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Après, Tintin... Tintinades supplémentaires

Les "tintinades" sont les extraits d'articles ou de dossiers qui m'ont guidé dans le travai préparatoire à la rédaction d' Après, Tintin... Au départ, le roman comportait 7 tintinades insérées entre les divers chapitres de l'oeuvre. Mais, l'ensemble m'étant apparu finalement assez indigeste, je n'en ai conservé que 3. Le reliquat est présenté ici en exclusivité. 


Jean-Claude Jouret, Tintin et le merchandising, une gestion stratégique des droits dérivés
Bulletin des Bibliothèques de France 1992 - Paris, t. 37, n° 5
Louvain-La-Neuve : Académia ; Paris : Ed. du Cercle de la librairie, 1991. - 91 p. ; 24 cm. ISBN 2-87209-117-3 : 650 FB (Académia)
ISBN 2-7654-0473-9 :125 FF (Cercle de la Librairie)

par Emmanuel Proust

 
A première vue, on se dit : « Encore un livre rébarbatif sur le reporter le plus célèbre du XXe siècle ! » Mais si on prend la peine de lire le titre complet de cet ouvrage : Tintin et le merchandising : une gestion stratégique des droits dérivés, Mille sabords ! c'est l'évidence même, il s'agit bien d'histoire de gros sous et non d'histoires... Le lecteur n'est pas trompé sur la marchandise, Tintin est ici un prétexte, un exemple reconnu pour développer des propos bassement mercantiles !!! Pour ceux qui en doutent encore, le 9e art est une industrie, et le capital sympathique de ses personnages (à exploiter) peut devenir lucratif. L'art et la manière de s'y prendre, Jean-Claude Jouret, collectionneur de BD, licencié HEC (1) en sciences commerciales et consulaires, l'expose en quatre parties homogènes, riches d'exemples concrets, fruits de son expérience à la tête de la Fondation Hergé, d'administrateur de la Baran et aujourd'hui d'administrateur délégué de Tintin licensing.

Les valeurs de Tintin séduisent

En apportant précision et ordre dans cette jungle des droits dérivés, Jouret permet aux néophytes que nous sommes d'aborder un domaine jusque-là réservé aux initiés. Tintin et le merchandising commence par un véritable petit dictionnaire de mots « barbares », alignés en bon ordre sous forme de paragraphes didactiques : le merchandising est une « branche spécifique du marketing » et le character merchandising (qui n'a pas d'équivalent dans la langue de Voltaire) est simplement « la cession d'un droit d'utilisation de personnages - connus ou non -dans un cadre commercial afin de promouvoir les ventes d'un produit (...) L'évolution a mené ces cessions hors du cadre strictement publicitaire ou promotionnel ». En effet, « les personnages (...) ont vu naître la création de produits très divers à leur effigie ». Familiarisé avec le jargon par cette première partie, complétée par un bref historique, le lecteur peut aborder les chapitres suivants sans appréhension.


L'efficacité du style, les valeurs généreuses que véhiculent Tintin séduisent progressivement des secteurs aussi divers que les loisirs, l'informatique, l'agro-alimentaire, etc. Mais avec 144 millions d'albums vendus, Tintin n'est pas Mickey ! Les Etats-Unis et le Japon résistent à l'héroïsme belge, et si Tintin veut rester le phénomène de société que l'on sait en Europe, il paraît primordial de préserver son image de marque. A la mort d'Hergé en 1983, l'optique est de consolider et conquérir de nouveaux marchés, avec notamment en projet le film de Spielberg abandonné depuis*. Le merchandising Tintin, riche des acquis du passé, se dote d'une nouvelle structure pyramidale « cohérente et dynamique ».

 C'est l'occasion de définir un axe d'ensemble pour un merchandising fort différent, comprenant publicité, communication et nouveaux produits à l'effigie des personnages. Pour éviter tout débordement, « tous les visuels reprenant des éléments issus du monde de Tintin et utilisés à des fins commerciales devront désormais être extraits de l'œuvre telle que Hergé l'a créée ». Dans cette seconde partie, l'auteur tient en quelque sorte le rôle d'un cabinet-conseil, il aborde de façon rigoureuse les droits d'auteur et des marques, en prenant soin de différencier la Belgique de la France où de sensibles différences se font voir. Il est amusant d'apprendre que le « pirate » est peu réprimé : en revanche, Tintin souffre moins que Lacoste de la contrefaçon.


Jouret énonce aussi la règle d'or du merchandising : la qualité prime sur la quantité. Chasse gardée, toute demande de droits dérivés est soumise à une étude approfondie selon des critères d'évaluation stricts et immuables d'ordre éthique, graphique et commercial, tout en n'oubliant pas de prendre en compte la cible visée : adulte ou tout public. Des domaines et des produits comme le tabac, l'alcool ou la lingerie fine s'avèrent incompatibles avec l'univers de nos chères houpettes blondes ou brunes et sont donc prohibées ! On ne s'étonnera donc pas que Tintin, personnage asexué, ne participe pas (avec les bonnes intentions qui le caractérisent) à une campagne de lutte contre le sida. Moralité : le produit choisi doit être au service de l'œuvre et non le contraire.

Une affaire juteuse

Dans la chaîne du merchandising Tintin, rien n'est laissé au hasard. L'organigramme publié dans la troisième partie laisse apparaître un système hiérarchisé, avec à sa tête l'auteur et ses ayants droit. La veuve Hergé a l'« exercice du droit patrimonial » jusqu'en 2034, date-butoir où les aventures de Tintin tomberont dans le domaine public. En attendant, elle a confié l'exclusivité mondiale des droits à une société anonyme, propriété de l'ex-agent de son mari : Alain Baran. Cette société baptisée depuis 1990 Moulinsart SA a délégué le monopole des droits dérivés pour l'Europe, le Canada et l'Afrique francophone (sauf cas particulier, par exemple l'audiovisuel) à la concession Tintin licensing, société où apparaît comme actionnaire un certain Baran. Un article des Cahiers de la bande dessinée de décembre 1989 se pose légitimement plusieurs questions à son sujet : « Pourquoi, après la disparition d'Hergé, a-t-on publié des dessins dont il avait interdit la publication ? Pourquoi, alors qu'Hergé avait passé le flambeau à Bob de Moor, a-t-on évincé ce demier ? » Ou encore : « Comment de simple secrétaire, A. Baran est-il devenu l'agent exclusif d'Hergé ? » (2). Même si Jouret ne s'étend pas sur son patron, par contre, il met à jour la toute-puissance des ayants droit et de Tintin licensing sur les agents et licenciés tenus par différents contrats moraux et financiers draconiens.


