fredericgrolleau.com


Le Cri du Sanglier (revue de presse)

Le Cri du sanglier        

Denoël, 2004, 254 p.

Présentation de l'éditeur
Le sanglier prend la parole. Il fustige les chasseurs et refuse de finir en cuissot à la Saint-Hubert. Il reconnaît volontiers ses défauts - terre à terre, sans retenue sexuelle - et confesse qu'il aime plus que tout s'embauger. Voici donc le " cochon ", contre toute attente, instruit, hédoniste, policé mais aussi pourchassé, bu, cuisiné, mythologisé.
Cette fable, anthropomorphique, où Pindare coexiste avec le Muppet's Show, est le prétexte à une lecture . de la nature, de l'histoire et de la civilisation humaines ; et derrière cette détestation de la chasse, c'est finalement toute notre bonne vieille société qui est passée au crible.
Manière de dictée de Mérimée - version vénerie -, ce monologue iconoclaste, qui relève d'une ironie mordante, renoue avec la tradition du roman d'édification. Et chacun en vient à souhaiter que l'hallali ait un dénouement heureux.

 

 

REVUE DE PRESSE

 

 

 

L'écrivain-sanglier

Quand un philosophe se prend pour un sanglier, cela donne un objet étrange. « Le cri du sanglier », deuxième roman de Frédéric Grolleau, 35 ans, ancien prof de philo et critique littéraire, raconte les tribulations d'un sanglier. Dans la lignée de « Truismes », de Marie Darrieussecq, le narrateur se glisse dans la peau de la bête. « Notre monde est une jungle où les hommes se comportent comme des animaux », explique Frédéric Grolleau. Dans un style atypique, où les références les plus éclectiques cohabitent, de Marc Aurèle à Jean-Paul Gaultier, en passant par Rambo et Heidegger, l'auteur poursuit sa métaphore jusqu'à l'hallali.


A lire comme une fable anthropomorphique burlesque ou comme un traité de savoir-vivre du sanglier. Le livre regorge de citations philosophico-mythologiques et de recettes à base de marcassin ! Le lecteur s'y promène comme dans une encyclopédie, ouverte à la lettre S. Un pari audacieux mais déroutant.

Emilie Trevert

© le point 18/03/04 - N°1644 - Page 114 - 184 mots


 

          


Le sanglier, sa vie, son oeuvre

Frédéric Grolleau signe un livre insolite sur son animal fétiche

Les obsessions animalières peuvent s'avérer fécondes. Tel jeune homme rêve de saucisse, de pâté, d'andouille... et hop ! il se fait charcutier. Frédéric Grolleau, lui, rêve au sanglier. Il pense sanglier, respire sanglier, rit sanglier, geint sanglier. On s'attendrait presque à voir surgir deux courtes défenses de sa mauresque en broussaille.
Après un premier roman sur les souffleurs de verre (Monnaie de verre, 2002), Grolleau poursuit ici sa voie singulière en consacrant aux enfants de la bauge un ouvrage des plus étranges. Son Cri du sanglier est un roman-patchwork-précis-dico-pamphlet-hommage. Bref, un livre atypique , hors normes, où l'auteur dresse la statue - et le tombeau - de son animal fétiche.


Impossible à résumer tant il se ramifie, ce livre vous apprend aussi bien la recette de marcassin aux tomates confites qu'il vous récite le Sanglier de Théodore de Banville, il expose les origines celtes de la mythologie sanglière et développe le glossaire des innombrables termes liés à cet animal. On ne sait jamais si l'on est dans l'exégèse ou la farce, le traité ou la parodie. C'est ce qui est drôle, et même plus que ça. Car l'auteur aime son sanglier. Il est son dieu, son maître.
Alors, rendons-lui hommage en hurlant à ses côtés sous les futaies : Vla-au ! Vla-au !

Nicolas d'Estienne d'Orves.

 Le Figaro Magazine   n° 18544 mars 2004

 

 

Frédéric Grolleau invité de Franz-Olivier Giesbert dans le Cultures et dépendances du mercredi 10 mars 2004  (France 3) :  "Toujours de Gaulle"  

Invités :
Amiral Philippe de Gaulle :"De Gaulle mon père"  volume 1 et 2, Plon

Pierre Messmer : "Ma part de France", éditions F.-X. de Guibert

Maurice Druon : "Le Franc-parler", aux éditions du Rocher

Vladimir Fedorovski : "Le Roman du Kremlin", aux éditions du Rocher

Olivier Adam :"Passer l’hiver", aux éditions de l'Olivier

Christine Orban :"La mélancolie du dimanche ", aux éditions Albin Michel

Frédéric Grolleau : "Le cri du sanglier", aux éditions Denoël

Daniel Picouly :"La treizième mort du chevalier", aux éditions Grasset

 

Ô lecteur, ne t'aventure pas dans cet éclat vocal sans ton fil d'Ariane ni tes petits cailloux blancs, car deux précautions valent mieux qu'une...

Bauge cinq étoiles

La quatrième de couverture - du reste fort appétante - présente Le Cri du sanglier comme une "fable anthropomorphique". Voilà qui sonne un peu réducteur pour ce texte foisonnant où références, citations et expressions se côtoient, se télescopent, se mêlent en une complexité jubilatoire. Car "fable" supposerait que l'on puisse ramener le tout sous la conduite logique d'un récit, d'une "histoire" comme l'on dit communément. Et là, en l'occurrence, rien de moins aisé. L'apparence même des pages - mots soulignés, notes de bas de page dont l'étendue par endroits vient à supplanter celle du texte, documents ajoutés comme en un collage - confère au texte une dimension plastique qui rend superflue la question de savoir s'il y a ou non un "récit", notion dont relèvent maintes catégories littéraires parmi lesquelles aucune n'est susceptible d'accueillir Le Cri du sanglier.

