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L'Ennemi Intime (exposé CPES)

Publié le 13 Janvier 2013, 23:44pm

Catégories : #Philo & Cinéma

Exposé par G. G., CPES, Saint-Cyr, 2012

 

L'Ennemi Intime

 

Intro: L'ennemi intime est un film de guerre français réalisé par Florent Emilo Siri, sorti en 2007. Ce film se déroule en 1959 pendant la guerre d'Algérie. Après la mort de son prédécesseur, le jeune lieutenant Terrien un appelé du contingent (interprété par Benoit Magimel) prend le commandement d'une section de l'armée française dans les montagnes de Kabylie. Idéaliste et moraliste, ce jeune officier se retrouve vite en échec face à une guerre qui le dépasse par son aspect non-conventionnel. Il est épaulé par un personnage qui est son opposition parfaite; le sergent Dougnac (joué par Albert Dupontel) qui, lui, est soldat de métier et d'expérience, ayant combattu notamment en Indochine. Ce personnage se présente comme une sorte d'antihéros et représente l'antithèse de la philosophie du lieutenant. Le sergent est un personnage réaliste et pragmatique qui s'adapte à son ennemi pour le vaincre; il n'hésite pas à commettre ou laisser commettre des actes qui peuvent être vu comme moralement inacceptable.

Le film montre petit à petit une décente aux enfers du lieutenant terrien qui agissant sous l'influence de son sergent et les ordres ses supérieurs et ne respecte plus la morale qu'il s'était dicté. Entrant dans un véritable cercle vicieux pour l'accomplissement de « sa guerre », il se découvre en lui un ennemi intime.

 

Introduction: En nous montrant l'opposition entre les deux protagonistes, les réalisateurs du film opposent plusieurs thèses politiques et philosophiques. Le film s'efforce à ne prendre aucun parti et laisse beaucoup de libre-interprétations à ses téléspectateurs.

Le film aborde de nombreux thèmes et concepts philosophiques tels que la morale, l'éthique, la raison et la justice ainsi que des aspects de psychanalyse comme la violence, la folie et la vengeance.

La guerre d'Algérie est un contexte très particulier car elle n'est pas une guerre conventionnelle, on peux assimiler ce conflit à une guerre civile car elle se déroule sur le département français d'Algérie entre des militants pour l'indépendance et les loyaux envers le gouvernement. L'État français n'a reconnu la guerre d'Algérie qu'en 1999, auparavant qualifiée « d'opérations de maintient de l'ordre ». Cette guerre est avant tout une guerre psychologique entre les fellaghas et l'armée française , le FLN Front de Libération Nationale cherche à faire pression sur la population, et à utiliser la population algérienne à son avantage en la menaçant de massacres. Le contingent français cherche à éradiquer ce mouvement minoritaire et n'hésite pas à utiliser des méthodes comme la torture pour combattre cet « ennemi invisible ». Le film nous montre les exactions qui sont commises dans les deux camps; le massacre d'un village ayant aidés des français par les fellaghas et la mutilation de soldats français abattus par le FLN. Et côté français, la torture comme moyen d'investigation ainsi que l'utilisation du napalm et l'exécution de prisonniers de guerre.

D'après le film nous pouvons nous interroger sur la question suivante: la morale peut-elle survivre dans le cadre d'une guerre psychologique? Nous verrons dans une première partie que l'homme doit se conduire moralement et avec raison, ensuite nous verrons que pour s'adapter à certaines situations nous agissons en fonction de la nécessité et enfin que ces agissement en contradiction avec la conscience morale entraînent des troubles psychologiques.

 

  1. L'homme doit se conduire moralement et avec raison

Nous allons voir les différents aspects de la morale qui ressortent dans ce film. Le personnage de Terrien est par définition l'homme moral, refusant tout acte ne correspondant pas à l'éthique guerrière comme le tir délibéré sur des civils, la torture d'un prisonnier ou même le mauvais traitement des civils en général. Il reste cependant un soldat, ayant accepté de donner la mort si c'est nécessaire pour la protection de son pays, mais il est au service d'une juste, menée de manière traditionnelle.