Moins ardue, la quatrième partie met en relations l'impact que peuvent faire subir - aux activités du merchandising - les entrées à vocation éthique (Fondation Hergé), commerciale (Moulinsart SA, Tintin licensing, Retail adventures : les boutiques Tintin, en franchise), éditoriale (Casterman). Le constat est équivoque : les uns ont besoin des autres. La couverture médiatique de l'exposition Tout Hergé (3) a maintenu la présence de l'œuvre auprès des fans tout en attirant le grand public. Les 45 000 albums vendus à Welkenraedt (4) sont là pour en témoigner.


En 54 années d'existence sur papier, Tintin est devenu un mythe. Tels des « Rastapopoulos », les annonceurs se bousculent pour profiter de cette notoriété. Jouret prévient - justement - qu'il y a plus à perdre qu'à gagner dans une utilisation abusive et anachronique d'un héros, et explique qu'il est essentiel, avant de se lancer dans l'aventure des droits dérivés, de mettre en place une stratégie pertinente tenant compte de tous les cas de figures. Bien au-delà de l'aspect financier, c'est le caractère inhérent de l'œuvre qui doit être respecté et pour cela compris : de cette façon, la perception du héros dans le temps et dans l'espace sortira grandie.


Cependant, deux types de problèmes subsistent : la distribution et ses nombreux intermédiaires coûteux. Quant au marché européen de 1993, s'il ne modifie en rien la stratégie adoptée, l'auteur souhaite une évolution juridique allant vers l'harmonisation et une protection accrue des droits. Les reponsables du merchandising Tintin ont pensé à tout avec un luxe de détails qui vire à l'obsessionnel. Mais on ne dira jamais assez que le contrôle étroit de l'esprit Tintin est avant tout une affaire juteuse, le danger serait qu'elle ne le soit plus... Alors, à d'autres les justifications morales du respect de l'œuvre du maître, car rappelons-nous ce qu'avait déclaré Hergé : « Après moi, il n'y aura plus de Tintin ».

 Riche d'anecdotes croustillantes pour tintinophiles, cette synthèse juridique et historique complète sur le merchandising, accompagnée d'annexes et d'une bibliographie sélective, devrait intéresser, par l'originalité du sujet traité, un grand nombre de lecteurs curieux, et pas forcément spécialistes en droit, BD, commerce, publicité et communication.


Notes :
1. HEC : Hautes études commerciales.
2. Les cahiers de la bande dessinée, décembre 1989, n° 87, p. 61-63.
3. Exposition Tout Hergé, à Welkenraedt (Belgique), 8 juin-10 seprembre 1991.
4. Le courrier-Le jour (Belgique), 27 septembre 1991.


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Tintin et le droit du travail 

par Jean-Michel LATTES
Maître de Conférences à l'Université Toulouse1
Chercheur au LIRH (CNRS-UMR 5066)


Le thème choisi par l’auteur peut, sans nul doute, surprendre. Pour un juriste qui se respecte la bande dessinée ne peut apparaître que comme un univers parallèle, peu sérieux par comparaison avec les traités de doctrine, l’actualité législative et règlementaire ou la jurisprudence. Alors que les Universités juridiques constituent, le plus souvent, des mondes austères peu enclins à l’originalité, la BD est considérée comme une planète de fantaisie nécessairement dévolue aux enfants. L’œuvre d’Hergé fait pourtant l’objet d’études innombrables couvrant tous les domaines de la science et donne lieu à des colloques dans de doctes endroits. L’exemple de l’Université Pierre Mendès France (Grenoble II) et de son colloque sur le Droit et la bande dessinée comme celui organisé à l’Assemblée nationale pour analyser le positionnement politique de Tintin suffiraient, si cela était nécessaire, à comprendre ce qui demeurera sans doute, pour ceux qui oublient de rêver, injustifiable et sans intérêt .

Nul doute que, dans d’autres Mélanges, je me serais résolu à choisir un thème plus «sérieux» ou tout au moins plus adapté aux normes qui sont celles des juristes orthodoxes. Pourtant, je n’ai pas hésité un instant à proposer ce thème pour les Mélanges Spitéri. (...)
L’idée étant définitivement choisie, il restait à la mettre en œuvre et à plonger dans l’œuvre d’Hergé pour en dégager une double orientation : les sources du droit du travail et les métiers dans Tintin. Au-delà de sa dimension ludique, la bande dessinée en général (et Tintin en particulier !) apparaît comme le formidable révélateur de nos réalités sociales.


Partie 1. Tintin et les sources du droit du travail.

La lecture des 24 aventures de Tintin est de nature à brouiller singulièrement les perspectives idéologiques traditionnelles. Anticommuniste, anticapitaliste, anti dictateurs… Tintin est un peu tout et il convient de tenter une synthèse dans un monde imaginaire, en apparence très foisonnant, mais pourtant parfaitement cohérent et organisé. Plus que toute autre spécialité juridique, le droit du travail est soumis aux idéologies et à leurs évolutions. De facture ultralibérale à l’origine, il intègre peu à peu une dimension sociale sous l’influence conjuguée des héritiers du marxisme et des promoteurs du catholicisme social. L’œuvre d’Hergé s’inscrit dans son époque. L’anti-communisme primaire, le colonialisme paternaliste, le tiers-mondisme naïf, l’anti-capitalisme humaniste… tout cela se mêle au sein d’une saga qui traduit pourtant la réalité des racines sociales chrétiennes d’un auteur de son temps.


A. L’idéologie sociale dans Tintin
Une lecture simplement chronologique de Tintin pourrait faire passer son auteur pour un anticommuniste primaire tant il est vrai que le premier opus de ses aventures, « Tintin au pays des Soviets » , apparaît comme un violent brûlot anticommuniste au point qu’il ait pu être considéré comme le premier livre noir relatif à ce courant essentiel dans l’histoire idéologique du XXème siècle. L’influence de l’Abbé Wallez et le contexte antibolchévique dans lequel travaille Hergé au sein de la rédaction du XXème siècle participent à faire du premier Tintin un document destiné à mettre les jeunes lecteurs belges au courant des méfaits du régime soviétique . Il est curieux de constater que le dessinateur Belge anticipe sur ce que l’on va qualifier, quelques années plus tard, de « guerre froide » où la désinformation et la caricature constitueront les actes les plus significatifs d’une guerre indirecte où la pensée dominante amène, nécessairement, à se positionner dans un camp ou dans l’autre. Le modèle soviétique décrit par Hergé correspond de manière très précise aux schémas réducteurs de la pensée occidentale des années 60.