La chose est donc entendue : pas d'étiquette possible, rien de commode à quoi se raccrocher pour évoquer ou comparer, pas de systématique (comme il en existe, par exemple, pour le sanglier, cf p. 155) à la disposition du chroniqueur qui aurait succombé à ce Cri comme les compagnons d'Ulysse aux chants des sirènes. Reste alors un recensement détaillé de ces particularités : un usage surabondant de termes dialectaux ou relevant du jargon de la vénerie, un style azimuté où les circonvolutions d'une syntaxe élégante et désuète croisent le fer avec néologismes, abréviations et expressions pour le moins familières, la planéité de la page approfondie par les perspectives qu'offre la démultiplication des zones de lecture (notes bas de page, annexes, glossaire), les références incessantes (et ce dans tous les domaines de ce qu'il est convenu d'appeler la "culture")... enfin un " je " qui abolit la distinction d'usage entre narrateur et auteur tant les deux s'y lisent à la fois séparément et de conserve.
Pour un peu, on soupçonnerait l'auteur de s'être abandonné aux vertiges créatifs que son propos ouvrait devant lui ; on le dirait parfois emporté par une sorte de frénésie d'écriture, lâchant la bride à ses phrases qui, contournées à souhait le plus souvent, prennent un essor tout soudain et galopent ventre à terre pour aller buter contre un point bienvenu à quelques pages de là. Pas toujours facile à suivre, l'ami Grui-Grui - en bon gibier habitué à la traque...

L'auteur semble avoir voulu d'une seule pierre faire plusieurs coups : nous entrouvrir les portes de sa bibliothèque, fustiger la bêtise et l'orgueil humains, se jouer de diverses formes discursives, jongler avec les niveaux d'écriture, donner libre cours à sa passion lexicographique, se poser en enseignant, prendre prétexte
littéraire pour changer d'incarnation, et dessus tout cela, élaborer une partie fine de mystification avec les lecteurs en les obligeant à se lancer dans un continuel jeu de piste... qu'il prend un malin plaisir à redoubler encore en les conviant à une étape de "chasse au trésor" via le site dédié au Cri*. D'ailleurs, pour aller dans le sens évidemment ludique qui oriente ce livre, pourquoi ne pas inciter ceux qui en arpenteront les pages à pousser le jeu jusqu'à interrompre leur lecture le temps de préparer puis de déguster les recettes proposées ? A prendre aussi au pied de la lettre ( !) l'invite de l'auteur en découpant les pages suivant les pointillés ?

Le meilleur comparant qui se pourrait trouver à ce livre étrange serait une forêt, une forêt dense, touffue, parcourue de boutis et de vermillis qu'il faut déchiffrer à force de curiosité et de persévérance... non, mieux que cela : ces pages sont un véritable vortex sylvestre, fruit d'une expérience à n'en pas douter hallucinogène qui, refusant de s'avouer comme telle, dissimule sa luxuriance débridée sous les dehors chatoyants d'un lexique et d'une syntaxe aussi rares et précieux que le serait la création inédite d'un grand chef haut toqué au Michelin. Et voilà le sanglier - il ne manquait plus que cela à sa panoplie - devenu emblème d'une cause pas encore perdue - Frédéric Grolleau le prouve ici : celle de la littérature virtuose.

isabelle roche

*P. 194 : "Pour accéder au chapitre inédit qui présente le sens du secret et
l'importance du retrait pour un sanglier, le lecteur de ces pages est invité à se
reporter au sous-bois retiré accessible sur le site du Cri [...]"

www.lelitteraire.com

 

 

 

 
 Etats d’âme d’un paisible phacochère 


Voilà une manière bien surprenante – et ô combien efficace – de renouveler cette veine intimiste qui avait fini par lasser plus d’un lecteur, ennuyé des réflexions moroses de narrateurs qui, en panne de sujet, en venaient à faire de l’insipide anti-roman de leurs existences vides le centre d’un monde sans pitié. Car le cœur inquiet dont on assiste ici aux épanchements était bien gros. Non que cela présage de vaines pleurnicheries ; en réalité, il s’agit de celui d’un sanglier.

A travers le regard bien sympathique d’un animal méconnu qu’on découvre au fil des pages, s’offre une réflexion enjouée, quoique sans illusion, sur la cruauté d’une société au sein de laquelle il est très difficile de n’être ni chasseur ni proie. Bien qu’il utilise un langage parfois déroutant, ce débonnaire sanglier s’avère d’agréable compagnie et se révèle un guide attentif à instruire ses lecteurs. Cet ouvrage fourmille en effet de références aux sources infiniment variées, et de définitions qui aident le néophyte à se repérer parmi la jungle de termes techniques dans laquelle le sanglier a installé sa ludique existence de gentilhomme campagnard.

Conscient de sa finitude, il l’est, sans aucun doute : n’est-ce pas lui qui, le premier, nous suggère maintes façons de l’accommoder de manière à flatter nos papilles qu’il éduque au bon goût ? Et, quoi qu’il en soit, la chasse perpétuellement présente, dont il est un discret et bien involontaire protagoniste, ne lui permettrait de toutes façons pas de l’oublier. La violence est l’environnement ordinaire du sanglier, et lorsqu’un semblable constat sort de la bouche d’un vieil humaniste tel que lui, nul doute qu’il faille comprendre qu’un destin comparable attend également l’être humain.