Selon Kant, la morale est universelle, elle est innée à tout homme et il ne doit pas la remettre en cause, quel que soit la situation. Ici, Terrien tente de respecter cette morale absolue, il applique l'impératif catégorique dans le contexte de la guerre. L'impératif catégorique est la loi morale dont toutes les maximes sont universelles et inconditionnelles. Terrien tente à travers le film de respecter cet impératif, il affirme que la morale prime sur toutes les institutions et ordres qui ne lui correspondent pas; « Quand un ordre est moralement inacceptable on se doit de le refuser ». Comme vu dans l'extrait, il est indigné par les hommes méprisants cette morale.

L'homme est définit par Kant comme fin en soi. Ce statut lui confère sa dignité en tant que fin et non comme un moyen, sa valeur est incomparable et inconditionnelle. C'est de cette idée que le jeune lieutenant est imprégné et remplissant son rôle de chef, il tente d'inculquer a ses hommes. La torture est donc selon Kant car quelques soit les enjeux, la violence n'est pas légitime car le torturé est nié comme personne et vu uniquement comme objet de renseignements.

 

Cependant le fait même de faire la guerre est donc un acte immoral puisqu'il autorise à tuer d'autres hommes. La morale de Terrien peut donc être remise en cause, car non-applicable à la guerre. On parlera plutôt d'éthique guerrière.

Le Jus in Bello droit dans la guerre (à ne pas confondre avec le jus ad bello). Est une sorte de réglementation de la guerre, pour être considéré comme juste, elle doit être éthiquement acceptable. Et pour cela, elle interdit toute sortes de crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Le Jus in Bello n'est pas à l'inverse de la convention de Genève un traîté international de droit. C'est une éthique guerrière que les soldats se doivent de respecter qu'il veulent garder une légitimité. Terrien croit en la guerre d'Algérie, mais selon lui, les pratiques comme la torture où la mise en danger de populations civiles seraient « contre-productifs » pour acquérir la notoriété et l'influence vis à vis des populations et de la métropole. On voit dans ce film que les fellaghas ne respecte aucunes formes d'éthique militaire; massacrant des civils et mutilant les soldats. Terrien « on ne peut répondre à la violence par la violence » selon cette éthique, le soldat français se démarque du fellaghas comme un soldat de la liberté et de la justice s'il respecte le jus in bello.

Le lieutenant Terrien est également un porte parole des droits de l'homme en tentant d'interdire la torture. On voit dans le film qu'il lit Pierre Vidal-Naquet. Cet auteur français critique la thèse de la torture comme une « réponse répréhensible à la barbarie par la barbarie ». Il dénonce dans son texte La torture dans la République, l'attitude des autorités françaises utilisant la torture comme moyen d'investigation et d'obtention de renseignements. Le lieutenant Terrien est conscient que la torture est vue en métropole comme une pure barbarie des soldats français.

Comme en témoigne le manifeste des 121 où divers intellectuels français condamnent l'action militaire en Algérie et la désinformation que fait l'État à propos de la réalité de cette guerre. Cet appel prône la désobéissance militaire et l'indépendance de l'Algérie. C'est avant tout les actes vus comme immoraux commis par les français qui poussent ces intellectuels à protester au nom des droits de l'homme. La torture est montrée du doigt dès les idées des lumières et notamment par Voltaire dans son texte Torture, une fois de plus vu comme un usage de la violence injustifiable sur l'être humain; parlant de l'interrogatoire du chevalier de La Barre torturé pour obtenir quelques aveux inutiles avant d'être exécuté. On peut donc dire que la torture est philosophiquement injustifiable et c'est ce que le lieutenant Terrien tente d'appliquer.

Pourtant, à la morale, ou plutôt l'éthique du lieutenant Terrien s'oppose le point de vue réaliste, pragmatique et même pratique des militaires comme le sergent Dougnac ou le capitaine Berthault. En effet ces deux soldats professionnels, imprégnés de leurs expérience de l'Indochine savent que les actes qu'ils perpétuent sans gaité de cœur ne sont que des nécessités pour préserver la vie de leurs hommes ou même celle des civils.

 

II. Pour s'adapter à certaines situations agir en fonction de la nécessité

Dans l'extrait où Berthault montre les photos de victimes de massacre à Terrien, il légitimise la loi du talion. Comme le rappel Hegel, la vengeance n'est pas injuste car elle respecte la loi du talion.