Avec « Tintin en Amérique » , Hergé se livre à une critique en règle de la société capitaliste alors en plein développement. Ainsi, aux fausses usines des Soviets, il oppose la production industrielle de produits alimentaires dans des conditions ahurissantes et à l’absence de démocratie de l’URSS, il confronte l’expulsion des indiens sous la contrainte de la force armée au nom du pétrole et du roi dollar .
De fait, Tintin n’est ni capitaliste, ni collectiviste . On retrouve dans ce débat les grands axes ayant participé à la mise en place du droit du travail opposant, dans sa construction, le libéralisme sauvage au collectivisme Marxiste. Dans l’histoire du droit social français, le marxisme apparaît comme le premier moyen de mettre en cause la domination du libéralisme sauvage qui se développe au XIXème siècle dans les Manufactures de production. Pour la première fois, par opposition au « laissez-faire » juridique organisé par le législateur révolutionnaire et repris dans le Code civil de 1804 , le travail n’est plus considéré comme une simple marchandise mais comme une valeur particulière dont il convient d’assumer une protection renforcée. Par opposition à une lecture civiliste de la reconnaissance du droit de propriété, le courant marxiste fait de l’ouvrier la « principale valeur » de l’entreprise. Le Capital humain est alors opposé au Capital financier, le premier se devant de dominer le second.

Un troisième courant, qualifié de catholicisme social, se développe cependant en rejetant, dos à dos, ces deux tendances . Ce rejet se retrouve dans le texte de référence de ce courant, l’Encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII. L’Encyclique ne peut être isolée du vaste travail de réflexion initié par certains groupes catholiques qui, dés le début du XIXème siècle, tentent de jeter les bases de ce qui deviendra une véritable doctrine sociale inspirée de la tradition chrétienne . Dans cette troisième voie, l’homme est pris en compte en tant qu’être original et sensible. Contrairement aux marchandises ne pouvant être évaluées qu’à hauteur de la valeur qu’elles représentent, le salarié est un être doué de raison et doté d’une âme. Ces richesses humaines ne peuvent être assimilées à de simples marchandises monnayables et l’homme au travail doit bénéficier d’un environnement juridique adapté à ces particularismes . L’Etat doit garantir un environnement de protection aux ouvriers sans pour autant porter atteinte à leurs libertés. Nul doute que la vision de l’Etat dans Tintin, structure souvent considérée comme inutile ou dangereuse, participe à notre analyse en faveur d’une similitude entre la pensée d’Hergé et le catholicisme social .


B. La compatibilité entre la perception sociale de Tintin et le catholicisme social
L’œuvre d’Hergé s’inscrit dans la même perspective que l’Encyclique du Pape Léon XIII consistant à contester, à la fois, la cohérence du libéralisme sauvage et celle du communisme. Née en réaction contre les excès des deux doctrines dominantes du XIXème siècle, l’Encyclique prône une voie d’équilibre prenant en compte le désir d’autonomie et de liberté des personnes tout en leur garantissant la protection d’un Etat ne dépassant pas les limites de ses prérogatives naturelles . Les fondements du contrat de travail caractérisent les orientations inscrites dans l’Encyclique. Constatant les dégâts provoqués par la révolution industrielle dans la classe ouvrière , elle valorise la recherche et la mise en place de rapports juridiques de protection qui, tout en étant garantis par l’Etat , ne lui permettent pas, pour autant, de tout contrôler. Si l’Etat apparaît comme le gardien nécessaire de l’intérêt commun tout en respectant les souhaits légitimes des hommes, il ne doit pas aller au-delà . On retrouve, chez Hergé, le même rejet des Etats trop intervenants (Au pays des Soviets), voire dictatoriaux (Tintin et les Picaros)… et du manque d’Etat (Tintin en Amérique) ouvrant le champ au capitalisme sauvage voire, pire, à la toute puissance mafieuse.

L’exclusion et la misère constituent d’autres thèmes repris par l’Encyclique. Les salariés fragiles et les exclus doivent être protégés. Léon XIII n’accepte pas la situation dans laquelle se trouvent les pauvres, les faibles et les démunis . Il refuse que les patrons imposent à leurs subordonnés un travail au-dessus de leurs forces ou en désaccord avec leur âge ou leur sexe . Cette vision humaniste imprègne l’œuvre d’Hergé. Tintin est la pour protéger et défendre le pauvre et l’opprimé. Son attitude permanente s’inscrit dans la vision chrétienne d’une vie en société inspirée de l’évangile .

L’immigration participe à cette réflexion. Pour le pape, il est indispensable de rechercher une solidarité internationale pour réduire les écarts entre pays pauvres et pays riches. La solution aux problèmes migratoires passe par le développement économique car nul ne quitterait sa patrie et sa terre natale s’il y trouvait les moyens de mener une vie plus tolérable . L’esclavage est, en particulier, est inacceptable car il ne respecte pas l’homme considéré comme asservi par ses semblables et un « juste salaire » doit être accordé aux travailleurs . Hergé traite de l’esclavage dans Coke en stock, album unique où l’auteur regroupe, à la fois, tous les méchants de ses aventures avec d’autres personnages plus pittoresques . La réaction extrême du capitaine Haddock face au marchand d’esclave traitant les pèlerins de la Mecque comme du bétail traduit l’aversion d’Hergé pour cette pratique d’un autre âge. On retrouve ici les racines chrétiennes de l’auteur et sa foi dans l’homme en conformité avec l’esprit de Rerum Novarum. Informé de l’existence de situations d’esclavage au Moyen-Orient, Hergé utilise la Bande dessinée pour réclamer un véritable contrôle international de ce type de pratiques . Hergé n’est pas très éloigné ici de ce que l’on a pu appeler « la théologie de la libération » dans les pays d’Amérique du Sud. Ce courant, très contesté par Rome, s’est traduit par l’engagement des religieux dans la vie politique de pays le plus souvent asservis par des dictatures. Tintin incarne cet engagement en n’hésitant pas à payer de sa personne pour aller jusqu’à la destitution de dictateurs opprimants leurs peuples.


Il est aisé de mettre en évidence les racines chrétiennes de Georges Rémi . Scolarisé à l’Institut Saint Boniface, chef de la patrouille des écureuils dans la Fédération des Scouts catholiques, recruté au journal catholique de doctrine et d’information « le XXème siècle » dirigé par l’abbé Wallez… Hergé est clairement, dans son inspiration, un dessinateur catholique. Né 16 ans après la publication de Rerum Novarum, son activité professionnelle se développe simultanément au développement du catholicisme social. La coïncidence chronologique entre la naissance de Tintin et le développement de l’action catholique ouvrière corrobore notre analyse , l’idéal chrétien empreint d’humanisme et organisé autour du personnalisme social étant parfaitement conforme aux pensées et aux actes du héros d’Hergé. Entre le libéralisme sauvage et l’oppression communiste, l’auteur s’inscrit dans une vision proche de l’humanisme chrétien inspiré de préoccupations sociales caractérisant cette première moitié du XXème siècle. Le droit du travail sera, lui aussi, traversé par les mêmes influences avec les travaux de juristes prestigieux comme les Professeurs Durand et Despax qui vont opposer à la lutte des classes et à la religion du capitalisme financier, une « entreprise communauté » où employeurs et ouvriers peuvent trouver un intérêt partagé respectueux de leurs aspirations respectives .