Pour autant, s’il ne se plaint pas, il se laisse parfois aller à des aveux qui, soyons-en sûrs, en disent long sur ses rêves de jeune marcassin fougueux, qu’il se sera résolu à enterrer en vieillissant, comme tant d’autres. Lorsqu’il se décrit comme un animal foncièrement attaché à l’idée d’un monde paisible dans lequel il aurait toute latitude d’assouvir des désirs simples, et de jouir des petits plaisirs quotidiens offerts par une existence irénique, c’est une manière de plaider en faveur d’une coopération sereine dédiée à l’édification d’une société épicurienne.

Et sa manière de grommeler gentiment à l’oreille d’un lecteur désarçonné par ses cabrioles un peu lourdes autant que par ses boutades redoutablement fines, le rend tellement attachant que l’on finirait par se laisser bercer par ce songe heureux, si lui-même ne se chargeait de nous rappeler à la réalité, laquelle ne se laisse pas si facilement nimber d’hédonisme.

Entre fantaisie et philosophie de vie, cette œuvre se révèle donc rafraîchissante, éclectique, et peut-être même un peu prophétique. Mais attention, derrière cette joyeuse façade, se cache un essai à prendre au sérieux !

Aurore Lesage (Mis en ligne le 05/10/2004 )
 www.parutions.com



Jeune écrivain natif des Vosges, il pousse le « cri du sanglier » pour se faire entendre.

NANCY. - A 12 ans, il avait lu tout San Antonio. A 25, il enseignait la philosophie au Prytanée militaire de La Flèche... Frédéric Grolleau vient de commettre le plus étrange des objets littéraires, un peu à son image de touche-à-tout érudit et espiègle. Il ne faut pas prendre l'enfant des Vosges pour un cochon sauvage et pourtant : ne s'est-il pas glissé sous le cuir d'un sanglier !

A la manière de l'héroïne de « Truismes », il s'est métamorphosé : « Nous étions chasseurs hors du commun ; nous sommes devenus chassés de pacotille, voilà tout », écrit-il. Mais sous prétexte de parler au nom des gorets, il dit son fait à la société. Ni roman, ni essai. Pamphlet.

Un « instituteur fabuleux »

« Le cri du sanglier » (Denoël, 250 pages, 16 euros) se présente comme un long et très ironique monologue, ponctué de recettes de cuisine à découper (noisettes de marcassin au cidre et aux pommes, côtelettes aux tomates confites... ), constellé de notes en bas de page, piqué de dépêches et de réclames, complété d'annexes et suivi d'un glossaire.

C'est du côté du tunnel de Sainte-Marie que Frédéric Grolleau, né à Epinal en 1969, dans une famille originaire des Sables d'Olonne, a appris la nature avec son père qui « savait faire naître » devant ses yeux d'enfant, « de magiques cascades dans la forêt vosgienne ».

Et c'est grâce à un « instituteur fabuleux », Michel Blanchard, à Ban de Laveline, qu'il s'est pris de passion pour la littérature : « C'était ma seule ouverture au monde, la télévision n'est venue que plus tard », se souvient-il, « j'empruntais chaque semaine tout ce que je pouvais à la Bibliothèque de Saint-Dié ».

Au gré des mutations paternelles, Frédéric Grolleau s'est retrouvé adolescent en région parisienne, « le début du désenchantement », assure-t-il. Etudes classiques, plutôt brillantes. Devenu professeur, agrégatif en philosophie, envoyé en mission un peu partout en France, il est passé de classes prépas en zones sensibles : « J'ai dû me mettre à la boxe française pour me sentir bien dans ma peau », précise-t-il.

En parallèle, il s'est lancé dans le journalisme littéraire en ligne. Animateur d'une émission sur Canal Web, collaborateur d'un dictionnaire des idées politiques, lecteur, puis éditeur, il a conçu son premier roman « Monnaie de verre », un an après sa fille, en 2002. C'est quand il a été débarqué de ses emplois et qu'il a dû se résoudre à s'inscrire à l'ANPE (en disponibilité de l'Education nationale, il ne reprendra un poste qu'en septembre), que Frédéric Grolleau s'est jeté dans l'écriture de ce second roman : « Je me sentais comme une bête qu'on veut abattre, comme un gibier qu'on traque ».

Son livre, il le reconnaît, est « exigeant ». Révolté, il s'indigne à sa façon de la fracture sociale : « Les sangliers aujourd'hui », dit-il, « sont les gens en rupture de ban ».

Michel Wagner

 

 

Si certains écrivains recourent parfois au service d’un nègre pour les aider, les seconder ou les remplacer dans l’écriture d’un manuscrit, l’animal Grolleau a choisi, quant à lui, un sanglier pour se faciliter la plume et s’aiguiser les crocs sémantiques et drolatiques. On peut dire sans emphase que tout le monde se réjouira de cette trouvaille littéraire et grégaire. L’esprit de la forêt et Dame Nature, les premiers. Il y a fort à parier que les critiques littéraires et gastronomiques se régaleront de concert, les épicuriens aussi.

