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"Peut-on répondre au sceptique ?" (Bac blanc lycée naval de Brest, décembre 2023)

Publié le 10 Janvier 2024, 18:44pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés), #Dissertations d'élèves

 "Peut-on répondre au sceptique ?" (Bac blanc lycée naval de Brest, décembre 2023)

Proposition de traitement par Mr Ywan Gérard, T1, lycée naval de Brest, décembre 2023

“Tu me vois donc tu me crois, heureux ceux qui croient sans avoir vu” disait Jésus à Saint-Thomas en réponse à son incrédulité. En d’autres termes, l’incrédulité, ou plutôt le scepticisme, du grec “skepsis” et voulant dire “douter”, n’apporterait que le malheur. Il faudrait donc croire dans la vie pour trouver le bonheur. Par conséquent, le scepticisme peut être vu comme le fait de douter de tout ce qui n’a pas de preuve. Un sceptique ne croit donc pas, puisque la croyance, du latin “credere”, est l’attachement d’un sujet à un objet, et où le sujet tient pour vraie sa véracité, sans preuves. D’autre part, on pourrait aussi définir le scepticisme comme le fait de réfuter la croyance et ses réponses.
Face à cela, existe-t-il alors des réponses aux doutes du sceptique ? Puisque la croyance ne se base sur aucune preuve, une réponse quelle qu’elle soit ne serait que rejetée par le sceptique. On peut aussi définir le scepticisme comme le fait de réfuter la croyance et ses réponses.

Par conséquent, et puisque le sceptique remet en question ce que beaucoup prendraient pour vrai, est-ce une bonne chose que d’être sceptique ? Si seule une réponse prouvée peut le persuader, y a-t-il une réponse à apporter au sceptique ? Et pour ce qui est de ses doutes, peut-on l’amener à être critique quant à ses propres doutes ? En somme, “peut-on répondre au sceptique ?” 

Nous verrons tout d’abord le bien-fondé du scepticisme. Puis qu’il existe une réponse à apporter au sceptique. Enfin, nous analyserons si une éventuelle réponse serait nécessaire face au sceptique.
Ce développement nous amènera donc à savoir si la réponse au sceptique, c’est-à-dire à l’homme qui doute, est vaine, ou si nous pouvons lui répondre, quelle que soit la nécessité de le faire.


 

Voyons tout d’abord le bien-fondé que d’être sceptique.
Pour Descartes, dans son œuvre
Méditations Métaphysiques, de 1641,  la preuve de notre subjectivité - dans le sens où nous sommes sujets, doté d’une conscience - réside dans le doute. Pour appuyer sa thèse, il a théorisé l’existence d’un malin génie, un être qui altérerait volontairement notre perception du monde. Ainsi, tout ce que nous savons serait faux. Ce postulat nous amènerait donc à douter de tout : de la couleur de la mer, de la présence de bateaux sur cette dernière, alors même que nous pensons les voir, par exemple.
A ce doute cependant, une chose résiste, notre conscience. Car si nous doutons de notre doute, alors nous sommes obligatoirement en train de douter, et donc nous sommes des êtres  vivants, mais surtout nous sommes des sujets. Car, en doutant, nous pensons. En doutant, le sceptique se rassure donc de sa conscience.

Cela pourrait paraître anodin, voire enfantin, de se rassurer d’une telle évidence. Pourtant, la croyance poussée à son paroxysme donne la crédulité, soit le fait de croire en tout sans chercher de preuve. Cette crédulité amène le sujet à ne plus douter, à ne plus penser : le sujet s’assujettit à ses croyances - où l'assujettissement est au sens de Foucault, soit un sujet soumis par le contrôle et la dépendance, mais point à un autre sujet, mais bien à un objet. Nul ne peut donc se moquer d’un sceptique parce qu’il doute, car en le faisant, il est autant, voire plus sujet que nous le sommes.