Partie 2. Tintin et les métiers.


De nombreux professionnels apparaissent dans les aventures de Tintin . Le plus souvent cependant, ils incarnent des profils atypiques qu’ils soient salariés ou inscrits dans un autre environnement juridique.


A. Les salariés dans Tintin
- Le journaliste

Tintin est journaliste. Il se présente, au début de ses aventures, comme « reporter, envoyé spécial du Petit Vingtième » . Il convient de constater que ce métier attribué à Tintin apparaît plus comme un prétexte que comme une véritable profession . Dans ses 24 aventures Tintin ne se livre pratiquement pas à l’essentiel de ce qui apparaît comme les bases de ce métier, à commencer par ce qui en constitue l’essentiel, à savoir l’écriture . Influencé par un environnement épique où Joseph Kessel et Albert Londres incarnent les archétypes des héros de l’époque, Hergé retient surtout la part d’aventure qui résulte des récits de ces grands journalistes voyageurs . En cela, le journaliste Tintin est éloigné des règles juridiques qui encadrent aujourd’hui la pratique de cette profession
Ainsi, dans le Code du travail, les conditions d’obtention de la qualité de journaliste professionnel sont précisément déterminées . Il convient, en effet, « d’avoir pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de la profession de journaliste et en tirer le principal de ses ressources » . Il faut, par ailleurs, exercer cette profession « dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse ». La mention de la rémunération de Tintin n’apparaît que dans sa seconde aventure, Tintin au Congo, où plusieurs représentants de journaux internationaux font monter les enchères pour obtenir l’exclusivité de son travail . Les statuts de pigiste voire de correspondant de presse semblent plus proches des activités du jeune héros.

- Le capitaine de marine marchande
Archibald Haddock , dernier descendant en ligne directe de François, chevalier de Hadoque, figure emblématique des Aventures de Tintin, est capitaine sur des navires de commerce . Sans évoquer son penchant pour la bouteille ni son langage fleuri, c’est le particularisme de ce métier mettant en cause le lien de subordination juridique traditionnel qui le lie à son employeur qui retiendra notre attention
Les textes les plus classiques font, en droit français, une place particulière au capitaine qui est à la fois mandataire et salarié de l'armateur. Nul doute que, par certains aspects, le capitaine du navire est un salarié comme les autres. On retrouve, en effet, dans sa fonction, les éléments qui caractérisent la mise en place d’un rapport de subordination caractérisant l’existence d’un contrat de travail. Il doit obéir aux instructions de l’armateur et ne pas manquer de le consulter avant de prendre toute décision importante . Il apparaît donc comme un des cadres supérieurs de l’entreprise soumis par la loi du 24 novembre 1997 - dite loi d’orientation de la pêche – aux mêmes procédures de licenciement que les autres préposés de l’entreprise.
Pourtant la fonction même du capitaine en fait un salarié particulier responsable d’un bien, le navire, de valeur souvent considérable et, surtout, d’un équipage dont la survie peut dépendre de ses choix et de ses décisions. En cela, le capitaine semble plus proche du statut d’un mandataire social dont les fonctions apparaissent à la hauteur de ses responsabilités. Les codes ISM ou ISPS prévoient, en effet, que le capitaine a un pouvoir absolu et une responsabilité correspondante pour tout ce qui concerne la gestion de la sécurité. A plusieurs reprises le capitaine Haddock témoigne, par son attitude, de la réalité de cette responsabilité.
 
- Les concierges

Les concierges, le plus souvent des femmes, occupent une place à part dans l’œuvre d’Hergé. Cette profession aujourd’hui progressivement remplacée par des sociétés de service voire par de vulgaires digicodes ou caméras de surveillances, est très présente dans les multiples aventures du jeune reporter. Ainsi, Madame Pinson se charge de faire suivre de manière scrupuleuse le courrier de Tintin lorsque celui-ci réside à Moulinsart . Les réticences qu’elle semble opposer aux demandes de Dupont témoignent du sérieux avec lequel elle accomplit sa mission. On la retrouve à plusieurs reprises comme lorsqu’elle est menacée lors de l’enlèvement de Bunji Kuraki, de la sûreté de Yokohama, illustration de l’attention qu’elle porte à sa fonction de surveillance allant jusqu’à demander le renforcement des serrures de l’immeuble pour améliorer son efficacité . Elle n’hésite pourtant pas à faciliter la tâche des déménageurs tout en surveillant leur manière de travailler et leur départ définitif . D’autres exemples complémentaires auraient pu permettre d’illustrer les fonctions sociales de personnes aujourd’hui, hélas, de plus en plus rares .
En droit du travail, les concierges et employés d’immeubles « à usage d’habitation » se voient soumis à un statut spécial fixé par les articles L. 771-1 et s. du Code du travail. Ils bénéficient, en outre, de l’application d’une convention collective nationale . La disponibilité des multiples concierges qui figurent dans l’œuvre d’Hergé s’explique aisément par les règles spécifiques qui leurs sont applicables en matière de durée du travail. Ainsi, la législation relative à la durée du travail ne les concerne pas même s’ils conservent leurs droits relatifs au repos hebdomadaire, au repos quotidien et aux jours fériés. De fait, si la Convention collective reconnaît le droit de leur imposer une permanence complète lorsqu’ils sont logés, un repos supplémentaire d’une demi-journée par semaine doit leur être accordé. Nul doute que la présence régulière de concierges dans l’œuvre d’Hergé et cela à toute heure du jour et de la nuit correspond à cette obligation de permanence.


- Les domestiques
Nestor est, lui aussi, un personnage incontournable de la saga Tintin . Il incarne un représentant exemplaire des domestiques de haut niveau tels que l’on peut encore les trouver dans les palaces traditionnels. En permanence à l’écoute et au service de ses maîtres, il semble corvéable à merci et cela jour et nuit . Nul doute qu’un contrôle de l’inspection du travail à Moulinsart serait redoutable pour le capitaine Haddock ! En effet, si on trouve dans le Code du travail la définition d’un statut spécifique à l’intention des employés de maison présentés comme « des salariés occupés par des particuliers à des travaux domestiques » (Art. L. 772-1), ils n’en demeurent pas moins sujets de droits malgré les particularismes de leur activité. La Convention collective nationale « des salariés du particulier-employeur » du 24 novembre 1999 précise ainsi que ces professions s’exercent au domicile privé de l’employeur – ce qui est bien le cas de Nestor résidant permanant de Moulinsart – pour effectuer des tâches de maison à caractère familial ou ménager sans que l’employeur ne puisse en retirer des moyens lucratifs. La Convention précise, en outre, que le salaire peut être mensuel ou horaire, à temps plein ou à temps partiel.
Si les modalités de recrutement et de rémunération de Nestor sont difficiles à déterminer, on peut cependant s’interroger sur le respect par ses employeurs des règles régissant le respect des durées maximales de travail. Nestor semble présent en permanence, jour et nuit et cela même en l’absence de ses maîtres (L’Or noir). La Convention collective de la profession prévoit, en effet, un temps complet de 40 heures (horaire d’équivalence), les heures supplémentaires étant décomptées à partir de la 41ème heure d’activité. L’article 6 de la Convention réglemente par ailleurs le travail de nuit et les congés payés sont attribués dans les conditions du droit commun. Le risque de sanction pénale du capitaine semble sur ce terrain plus qu’évident.
Enfin, l’incompatibilité des règles de protection des salariés contre les risques relatifs à l’hygiène et la sécurité avec la vie d’un domestique côtoyant un héros de type Tintin devrait permettre à Nestor d’exercer son droit de retrait.