Mille milliards de truffes, cette idée excellente ; et qui pourrait bien remplir l’auge de l’auteur de millions d’euros bien gagnés ; a fait naître un ouvrage noir et rose tout bonnement inclassable et jubilatoire, à ne surtout pas mettre sous les yeux de n’importe quel gland inculte ! Vla-au Vla-au Vla-au ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Que c’est bon de pousser ce son expiatoire sans aucune sorte de complexe. « L’homme est un sanglier pour l’homme ». Démonstration dans le texte.

Non madame, « Le cri du sanglier » n’est pas un livre comme les autres. De prime abord, c’est un livre objet, joli à regarder, pratique à l’emploi qui se dévore la gueule ouverte comme une encyclopédie d’un autre âge, délicieusement surannée, érudite et joviale.

Balayant les idées reçues, on découvre un narrateur cultivé, bout-en train, à l’humour débridé teinté d’élégance et de bon sens populaire, autant que d’audace canaille et de références philosophiques de premier ordre. Une belle bête à la hure sympathique, aux deux mirettes intelligentes, aux dagues séduisantes, au pinceau pénien de toute beauté, au nez fin et au goût culturel sûr. Un sanglier, un Wilsau bien en chair plein d’esprit, de faconde et de fraîcheur maniant le verbe haut comme aucun être humain ni congénère avant lui.

copyright frédéric vignale. F. Grolleau, Paris, Café K, janvier 2006

Ainsi donc sur plus de deux cent pages qui n’ont rien à envier aux pochardes bâclées de Diderot, on se balade dans les feuillages, on fait des cochonneries avec ce nouvel ami bien moins rustre, rural, plouc et lourdingue qu’on ne pourrait croire, on prend plaisir à se vautrer en sa compagnie dans une boue qui fait du bien au corps et à l’âme. Un bain de jouvence pour les sens et les plaisirs intellectuels vivaces du Cortex. Les gorets ont tellement de choses à nous apprendre et on ne le savait que trop peu.

Entre l’essai, le roman, la satire sociale et l’ovni qu’on ne pourra ranger dans quelconque genre, Frédéric Grolleau et ses champs lexicaux en annexe et dans le texte nous offre un petit livre noir tout simplement historique que l’on est heureux de posséder, fier de faire découvrir à la plèbe et à ceux qui considèrent que les achalandages de librairies ne sont plus ce qu’ils étaient. Dans une tradition séculaire et débonnaire, avec ce qu’il faut de distance et de tact, Grolleau marque de sa patte, de son sabot le monde des lettres et prépare sa statue de sanglierophile à l’orée des bois jolis.

Dans la série « j’apprends-des-mots-tout-en-me-divertissant-et-en-prenant-un-bon-bol-d’air », « Le cri du sanglier » est l’ouvrage qu’il vous faut consommer à feu doux, contre la morosité et la bêtise des hommes.

Vous cherchiez la recette d’un bon Sanglier, ne cherchez plus, voilà la plus succulente qui soit !

frédéric vignale

 

Frédéric Grolleau fait son sanglier littéraire !! 

"Selon Ovide, dans les Remèdes de l’amour, « Un roquet tient quelquefois un sanglier en arrêt » Un proverbe danois stipule que « Souvent le marcassin expie les méfaits du sanglier »

Entre deux maux et deux mots il faut savoir choisir le moindre. Afin de faire la lumière sur la relation dialectique qui unit le marcassin et le sanglier à l’Homme, les éditions Denoël font paraître début février Le Cri du Sanglier. Un « roman qui s’essaye » de Frédéric Grolleau dont l’enjeu consiste à la fois à poser un véritable art de vivre propre au sanglier et à transformer cette charmante bête en un curieux philosophème, soit un « lieu commun » théorique pour penser la décadence de notre société...

 : Pénétrez en avant-première dans le sous-bois touffu de cette nouvelle contrée :

Chassez-le vous même : Sanglier- Quizz de culture générale

1) Le sanglier vient du latin singularis porcus, qui signifie : porc solitaire.


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Vrai ou faux ?

2) « Conduire les animaux à la boucherie et, soûl de meurtre, les faire cuire, non pas pour s’en nourrir et s’en rassasier, mais afin d’y trouver du plaisir et d’en repaître sa gloutonnerie, il n’y a pas de nom pour désigner un tel forfait et un tel crime »


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est une citation de Porphyre, Héraclite ou Elisabeth de Fontenay ?

3) « A l’est de l’arc conurbain, les partionistes germanophones [...] du Mouvement pour l’Indépendance Totale de l’Alsace-Lorraine affrontent les partisans de la Nouvelle-Bourgogne rassemblés sous la bannière du "nouveau Sanglier des Ardennes", un soi-disant descendant du fameux Connétable, et ses unités de Téméraires ».


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est une formule de Maurice G. Dantec dans Villa Vortex
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Vrai ou faux ?

 : Venez participer à notre Quizz sur le site du Cri du Sanglier :


Mettez -vous l’eau à la bouche :

Noisettes de Marcassin au cidre et aux pommes.
Retirer la peau. Couper en noisettes, passer dans l’huile et saupoudrer de poivre en insistant avec la paume de la main. Laisser au froid 2 heures.
Faire un fond avec les os et les parures.

Faire revenir au tour avec la garniture aromatique.

Dégraisser et déglacer avec le cidre et le calvados.

Réduire lorsqu’il reste un quart de litre de sauce puis faire monter avec du beurre.