La vengeance est la première et la plus ancienne manière de justice, en punissant l'agresseur , elle rétablit l'égalité brisée par le crime. La loi du talion veut que l'on rende « œil pour œil, dent pour dent »; ainsi pour un français exécuté par le FLN, l'armée française peut s'autoriser la même pratique. La loi du talion vient à l'origine du code d'Hammourabi, recueil de lois du roi de Babylone qui régna entre 1792 et 1750 av JC. Berthault veux donc par le biais de cette loi nourrir la « guerre psychologique visant à intimider le FLN et dissuader ma population de le rejoindre. Cette thèse s'oppose totalement à celle prônée par Terrien, mais elle est la justice du terrain, les hommes livrés à eux-mêmes n'ont que peu d'alternatives; De plus, la torture n'est pas un moyen de répression, mais un moyen de renseignement. La loi du talion n'est donc valable que pour le fait d'oublier que la torture est immoral et non pour la justifier.

Selon le point de vue de Berthault et de la plupart des officiers français pendant la guerre d'Algérie, notamment le général Massu ou encore le colonel Bigeard; l'emploi de mesures exceptionnelles comme la torture se justifie par ses enjeux. En effet s'il faut torturer un homme pour en sauver 100, l'acte bien qu'immoral est nécessaire. Ce point de vue est en totale contradiction avec la thèse de Kant, mais se réfère à la philosophie de Machiavel et sa citation « la fin justifie les moyens ». Selon Nicolas Machiavel la conquête et la conservation du pouvoir se fondent sur la manipulation des sentiments grâce à toutes sorte d'actes moralement répréhensibles. Par exemple, dans la guerre d'Algérie; la bien commun de soldats français et de la population civile algérienne est préférable à la dignité d'un ennemi. Torturer un fellagha est donc une nécessité si sa fin est de sauver des hommes. De même exécuter un prisonnier de guerre est un moyen machiavélique d'éviter qu'il ne s'enfuie et d'intimider les autres. Ces actes sont donc acceptables selon Berthaut ou Dougnac si ils mènent à une forme de justice et de réussite.

Terrien est confronté face à Berthault à l'utilitarisme, l'utilitarisme est une doctrine éthique qui prescrit d'agir ou ne pas agir de manière à maximiser le bien global. Le sacrifice d'un ennemi n'est donc pas injustifiable bien qu'il soit immoral.

 

Enfin pour justifier la violence dont usent les soldats français, on peu parler de la thèse de Nietzsche dans son texte « De la guerre et des guerriers » tiré de Ainsi parlait Zarathoustra. Selon Nietzsche, c'est la doctrine guerrière qui justifie le combat acharné. Les fellaghas luttent violemment contre les français par haie envers ceux-ci, les français en font donc de même et sans ménagements. Les guerriers n'ont pas à justifier leur lutte aussi brutale qu'elle soit, car elle n'a pour seul objectif que la paix. Les français ne sont à l'origine en Algérie que pour maintenir l'ordre sur le territoire. Selon cette thèse de Nietzsche qui illustre la pensée de Berthault et Dougnac, « la bonne guerre sanctifie toute cause », « ce n'est pas votre pitié, c'est bien votre bravoure qui sauva jusqu'à présent les victimes ». le combattant ne fait qu'accomplir son devoir comme le dit Berthault dans le film « j'obéis aux ordres ». Et mener la guerre comme en l'entend n'est que l'accomplissement de ce devoir et de la force du guerrier.

Selon certaines thèses philosophiques illustrés par les personnages du film. On peut donc céder à personnages du film. On peut donc céder à quelques actes s'il amènent un résultat positif. C'est ce qui a réellement été fait en Algérie; pour combattre une guérrilla, les méthodes traditionnelles ne fonctionnent plus. Aujourd'hui, dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, beaucoup d'États usent encore des méthodes comme la torture. Dans le cadre de la contre-rébellion et du combat contre une guérrilla qui se mêle aux civils; les victimes civiles sont inévitables. Quand Dougnac fait ouvrir le feu sur les fellaghas déguisés en femmes, il s'adapte à son ennemi mais commet un acte dangereux car il n'a aucune réelle certitude que ces femmes sont des fellaghas déguisés. En revanche quand Terrien fait la même chose par nécessité pour protéger le sergent, il abat accidentellement des femmes qu'il n'avait pas parvenu à identifier. Ceci montre la limite des actes « immoraux mais efficaces », ils causent inévitablement des victimes collatérales. Et, agissent en contradiction avec la conscience morale innée à l'homme, elle le détruit de l'intérieur, le laissant proie à sa haine.