- Les artistes et intermittents du spectacle
La cantatrice Bianca Castafiore constitue, bien évidemment l’artiste la plus en vue des aventures de Tintin même si son talent terrifie Tintin, le capitaine et même Milou . Nul doute que la Castafiore, rare femme présente dans les albums de Tintin , est une véritable star . Ses triomphes dans le plus grandes salles, la Scala de Milan, bien sur, d’où lui vient son surnom de « rossignol milanais » mais aussi le Kursaal de Klow , la Cour de sa Majesté Muskar XII , le Music-Hall-Palace de Bruxelles et l’Opéra de Szohôd en Bordurie . D’autres artistes, plus modestes, figurent dans les aventures de Tintin : un fakir, une voyante (Madame Yamilah), Alcazar en lanceur de couteaux et un clown dans Les 7 Boules de cristal,
Stars ou artistes plus modestes, ils figurent tous dans la catégorie à part des artistes du spectacle, catégorie un peu fourre tout où l’on trouve les artistes du théâtre, des arts lyriques, les danseurs, les chanteurs de variété, les musiciens, les chansonniers… et même les toreros . De multiples règles s’appliquent à ces personnes rémunérées au cachet, travaillant par intermittence et soumises à des dispositifs spéciaux de protection sociale. Les polémiques récentes sur le statut des intermittents du spectacle sont au cœur de ces métiers à la fois exaltants et fragiles.
Les artistes du spectacle ont été placés dans la catégorie des salariés car la jurisprudence considère qu’existe un véritable rapport de subordination avec la personne qui les engage , le code du travail précisant que «…sont considérés comme artistes du spectacle, notamment l’artiste lyrique, l’artiste dramatique, l’artiste chorégraphique, l’artiste de variété, le musicien, le chansonnier, l’acteur de complément, l’arrangeur orchestrateur, le chef d’orchestre et, pour l’exécution matérielle de sa conception artistique, le metteur en scène» . Ils se voient ainsi appliquer des règles sociales spécifiques et des contrats à durée déterminée peuvent leur être attribués au titre des emplois où il est d’usage constant de ne pas recourir à des contrats à durée indéterminée . La difficulté consiste ici à faire la différence entre les sommes versées à l’artiste et qui ont la nature de salaire avec celles qui correspondent à une autre affectation .
Nul doute que l’actualité placerait la Castafiore au cœur du conflit social des intermittents. Si sa notoriété la place en dehors du risque de précarité dénoncé par les artistes menant, depuis deux ans, des mouvements sociaux, ses spectacles auraient été, très certainement, perturbés par la lecture de communiqués rappelant la fragilité d’un statut mis en place en 1936 pour protéger et développer un secteur d’activité par nature précaire. Sur la base d’un principe simple , l’intermittent bénéficiait de possibilités d’indemnisation lui permettant de réduire le risque de précarisation. De protocole en protocole, de rapport en rapport, la question n’est pas tranchée et la Castafiore peut craindre des incidents lors de ses prochaines prestations.

B. Les professions indépendantes dans Tintin

- Les détectives privés
Nous pourrions être tentés de classer dans cette catégorie les inénarrables Dupond et Dupont. De multiples indices nous amènent cependant à leur attribuer un statut de fonctionnaires . Leur manière d’arrêter Tintin « au nom de la loi » et leurs liens avec la police égyptienne dans Les Cigares du pharaon, leur mandat émanant de la sûreté chinoise dans Le Lotus bleu, la manière dont est présentée leur enquête dans Le Secret de la Licorne, leur présentation comme envoyés de leur gouvernement dans Objectif lune… permettent de considérer qu’il s’agit de policiers participant à la mission d’Interpol. A l’inverse, Mike Mac Adam, le détective de l’hôtel chargé de retrouver Milou dans Tintin en Amérique constitue le prototype même de cette profession originale que constituent les détectives privés. Le même détective sera chargé quelques pages plus loin de retrouver Tintin disparu à son tour .

C’est en France qu’est née cette profession, à l’origine sous la dénomination de « Police privée », avec dés 1825, à Paris, les premiers bureaux organisés autour de cette activité. Si cette profession va se développer très régulièrement dans notre pays avec en particulier le « Bureau des Renseignements Universels pour le Commerce et l’Industrie » du célèbre Vidocq , c’est aux Etats Unis que se crée la plus grande structure, à savoir l’agence Pinkerton organisée dans plus de 25 villes américaines et employant plusieurs milliers de collaborateurs. L’absence de réglementation publique entraîne cette profession à mettre en œuvre, en France, un code de déontologie dont la première version est élaborée dés 1960 par Jean Tardif, Président du Conseil National Supérieur Professionnel des Agents de recherches privées . Ce Code était d’autant plus indispensable que, jusqu’à une période récente, cette profession n’était soumise qu’à une simple déclaration d’ouverture d’agence sur la base de la loi du 28 septembre 1942 réglementant l’exercice de la profession de directeur et gérant d’agences privées de recherches . En effet, la loi de 1942 n’organisait pas une véritable réglementation mais se limitait à interdire l’accès à la profession des personnes condamnées et à soumettre à autorisation de leur ministre de tutelle les anciens fonctionnaires de police souhaitant accéder à ces fonctions.

La loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 constitue, de fait, le premier texte organisant un véritable contrôle de l’accès à la profession . La prise en compte de la fonction de détective privé correspond à une vaste demande de moralisation de la profession dans le contexte complexe de l’arrivée des nouvelles technologies et de nouvelles formes d’enquêtes. Les activités de gardiennage, surveillance et transports de fonds, d’une part, et les activités des agents de recherches privées, d’autre part, sont classées dans la sécurité privée. La loi reconnaît le droit d’enquêter aux personnes exerçant cette activité et elle consacre la recevabilité des rapports d’enquêtes devant les juridictions. Un agrément est désormais nécessaire pour accéder à cette profession correspondant à une réelle qualification. De fait, tout en conservant son caractère privé, libéral et indépendant, la profession est désormais reconnue mais aussi réglementée, agréée et contrôlée par l’Etat.