Faire sauter les noisettes dans du beurre et cuire doucement. Garder rosé. Servir sur des croûtons frits avec une demi pomme fruit rôtie. Napper avec la sauce

Ingrédients pour 4 personnes
1 selle de marcassin de 1 kg-
100 g de beurre
huile
5 cl de calvados
20 cl de cidre- poivre en mignonnette."

www.lemague.net

 

 

Jeudi 29 décembre 2005 4 29 /12 /2005 17:52

 Lors de l’émision Postface du 23 mars 2004 - diffusée sur RCJ, 94 .8 FM - il n’a pas fallu moins de trois lecteurs émérites pour vermiller à coeur joie dans l’œuvre sylvestre qu’est "Le Cri du sanglier". Bon sire, Frédéric Grolleau les guide à travers chalées et coulées... jusqu’à son chaudron secret d’honorable lettré. Il ne nous reste plus qu’à leur filer le train - pour une traque littéraire des plus pacifiques...

 

Caroline Gutmann :
Michel Chaillou, nous vous avions reçu la semaine dernière dans l’émission Postface pour "1945" (Seuil, 2004) et vous étiez curieux de découvrir avec nous l’auteur du "Cri du sanglier" (Denoël, 2004), un amoureux des mots comme vous.

Quant à vous, Frédéric Grolleau, vous faites paraître un livre insolite, tant par la forme que le fond où l’on va apprendre ce que sont les boutis, le fait de vermiller, la volupté de la souille et où vous êtes réincarné en sanglier ! Voilà donc un livre qui est à la fois un livre de recettes, un ouvrage de philosophie où l’on passe d’Aristote à Lacan : quel est donc cet objet insolite ?

 

Frédéric Grolleau :
Il est toujours délicat de spécifier ce qu’est un livre de ce genre. Les critiques littéraires qui l’ont lu y voient un objet curieux qui sort des normes. Mais je n’aime pas le présenter sous cet angle car je ne pense pas qu’il faille être absolument "original" pour être lu - même si c’est très "tendance" en ce moment ! - et que les médias s’intéressent à vous.

 

Caroline Gutmann :
Le plus important pour expliquer ce livre, c’est que vous êtes vosgien, non ? Vous connaissez la forêt vosgienne et vous connaissez ce dont vous parlez...

 

Frédéric Grolleau :
Pour faire écho à Michel Chaillou qui est présent, il faut dire que je suis vosgien de naissance, que j’ai habité pendant 15 ans près de Saint-Dié, mais vendéen de souche car issu d’une grande famille vendéenne (ma mère est née aux Sables d’Olonne où un des personnages de "1945", Alex, sert au bar du Pierrot sur le remblais, un lieu que je connais bien). Il se trouve par ailleurs que je suis un amoureux de la presqu’île de Crozon et du village de Roscanvel, non loin de Morgat où Michel Chaillou situe aussi une bonne partie de son histoire...
Il est vrai sinon que mon côté vosgien, la dimension "rustique" que cela sous-entend est sans doute très vendeur mais, plus simplement, "Le Cri..." renvoie à une volonté - non pas anti-parisienne car ce n’est pas à mes yeux le référent absolu - de me faire plaisir en traçant un cheminement animal, bestial, chacun le dit comme il le veut, à travers une figure qui n’est pas très interrogée.
En tout cas pas d’une manière aussi précise ou précieuse que je le fais. A savoir ce bon vieux sanglier qu’on a tous vu et lu à la fin des livres d’Astérix et Obélix dans une caricature assez intéressante. La gageure était de se dire alors : n’y a-t-il pas derrière la récurrence que je pointe de cet animal dans la littérature sous toutes ses formes et dans la philosophie (mais aussi le cinéma) quelque chose qui donne à penser ?

 

Caroline Gutmann :
Je vais être très choquante mais je pense que vous aimez le sanglier à cause d’une chose : ses organes génitaux car vous nous apprenez que ses testicules pèsent un kilo et qu’il a plus de sperme que n’importe quel cheval !

 

Frédéric Grolleau :
Oui, c’est un animal bien équipé ! Cela dit, si on apprend beaucoup dans ces pages sur le sanglier, c’est surtout parce qu’on le présente rarement sous cet angle en littérature. Cela m’a beaucoup amusé de jouer ici de la taxinomie, de l’éthologie, de la biologie pour les articuler autour d’un récit qui n’est jamais somme toute que le parcours emblématique de cette pauvre bête, pendant quelques jours de sa vie, de sa naissance à la traque finale.

 

Elsa Cohen :
Possédiez-vous déjà tout cet incroyable vocabulaire que vous utilisez dans "Le Cri du sanglier" et dans son glossaire ?

 

Frédéric Grolleau :
C’est évidemment parce que je ne le possédais pas - je ne le possède d’ailleurs toujours pas aujourd’hui ! - que j’ai écrit ce livre et que j’ai dû me l’approprier par mes recherches et de nombreuses lectures. Mon premier roman, "Monnaie de verre", traitait des souffleurs de verre de Murano et m’avait déjà demandé une grosse enquête sur place ainsi qu’un travail méthodique sur les mots employés par cette confrérie à part.
Reste qu’ici, même si l’on retrouve une même veine encyclopédique, les mots sont plus poétiques, à mi-chemin entre les termes en usage dans la vénerie depuis le Moyen Age et le patois local des chasseurs. J’ai d’ailleurs vu à ma grande honte qu’il y a deux ou trois termes soulignés dans le livre qui ne sont pas explicités dans le glossaire mais, à la limite, c’est encore plus beau et intriguant !
Certains qui ont lu cet ouvrage complexe qui est à la fois un roman, un essai et une fable m’ont fait ce beau compliment que, au bout d’un certain temps, ils avaient laissé les mots résonner, s’étoiler en rhizomes parce qu’ils préféraient deviner le sens du mot plutôt que de se référer au glossaire.