 

III. Les agissements en contradiction avec la conscience morale entraînent des troupes psychologiques

Nous avons vu que la guerre d'Algérie était une guerre non-conventionnelle et que les combattants français ont eu recours à des méthodes en contradiction avec l'éthique militaire et la morale. En utilisant la loi du talion, les soldats combattent parfois par simple haine et vengeance pour leurs camarades tombés et mutilés. Cette volonté de vengeance couplée à la culpabilité liée au crimes de guerre engendrent la folie chez certains soldats. En particulier Terrien qui ayant totalement remplacé sa morale par un sentiment de haine et un « ennemi intime », il devient littéralement fou et perd toute notion de morale, au point de ne plus vouloir voir sa propre famille ne correspondant plus à l'homme qu'il est devenu. 

La haine est un sentiment qui prend la place de l'idéologie dans l'esprit de certains personnages. Selon Emmanuel Kant, dans Anthropologie la haine est « une des passions les plus violentes et qui s'enracine le plus profondément dans l'âme humaine ». Kant distingue la haine de la colère, la haine s'enracine tandis que la colère est passagère. La haine se divise entre la haine d'aversion, d'écartement et la haine d'agression. C'est bien entendu de cette dernière qu'il est question dans le film. Dans L'Ennemi Intime les soldats et le lieutenant Terrien connaissent un bouleversement après l'exécution de leur camarade Legrand et du capitaine Berthault. Par haine vengeresse, les soldats s'en prennent à un village qui abritait deux fellaghas et des armes. Le lieutenant autorise les exécutions sommaires et participe à la torture du prisonnier, il n'est ni motivé par son éthique d'antan, ni par l'utilitarisme, il est dominé par la haine. Et cette haine se reflète sur ses hommes qui n'ont plus aucuns repères. En exécutant le prisonnier, on voit que le lieutenant n'a plus aucunes moralité, il obéit aux ordres, il est devenu la guerre.

La conscience morale est une capacité propre à l'homme de pouvoir juger ses propres actions en bien comme en mal, qui, si elle est susceptible de nous faire éprouver du remord et de la mauvaise conscience, fait pourtant notre dignité. Le remord et la culpabilité animent donc également les soldat après leurs actes. Quand Dougnac ordonne à Saïd de le torturer c'est pour ressentir l'horreur qu'il a fait subir à ses prisonniers. Il est rongé par la culpabilité et cherche à se repentir. Dougnac est un personnage torturé par lui même, par ce qu'il a fait. Il devient alcoolique pour oublier. Il tente une fois de se suicider et enfin pour fuir définitivement cette guerre qui à eu raison de lui, il déserte.

On peut conclure que ce film nous montre la guerre d'Algérie comme une guerre amorale, extérieure à toute morales. On ne peut réellement juger les français qui en trahissant l'éthique guerrière n'ont fait que tenter de remplir leur devoir. Ce film nous montre également le point auquel la guerre peut détruire un homme moralement. Que les horreurs subies et perpétrés par certains soldats sont le résultat d'une véritable partie de la réalité, de culpabilité envers eux même et de haine envers l'ennemi.

 

Ce film nous montre un aspect historique assez mitigé sur certains points, il ne faut pas considérer le cas du lieutenant comme une généralité, mais on peut tout de même féliciter le travail psychologique et philosophique du réalisateur sur l'étude de ce cas. Pour appuyer le fait que cette guerre d'Algérie est un cadre amoral, on peut constater la conclusion du film où l'enfant symbolisant l'innocence et la morale, protégé par le lieutenant, brutalisé par le sergent, tue Terrien et se dévoile comme le traitre recherché qui est responsable de nombreux morts. Preuve que protéger cette morale n'était pas possible et qu'elle n'existe donc pas dans le cadre de la guerre psychologique.

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