- Les assureurs
S’il est possible de trouver des professionnels salariés dans le monde des assurances, le plus souvent les assureurs ont un statut de travailleur indépendant. L’ineffable Séraphin Lampion des Assurances Mondass constitue l’archétype du commercial dont il est impossible de se débarrasser. Sa motivation pour faire signer au capitaine Haddock traduit, sans nul doute, sa motivation liée à un système d’intéressement différent du salaire.
Il convient cependant de noter que les agents et courtiers d’assurance peuvent, soit être des salariés d’une compagnie d’assurance ou d’une firme de courtage, soit être des travailleurs indépendants. Lorsque l’agent d’assurance est un indépendant, il est considéré comme exerçant une profession libérale et il est le représentant ou le mandataire d’une compagnie d’assurance qui place ses contrats auprès de la clientèle. A ce titre, il engage la responsabilité de la compagnie au regard de l’article 1384 du Code civil.
De leur coté, les courtiers en assurance possèdent le statut de commerçant et représentent leurs clients vis à vis de compagnies avec lesquelles ils travaillent. Ils analysent les risques de leurs clients et les conseillent sur les opportunités de couverture d’assurance. Ils placent les risques de leurs clients auprès des compagnies d’assurance et peuvent les assister en cas de sinistre.
Alors, Séraphin Lampion est-il agent d’assurance salarié ou non salarié voire courtier ? L’étude de l’œuvre d’Hergé ne nous permet pas d’avoir des certitudes sur le sujet.


- Les inventeurs et scientifiques
Il est difficile de déterminer le statut social de ce groupe tant il peut être divers dans ses origines et dans sa réglementation juridique. Tournesol apparaît comme le représentant emblématique d’un groupe par ailleurs très complet . En droit du travail, les inventions réalisées par un salarié dans l’exécution d’un contrat de travail comportant une mission inventive appartiennent à l’employeur . A l’inverse, toutes les autres inventions appartiennent au salarié. Il convient cependant de prendre en compte le cas particulier du salarié faisant une découverte dans le cadre de son travail avec les moyens de l’entreprise. Si cette dernière peut en revendiquer les droits, elle n’en devra pas moins indemniser justement le salarié
La manière dont le Professeur Tryphon Tournesol intervient dans les aventures de Tintin nous laisse supposer qu’il ne correspond nullement au profil d’un salarié. Si nous pouvons penser qu’il participe à la recherche publique du fait de ses travaux dans Objectif Lune et en raison de son titre de Professeur, il semble plus adapté à la catégorie des « inventeurs indépendants » comme en témoigne sa manière de tenter de placer son sous-marin « requin » auprès de Tintin et du capitaine Haddock ou sa générosité permettant au capitaine de racheter le château de ses ancêtres grâce à un brevet lucratif dans Le Trésor de Rackam le rouge.
L’inventeur indépendant exerce, comme son nom l’indique, ses recherches en dehors de tout contexte salarial . Il effectue ses travaux en toute indépendance que cela soit régulier ou occasionnel. Néanmoins, lorsqu’il concrétise son activité par la découverte d’un procédé d’invention, exploité par la suite, il sera tenu – s’il retire des revenus de son invention – de s’immatriculer auprès de l’Urssaf et de payer les cotisations sociales au titre de son activité indépendante. Il devra, en outre, assurer la protection de son invention en déposant une demande de brevet auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). Il peut, enfin, soit exploiter lui-même son brevet, soit le céder, soit concéder une licence d’exploitation .
La légendaire distraction du Professeur Tournesol peut laisser supposer qu’il est loin de penser à toutes ces précautions. On notera toutefois que si cette distraction est fréquente dans un contexte de vie quotidienne, elle est beaucoup plus rare lorsqu’il s’agit de son travail. Sa capacité à financer le rachat du château de Moulinsart nous laisse penser qu’il a pris toutes les précautions nécessaires pour conserver les fruits de son travail.


- Les commerçants et artisans
Le petit commerce a la part belle dans Tintin. Nul doute que la boucherie Sanzot située dans le village de Moulinsart constitue la plus célèbre de ces structures de proximité du fait des problèmes téléphoniques qui font que les appels, mêmes internationaux , y apparaissent comme problématiques et cela de manière chronique. Si Madame Sanzot n’apparaît pas dans les aventures du petit reporter, à l’inverse le marbrier Isidore Bollu, par ailleurs trompettiste de l’Harmonie de Moulinsart, est aidé par son épouse lorsqu’il s’agit de préserver sa mauvaise foi dans les retards d’exécution des taches pour lesquelles il s’est pourtant engagé . On distingue, de fait, dans l’œuvre d’Hergé les deux catégories juridiques que constituent les artisans et les commerçants . Ainsi, sur la base de l’article 1 du code de commerce, il convient de réunir 3 éléments pour acquérir la qualité de commerçant : faire des actes de commerce, les pratiquer à titre habituel et les faire en toute indépendance. A l’inverse, le décret du 1er mars 1962 considère comme artisan celui qui vend essentiellement des produits ou des services issus de son travail et dont l’entreprise ne compte pas plus de 20 salariés. Il est donc possible, sur cette base juridique, de classer les multiples personnages secondaires des aventures de Tintin en deux catégories bien distinctes. Dans la catégorie des artisans on trouvera les réparateurs d’automobiles, la boucherie Sanzot et le marbrier Bollu alors que les chauffeurs de taxis, exploitants de cafés, d’hôtels et de restaurants, exploitants et gérants de station-service, antiquaires divers et brocanteurs… sont à classer parmis les commerçants.
L’engagement de madame Bollu dans l’activité de son mari pose le problème du statut de la femme du commerçant ou de l’artisan qui, tout en participant activement au fonctionnement même de l’activité, n’a pendant longtemps bénéficié d’aucune garantie ni protection. Si en droit français, l’épouse a longtemps été considérée comme une véritable inconnue sociale, elle bénéficie désormais de la protection de la loi en faveur des PME du 2 août 2005 réformant profondément le régime du statut de conjoint collaborateur organisé par la loi du 10 juillet 1982. Désormais, le conjoint du chef d’entreprise qui travaille de façon régulière dans l’entreprise familiale a l’obligation d’opter pour l’un des 3 statuts suivants : conjoint salarié, conjoint collaborateur ou conjoint associé . Cela entraîne des conséquences nouvelles sur les droits sociaux dont il bénéficie, en particulier: l’accès à la formation continue, un plan épargne entreprise et les conséquences résultant de l’obligation de cotiser aux différents régimes sociaux. Nul doute que, désormais, madame Bollu est assurée d’une meilleure protection du fait de son investissement dans l’activité de son mari.