 

Elsa Cohen :
Oui, c’est toute une ambiance car tout comme le sanglier fouille la terre les lecteurs doivent ici fouiller (dans) les mots.

 

Michel Chaillou :
Ce qui m’ a beaucoup frappé, et qui fait toute l’originalité recommandable de votre propos, c’est ce personnage du sanglier qui parle et qui raconte sa vie. Mais en même temps c’est une chasse, et l’on sent qu’il est traqué. Mais c’est aussi une traque culturelle !
C’est-à-dire que le sanglier est dans sa forêt et en même temps dans la forêt des idées, contemporaines ou pas, qu’il écarte avec ses éclaboussures et sa manière de se tenir sur ses pattes. C’est donc là en définitive une fable très forte : le personnage est fort, les mots sont hérissés comme le pelage du sanglier en fuite, et qui parfois fait face. Il fait d’ailleurs (volte-) face devant les chiens beaucoup plus dans les notes que dans les parcours du récit !
Et ce avec un vocabulaire fascinant : peut-être avez-vous lu des traités du Moyen Age et du XVIe siècle ?

Toujours est-il que c’est assez facile à lire : les mots qui appartiennent au vocabulaire de la bête sont soulignés et renvoient à un index à la fin, mais ce qui frappe le plus c’est la volonté du sanglier de tout réduire à sa bauge, de tout ramener à lui, d’écraser ce qu’il a envie d’écraser mais aussi de s’y étendre avec mollesse, d’avoir peur de l’eau... etc.

Et l’on sent à certaines pages que l’on saute de la forêt hercynienne, ancienne et primaire, à la forêt des idées où Sartre est éclaboussé au passage. Mais jamais on ne perd de vue l’ombre traquée du sanglier, cette traque que fait le lecteur, qui est cerné lui aussi, notamment dans les notes imposantes : alors est-il du côté des traqueurs, de la meute, ou de la bête, c’est la question...

On ne sait pas trop car on est constamment entre les deux, tantôt on a un regard vers la meute en disant "non, non, ne m’écrasez pas, je suis avec vous !" et tantôt on a envie d’être avec le sanglier, même traqué.

Honnêtement, je trouve que c’est une entreprise, de la part d’un jeune homme, fort originale : "Le Cri..." du sanglier est un conte, et ça fait du bien dans la littérature narrative - où le fil du récit est toujours comme la carotte qu’on met devant l’âne, l’âne étant le lecteur et très sympathique mais bon... on en a souvent marre de ces ficelles qu’on doit tirer.
Ici, le récit est polyphonique : quand le sanglier est chassé, les assaillants arrivent de toutes parts et le lecteur se sent comme dans une citadelle, comme une bête assiégée. Ce qui est très intéressant.

J’aurais souhaité peut-être que ce récit écrit dans la verve témoigne de plus de verve encore. Mais c’est parce que vous êtes très jeune et un jour ou l’autre chez vous la verve redoublera de verve ! En tous les cas, c’est là un livre d’énergie, d’entrain, de gaieté sombre, et ce sont là les qualités du sanglier... et les vôtres.

 

Frédéric Grolleau :
Je vous remercie de cette belle lecture attentive. Vous savez, quelques journalistes ont souligné la dimension un peu difficile et exigeante de mon livre et m’ont demandé : "pour quel lectorat écrivez-vous ?" Ce qui me plonge dans l’embarras parce que je n’écris pas pour un lectorat qui serait déjà constitué mais parce que je n’attends qu’à ce qu’il se constitue, à la lecture du "Cri" notamment. Vous venez donc de leur répondre !

 

Elsa Cohen :
Est-ce que les recettes que vous donnez ici sont justes ?

 

Frédéric Grolleau :
Ce sont de vraies recettes, en aucun cas testées par mes soins parce que, comme vous vous en doutez, je ne tiens pas outre mesure à manger de sanglier, ni de marcassin ni de laie - à supposer qu’on puisse la mettre en daube.

Mais je reviens sur ce que disait Michel Chaillou, qui est très juste car l’objectif avoué de mon livre était de mettre le lecteur dans un état d’inquiétude - étymologiquement l’état de celui qui n’est pas à sa place, in-quietus.

Le lecteur qui suit cet animal somme toute sympathique, qu’on présente souvent comme un rustaud qui défonce les pare-chocs des voitures quand on le croise la nuit dans les bois (ce qu’il vaut mieux éviter d’ailleurs !), découvre au fur et à mesure que le sanglier a une "intériorité" - que je lui invente de fait.

Et en même temps, à mettre son cheminement en parallèle avec six recettes gastronomiques essaimées dans le corps du texte, le lecteur ne peut s’empêcher, à les lire, de saliver et de se dire que ça doit être bien bon un sanglier ainsi rôti.

Et ce, quand bien même il est tenté de prendre fait et cause pour l’animal en question, ce qui génère une forme de culpabilité que je souhaitais interroger, et qui est aussi la raison de ce livre. Les recettes ne sont donc pas là pour montrer qu’on peut aussi "le" manger, mais pour renforcer cette inquiétude-là.
Que nous sommes tous chasseurs quelque part, dans l’âme. Une ambiguïté que je trouvais intéressante.

