 

Parallèle avec Les chariots de feu :

On peut mettre ce film en parallèle avec un film qui date de 1981, les Chariots de feux, réalisé par Hugh Hudson et avec un thème très célèbre réalisé par Vangélis. Ce film a lui aussi reçu de nombreuses récompenses.

Nous pouvons faire un lien entre les deux films pour s’interroger sur l’influence de la religion sur nos actions quotidienne. En effet, aux Jeux olympiques d'été de 1924 de Paris, l'Anglais Harold Abrahams, juif, doit surmonter l'antisémitisme et la barrière de classe pour pouvoir se mesurer à celui que l'on surnomme l'Écossais volant, Eric Liddell, au 100 mètres. Ce dernier, fervent pratiquant protestant presbytérien, déclare cependant forfait car ses convictions lui interdisent de courir un dimanche. À la place, Liddell est autorisé à prendre le départ du 400 mètres, un jeudi.

Je ne vais pas vous dévoiler la fin du film pour conserver un certain suspense mais il illustre très bien l’influence de la religion dans nos actions quotidiennes même si des lauriers et une victoire nous attends à coup sur. Cela rappelle donc comme dans tu ne tueras point, l’ubiquité de la croyance dans nos actions quotidiennes c’est à dire son omniprésence.

 

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