Conclusion
(...) Ceux qui aiment lire Tintin à l’infini emportent en eux un peu de leur jeunesse et cela de 7 à 77 ans. La rigueur juridique n’est pas liée à l’âge, elle ne suppose pas nécessairement tristesse et sérieux. La curiosité et l’humour peuvent constituer de véritables vecteurs permettant au droit de progresser et aux étudiants de s’y passionner. Le support est libre si le fond est dense.
Texte destiné à être publié dans les Mélanges en l'honneur du Professeur SPITERI (Presses de l'Université Toulouse 1 ) en 2007.


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Business Tintin

  Dossier journaldunet " Tintin au pays du business"
  réalisé par Eric de Legge, JDN Economie 16/05/2007


50% des foyers français possèdent au moins un album de Tintin chez eux. 24 ans après mort de son créateur, Tintin, star de la bande dessinée demeure un business lucratif. Voitures miniatures, parapluie, peluche, vidéos, albums, découvrez comment le célèbre reporter se décline commercialement.


Le trésor de tintin
Star de la bande dessinée, 24 ans après la disparition de son père, Tintin se vend toujours aussi bien. C'est la veuve d'Hergé, Fanny Vlamynck qui est aujourd'hui l'unique propriétaire des droits du petit reporter. A traverstrois entités juridiques, Moulinsart SA pour les aspects commerciaux, la fondation des Studios Hergé pour le respect de l'œuvre de Georges Rémi, et Les Editions Moulinsart pour toutes les publications sur Hergé et Tintin, elle a la haute main sur l'image et les retombées commerciales du célèbre héros.
Mais pour gérer cet empire, c'est son second mari, Nick Rodwell, qui est à la manœuvre. Tintinophile averti, il avait lancé un magasin spécialisé à Londres juste après la mort du dessinateur. En se mariant avec sa veuve, il a repris en main ce business à la dérive en 1986. Depuis, il mène une intransigeante politique de gestion des droits dérivés. Objectif : mieux contrôler l'exploitation du patrimoine d'Hergé afin d'en préserver l'intégrité. Les produits étaient nombreux, et de qualité médiocre. Moulinsart a réduit le nombre de licences et travaille désormais le plus souvent dans le cadre de partenariats au travers de cinq business units : textile, objets de collection, édition, multimédia et promotion. Un risque, dans la mesure où il aurait été souvent plus simple et plus rentable de céder des licences et de toucher des royalties. Le chiffre d'affaires se situe à 16,5 millions d'euros pour Moulinsart SA en 2006.

75 personnes travaillent pour l'empire Hergé
Obsédé par l'image de Tintin, Nick Rodwell a constitué une équipe de 75 personnes, dont 40 pour la seule Moulinsart SA. Il contrôle tous les domaines, depuis l'utilisation graphique des personnages (calendriers, agendas....) jusqu'au design des polos et t-shirts à l'effigie de Tintin. Graphistes, stylistes et designers de la société participent à l'élaboration des projets, et impriment une identité générale selon une charte de qualité rigoureuse. Nick Rodwell a également radicalement changé de stratégie en quelques années. Après une période centrée sur des produits élitaires, comme les statuettes de collection, Moulinsart a réorienté sa politique vers les enfants, pour ramener les jeunes lecteurs aux albums. Aujourd'hui ce public représente 40% du chiffre d'affaires de Moulinsart, soit environ 7 millions d'euros.
Les peluches Milou, et les figurines en plastique sont les objets qui marchent le mieux. Ils sont distribués par différents canaux, mais reposent surtout sur les boutiques spécialisées. Par le passé la commercialisation s'est effectuée avec plus ou moins de succès. Les commerçants de BD se souviennent encore des conditions draconiennes de Nick Rodwell. Les pratiques commerciales de Moulinsart décourageaient les prétendants. Pour pouvoir ouvrir un espace Tintin, Moulinsart demandait de passer des commandes fermes pour 75.000 euros par an. Mais devant la fronde des commerçants, le procédé a vite été abandonné au profit d'une distribution plus large, mais tout autant contrôlée.


La vache à lait de Casterman
Certes la vente des albums de Tintin s'érode avec le temps (- 25 à 30% tous les 10 ans), mais le personnage d'Hergé reste la vache à lait de son éditeur historique, Casterman. Bon an mal an, un million d'albums sont vendus tous les ans. Une manne qui représenterait 20 % du chiffre d'affaires de l'éditeur de bande dessinées. Pour endiguer une inexorable chute, et pour répondre aux critiques de Moulinsart SA, Casterman a lancé des albums en petit format. Carton plein, Casterman affirme avoir stabilisé les ventes. 500.000 exemplaires ont été écoulés en moins de 6 mois.


210 millions d'albums depuis 1929
Ces dix dernières années, Casterman a vendu 10 millions d'albums dans les pays francophones, dont les trois quart en France. Depuis le début des aventures de Tintin, 210 millions d'albums ont été vendus, dont 80 millions de traductions en 54 langues. (700.000 en langues régionales). Au palmarès des albums les plus vendus, "Tintin au Congo" et "Tintin chez les Soviets" trustent les deux premières places, mais c'est "Tintin en Amérique" le plus vendu depuis les origines de la série.
Les droits d'auteur rapportent eux, 1,7 million d'euros par an à Fanny Vlamynck, selon certaines estimations. Le contrat qui lie Casterman à Moulinsart SA court jusqu'en 2053. Mais Casterman édite seulement la série standard des albums de Tintin, tout ce qui relève de produits spéciaux revient aux Editions Moulinsart. [Casterman a hélas ! déposé bilan, depuis, ndla]


Les éditions Moulinsart
En 1999 Nick Rodwell, le second mari de Fanny Wlamynck, la veuve d'Hergé et Didier Platteau, un ancien de Casterman, créent Les Editions Moulinsart. Une maison d'édition entièrement consacrée au monde d'Hergé et donc à Tintin. Cinq personnes y travaillent en permanence. Elle écoule plus de 300.000 ouvrages par an et réalise 5 millions euros de chiffre d'affaires. Best-seller de l'éditeur, la collection "Chronologie", une œuvre en sept volumes, imprimée à Trieste, qui retrace l'œuvre monumentale d'Hergé. Mais les Tintinophiles peuvent également y trouver quantité d'autres références, des biographies de Tchang et de La Castafiore, un recueil d'insultes du Capitaine Haddock, ou un essai sur le rire dans les albums de Tintin.