 

Michel Chaillou :
Ce que vous appelez la compagnie, c’est la harde. Et je trouve à vous lire que l’organisation de la harde est assez démocratique et n’a rien de fasciste en définitive. On sent que le sanglier, si on lui donnait le temps de s’ébattre et de ne pas être pourchassé, inventerait la démocratie.
Il y a pour lui une facilité à se répandre dans les prés, à les fouir, et il sait qu’en fouissant les prés à certaine profondeur pour attraper les racines, il détruit les cultures et qu’à ce moment-là on va le pourchasser.

Mais si on lui donnait le temps d’être un peu cochon, notre sanglier serait un démocrate ! Il incarne l’art de la jouissance, de la volupté, du bonheur de vivre et du respect des aînés. J’ai trouvé très profond que le sanglier, lorsqu’il prend de l’âge, vers 5 ou 6 ans, s’éloigne de la harde et vive seul.

Je me disais que tous les êtres s’éloignent un peu intérieurement de la harde et vivent seul un jour. Et qu’écrire c’est peut-être s’éloigner tout en étant près...

 

Caroline Gutmann :
Le sanglier pratique l’art de l’humanité finalement...

 

Frédéric Grolleau :
L’enjeu du livre consiste à montrer que le sanglier n’est justement pas si "animal" que cela ! Plus proche de nous en tout cas qu’on pourrait le penser.

 

Michel Chaillou :
Une fois de plus, je trouve remarquable cette fable d’un personnage - ne l’appelons plus sanglier - hirsute, velu, hérissé, sentimental, lyrique, doté d’un grand pouvoir sexuel et d’un grand pouvoir de pensée, qui fonce dans quelque chose qui pourrait être une forêt (mais ça pourrait être tellement autre chose !), dans les halliers de l’esprit, et qui de halliers de mots en halliers de mots arrive à des clairières possibles où on peut déguster une recette, mais qui ne serait pas la sienne !
C’est tout le livre, et c’est un livre sauvage !

 

Frédéric Grolleau :
Oui, je l’ai écrit tel quel, sans que l’ordre des chapitres proposés soit remanié (hormis les recettes que j’y ai intégrées ensuite). Je voulais aller crescendo en partant d’un niveau zéro de l’hédonisme pour atteindre via les divers degrés de la barbarie (qui n’est pas animale mais humaine) un état autre.

C’est un animal qui, si on le laissait faire, parviendrait assez bien aujourd’hui à réglementer son train de vie, d’où la question suivante : quel est l’intérêt de ceux qui le traquent ?

 

Caroline Gutmann :
Vous parlez de choses terribles, tels les pièges électriques...

 

Frédéric Grolleau :
Le pire est qu’il s’agit d’une authentique réclame ! Tout comme les documents et les dépêches AFP qu’on trouve dans l’ouvrage sont de vrais documents.

 

Elsa Cohen :
J’ai beaucoup aimé pour ma part "les questions à un perdant-né", sorte de questionnaire proustien pour animal ! Si on lui donnait le temps, il serait artiste et il lirait des comptines...

 

Caroline Gutmann :
Il y a toute une poésie du sanglier ; il est entouré d’oiseaux par exemple, qui le poursuivent parce qu’il cherche des vers...

 

Michel Chaillou :
Oui, Frédéric Grolleau cite en exergue à ce sujet Florian, un des auteurs préférés de Voltaire.

 

Frédéric Grolleau :
Une fable qui est d’ailleurs dans la logique de l’in-quiétude et du déplacement dont je parlais tout à l’heure... J’étais ainsi moi-même dans une situation professionnelle de traque lorsque j’ai écrit ce livre, qu’on peut lire de diverses manières.

J’étais alors plutôt sanglier que chasseur, et c’était donc là une manière métaphorique de vivre correctement cette situation, c’est-à-dire de la rendre supportable. Voire d’y survivre.

 

Caroline Gutmann :
Lorsque vous parlez de Lacan, Frédéric Grolleau, vous écrivez : Dans l’effacement de la trace, trace de l’effacement, un vieux thème lacanien, le doute est permis : cherchons-nous sans résultat patent à oblitérer les marques que nous avons laissées, ou travaillons-nous au contraire à laisser après notre passage des marques obvies de notre présence ? C’est toute la problématique du sanglier d’après vous ?

 

Frédéric Grolleau :
La question est celle de l’empreinte, et de son sens. Ce qui vaut pour l’animal mais aussi pour celui qui écrit le livre. Ecrire c’est aussi laisser une trace pour ceux qui vont nous lire, à la postérité.
Or dans la traque du sanglier il y a tout un travail d’effacement de la trace par les chasseurs, mais si l’on pousse la métaphore à son comble, si laisser au sanglier une place dans la littérature c’est écrire sur l’inquiétude, l’isolement - qui n’est pas la solitude, qui n’est pas la désolation, Hannah Arendt a consacré à ces distinctions de belles analyses dans "Le système totalitaire" - alors pourquoi écrivons-nous ? est-ce pour laisser une trace que nul ne pourra ou ne saura effacer ou pour s’effacer soi-même constamment à chaque instant ?

Entre le "1945" de Michel Chaillou et "Le Cri du sanglier", toute la différence, mais c’est une différence qui nous rapproche sans doute, c’est que le cauchemard que moi je cherchais à inventer pour m’y repaître, vous vous l’avez vécu, Michel. Car étant un jeune auteur, je ne puise pas aujourd’hui dans ma vie pour construire un récit ou me reconstruire, ou proposer un modèle intelligible à des événements que j’aurais traversés...