Impossible d'écrire sur Tintin sans leur accord
Mais la démarche de Nick Rodwell hérisse en tout cas les tintinophiles. Là aussi, il entend tout contrôler. Ainsi, impossible de publier un essai sur Tintin sans son accord ou presque. Toute la glose autour de l'œuvre d'Hergé doit passer selon lui au filtre des Editions Moulinsart. Dans le cas contraire, les contrevenants sont systématiquement poursuivis.
Les éditions Moulinsart prennent en charge également la partie papeterie et l'édition des livres d'enfants. Un secteur en pleine croissance.


Tintin en voiture
Symbole des produits dérivés de Tintin, la série "En voiture Tintin", éditée par Atlas. Un véritable succès populaire. Fruit d'un partenariat entre Moulinsart et les Editions Atlas, elle a ravi et ravit encore les tintinophiles. Prévue au départ sur une quarantaine de voitures, la collection a été agrandie pour inclure des modèles écartés à l'origine. Toutes sont issues des bulles de la série. On y croise aussi bien la jeep rouge de Dupont et Dupond endormis dans le désert que la Cadillac Fleetwood, le taxi de New-Delhi qu'utilise Tintin au Tibet. Spécialiste de ce genre de produit, Atlas propose des objets soignés (les personnages sont peints à la main) et des notices très précises qui décrivent même la documentation automobile utilisée par Hergé et les libertés qu'il a prises avec les modèles réels. Les miniatures sont fabriquées en Chine, mais les usines et les produits sont rigoureusement contrôlés par Moulinsart.


23 euros pour chaque modèle
Les prix d'appel sont imbattables (2,99€), la passion fait le reste, même s'il faut débourser ensuite jusqu'à 23 euros pour chaque modèle.Cette réussite a même incité Atlas et Moulinsart à remettre le couvert et à relancer en kiosques, pour un public plus familial cette fois, les DVD des dessins animés de Tintin, avec un fascicule retraçant le contexte de chaque histoire. Encore un carton.


Tintin timbré
Du propre aveu de La Poste, les timbres à l'effigie de Tintin se vendent bien. Le centenaire de la naissance d'Hergé est donc une aubaine pour elle. Tous les ans, La Poste émet deux émissions au profit de la Croix Rouge, l'une dans une série "personnage célèbre", il s'agit cette année de Tintin. Le timbre est vendu depuis le 14 mai. Déjà en 2000 La Poste ne s'était pas trompée en choisissant Tintin et Milou pour la fête du Timbre. Troisième meilleure vente de l'année, La Poste avait écoulé 15,3 millions d'exemplaires à 3 francs. En 2006, les fonds récoltés au cours de l'année 2005 avait permis à La Poste de remettre 4 millions d'euros à la Croix Rouge française.


Les 24 couvertures de Tintin en Belgique
Mais en Belgique, Tintin est devenu un standard des collectionneurs, philatéliste et numismates. En 2004, pour le 50ème anniversaire de la Sortie de l'Album 'on a marché sur la Lune", la Poste belge avait émis cinq timbres de Tintin sur le thème… de Tintin et la Lune. En 2007, elle ne pouvait pas passer à côté du centenaire d'un de ses héros national. Elle sortira le 19 mai un feuillet de 25 timbres… représentant les 24 couvertures des Aventures de Tintin et une photographie d'Hergé. La monnaie belge a elle aussi frappé une pièce à l'effigie du célèbre reporter.


Tintin à l'heure
Depuis la reprise en main du merchandising, Moulinsart SA soigne sa production de montres et en fait un exemple de sa nouvelle stratégie pour les produits dérivés. Moins de licence, plus de partenariat. Et ce d'autant plus que les montres sont autant prisées par les amateurs de Tintin… que par les collectionneurs. A l'occasion du 75ème anniversaire de Tintin, en 2004, Moulinsart SA a travaillé en partenariat avec Swatch. En quelques semaines les protagonistes signent un contrat et sortent des montres. Les deux sociétés vendent alors plus qu'un produit. Celui-ci s'accompagne d'une image et chacune apporte le crédit de son nom à l'autre.


Tintin au cinéma
Il aura fallu attendre vingt-cinq ans avant que Moulinsart SA et Steven Spielberg tombent d'accord sur les conditions d'une adaptation cinématographique des aventures de Tintin. En mars dernier, Nick Rodwell annonçait que les studios Dreamworks avaient commencé un film à grand spectacle. Prévu pour 2009 ou 2010, le réalisateur a confié le 15 mai, que ce sera un film d'animation entièrement en 3D. Un film test de vingt minutes a même été réalisé. Riche de 23 scénarios différents, le succès d'un premier opus pourrait vite consacrer une nouvelle poule aux œufs d'or. Mais impossible de savoir si Nick Rodwell a cédé les droits sur les produits dérivés qu'accompagne la sortie de ce genre de film. L'arrivée de Tintin sur grand écran est décisive pour Moulinsart SA. La promotion mondiale des superproductions de Spielberg pourrait sortir Tintin de son ghetto européen et lui permettre de conquérir la Chine et les Etats-Unis.


Tintin au musée
Véritable serpent de mer pour tous les tintinophiles, la création d'un musée va peut-être enfin aboutir. Les ayants droits du dessinateur auront tergiversé dix ans sur le lieu et le contenu du musée avant de confier à Christian de Portzamparc le soin de dessiner le temple de l'œuvre d'Hergé. Le projet devrait voir le jour en 2009, année de la bande dessinée en Wallonie, à Louvain-la-Neuve, non loin de Bousval où vécut Hergé. La première pierre de l'édifice qui devrait contenir des collections permanentes et des expositions temporaires racontant la vie et l'œuvre du père de Tintin, devrait être posée dans les prochains jours. D'une superficie de 3.600 m², la construction du musée Hergé, 15 millions d'euros, sera pris en charge à 80% par Moulinsart SA.


Tintin en tournée
Tintin se donne aussi en spectacle. En 2001, Moulinsart SA lance une comédie musicale, "Le temple du soleil", un spectacle de 9 millions d'euros. La troupe est à l'affiche à Anvers et à Charleroi. Succès populaire, 260.000 spectateurs se rendent aux représentations. Une tournée en France est même programmée. Mais alors que les affiches sont placardées dans tout Paris, que France 2 matraque à coup de publicité qu'un disque est en vente, la comédie musicale est annulée in-extremis en raison de la faillite d'un partenaire !
 Pour le centenaire d'Hergé, le projet est ressorti des cartons. Avec d'autres acteurs, la comédie musicale sera jouée à Rotterdam du 19 mai au 19 juin avant de se déplacer à Ostende de juillet à août. Aucun retour en France n'a été annoncé cette année. En revanche les tintinophiles peuvent allez à Londres voir une adaptation au théâtre des Bijoux de la Castafiore.
Pas de grands spectacles en France, mais une rétrospective d'Hergé au centre Pompidou. Quinze mille personnes par jour s'y sont pressées entre décembre et février dernier.

 


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