 

Michel Chaillou:
C’est juste, mais vous savez, pour moi, un écrivain c’est une langue. On n’est jamais sûr d’être un auteur, d’ailleurs la plupart des gens rédigent, ils n’écrivent pas. C’est un talent car on peut rédiger magnifiquement mais bon...

L’écriture, au contraire, c’est une manière très personnelle d’entrer en soi qui fait qu’en ouvrant le livre de quelqu’un on sait de suite si on a affaire à un écrivain ou non. Or vous êtes un écrivain, Frédéric, un écrivain qui ne maîtrise pas encore son projet, ce qui est normal vu votre jeunesse.

Donc cette espèce de sanglier des Ardennes fonceur m’a beaucoup ému parce que j’y ai senti une force de catapulte vers des projets futurs, vers l’azur de vos pensées, qui pourraient vous entraîner du côté du conte plus que du roman. Vers une sorte d’énergie soufflée par on ne sait qui, parce que écrire c’est écrire de nuit et avancer en somnambule en essayant de retrouver le contour des objets, des idées et des pensées.

Sans trop savoir ce qu’elles sont à l’aube. Et votre sanglier somnambule qui fonce à travers lui-même en même temps qu’il fonce à travers les choses et l’univers du monde finira par déboucher dans des astres ignorés de votre pensée, et à ce moment-là vous inventerez votre propre système gravitationnel.

 

Frédéric Grolleau :
Si on ne m’abat pas avant ! Parce qu’on peut abattre quelqu’un de plein de façons : éditer un livre c’est aussi une manière de dire : "je suis assez connu, surtout ne tirez pas à vue !" ou au contraire : "épaulez et sortez la grenaille !"

 

Michel Chaillou :
Oui mais on peut éviter les balles... et le sanglier a quand même un fort poitrail !

 

Caroline Gutmann :
Un sanglier qui d’ailleurs rejette tout rapprochement avec "Truismes", pourquoi ?

 

Frédéric Grolleau :
Il y a de nombreux glissements dans ce texte parce que le sanglier ne tient pas toujours sur ses pattes, et où le texte lui-même m’a échappé, et tant mieux !
Le lecteur peut à bon droit se demander alors : est-ce le sanglier qui parle ou l’auteur qui écrit sur le sanglier ? Ou un hybride entre les deux ? Il n’est pas exclu que je sois devenu un peu sanglier en écrivant ce livre...

Or dans cette logique-là, "Truismes" était consacré à la métamorphose d’une jeune femme qui se muait en truie, et mon point de vue est plus masculin dans "Le Cri..." puisque je ne suis pas dans la peau d’une laie, la femelle du sanglier ou la mère du marcassin, mais dans celle d’un sanglier.

Et je ne travaille pas ici sur la notion de métamorphose. Il est plein de récits de la métamorphose qui sont fondateurs en littérature, je songe à "Die Verwandlung" de Kafka, à "La ferme des animaux" d’Orwell, mais moi je suis dans un conte, dans une fable. Ces textes m’intéressent en tant que philosophe puisqu’ils sont à la charnière entre humanité et animalité, mais je ne souhaitais pas mettre cela en avant ici.

C’est pourquoi mon sanglier, qui jouit d’une Bibliothèque digne de ce nom, comme tout (homme) lettré qui se doit, réfute Darrieussecq qui est trop contemporaine pour lui être agréable.

 

Caroline Gutmann :
Michel Chaillou, vous avez été très sensible aux textes en annexe dans le livre de Frédéric Grolleau, dont le poème de Banville et la légende mauresque du sanglier aveugle.

 

Michel Chaillou :
Tout à fait, cette dernière histoire va loin. Il y a deux sangliers, on en tue un et on ne sait si l’autre est blessé ou mort. Quelqu’un, Baodil, s’approche et voit que ce dernier a dans la gueule un morceau de la queue du sanglier mort : en fait ce sanglier qui est vivant est aveugle et se servait de la queue de son congénère pour pouvoir marcher. Baodil prend alors ce morceau de queue qui dépasse et le sanglier aveugle se met à le suivre, Baodil l’amenant vivant à la cour du Roi.

Cela m’a interpellé intérieurement, j’y ai réfléchi et je me suis dit : quand on écrit, ne serait-on pas un peu comme ce sanglier aveugle qui aurait quelque chose dans la gueule et que quelqu’un tirerait ? C’est ce qui ferait que je m’intéresse, sans être croyant, à des écrits religieux tels que la Bible, le Talmud.
D’où la question : est-ce cela la queue qui est dans ma bouche et que quelqu’un tire ? Que je m’intéresse à l’astronomie et pas à l’astrologie : est-ce cela la queue qui est dans ma bouche et que quelqu’un tire ? Que je m’intéresse aux hommes et surtout à l’humanité : est-ce cela la queue qui est dans ma bouche et que quelqu’un tire ?

Le livre de Frédéric Grolleau se termine quasiment par ce quelque chose qui est dans la bouche et que quelqu’un tire. Je trouve cela très beau et l’on est dans l’expectative des livres futurs.


Propos enregistrés le mardi 23 mars 2004 au cours de l’émission Postface de RCJ (94.8 FM) et retranscrits avec l’aimable autorisation de Caroline Gutmann.

 

 

 

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