Dans  le film “Matrix” - réalisé par Les Wachowski, et sorti en 1999 -, le personnage a le choix entre croire au monde qu’il perçoit, et remettre en question l’intégralité de ses connaissances et perceptions. Car s'il pense être sujet à part entière, il est en réalité assujetti à une espèce supérieure. Rattaché au sceptique, nous voyons bien ici que le doute est, au-delà de l’affirmation de la subjectivité, une nécessité de survie. Cela peut aussi nous faire penser au “cerveau dans une cuve” de Putnam dans son livre Raison, vérité et Histoire. Un cerveau est placé dans une cuve de nutriments et se trouve relié à un superordinateur. Le savant derrière cet ordinateur contrôle le cerveau, qui croit être réellement dans la situation que le savant envoie par l’ordinateur. Ici, le doute permet aussi d’éviter les subterfuges et de mieux se représenter le monde. Ainsi, le doute du sceptique est une bonne chose car il évite à ce dernier l'assujettissement. Cependant, un trop grand scepticisme serait contre-productif, car si douter est une bonne chose, douter de tout empêche d’avancer, car le sujet ne croirait en rien et serait perpétuellement dans un statu quo.

Par conséquent, et puisque nous ne sommes pas tous sceptiques, existe-il une réponse pour convaincre le sceptique ?

  Ensuite, voyons qu’il existe une réponse à apporter au sceptique. 
Hegel disait que “croire, c’est être certain de Dieu autant que de soi-même”, c’est-à-dire que la croyance est aussi une forme de subjectivité. Cela est dû au fait que le fait de croire est inhérent au sujet, puisque comme le Sartre “un caillou ne pense pas”. Ainsi donc, le scepticisme et la croyance rendent l’homme sujet. Si le sceptique a donc peur de perdre son statut de sujet, il suffit de lui rappeler que croire le rend autant sujet qu’il l’est déjà.
Cependant, cela ne répond pas à tout, alors il s’agirait de questionner la solidité du doute du sceptique. Puisque le sceptique peut incarner le refus de croire, alors le sceptique peut être questionné sur les raisons de son refus. Si ces raisons sont liées au doute de ce qui n’est pas prouvé, on peut ce faisant confronter son doute à lui-même. En d’autres termes, il faut l’amener à douter de son doute. puisque, telle la multiplication en mathématiques de deux nombres négatifs, moins fois moins est positif. Ainsi, en amenant le sceptique à douter de la nécessité de douter, alors il se retrouverait dans une position où son refus de croire, ou sa demande de preuve serait invalidée. Cela fonctionne aussi pour la question de la subjectivation, puisqu’en le faisant douter de son assujettissement, alors il croirait, avec pour preuve de sa subjectivité, le fait de penser qu’il fait quelque chose de subjectivant.

Il existe donc une réponse face au doute du sceptique, et c’est le doute lui-même. L’arme du sceptique est donc aussi sa faiblesse. Cependant, comme nous l’avons dit, tout homme n’est pas sceptique, au contraire, nous ne sommes pas tous croyants non plus - non au sens religieux, mais au sens large du terme, nous ne croyons pas tous sans preuve-. Il y a donc un mélange au sein de notre société. Nous ne pouvons pas être d’accord sur tous les sujets.
Alors est-ce légitime de répondre à son doute , ou plutôt, peut-on lui répondre ?

 

Enfin, on peut amener le sceptique à douter de ses propres doutes.
Puisque nous avons montré qu’il existe une réponse à opposer au sceptique, voyons à présent si on peut la lui opposer, et si cette possibilité doit se transformer en un devoir. 
“Pour aller là où tu ne sais pas, prends le chemin que tu ne connais pas” disait Saint-Jean de la Croix dans La montée du carmel de 1618, Soit, c’est en sortant des sentiers battus qu’on découvre de nouvelles choses. Cela peut être opposé au sceptique qui, refusant de croire, décide de rester sur ces sentiers battus sans en changer. Il semble donc légitime de répondre au sceptique, puisque sinon, jamais il n’avance.
Cependant, si nous pouvons avoir la volonté de changer sa pensée, n’aurait-il pas lui aussi la légitimité à faire changer la nôtre ? Nous pensons que si. Il n’y a pas qu’une vérité, il y en a autant que de perception du monde. Ainsi, l’opposition entre le sceptique et le croyant semble plus être un opposition entre leurs vérités respectives. Si nous voulons donc lui répondre, alors il faut qu'il puisse aussi le faire, non qu’il n’en ait pas la possibilité, mais nous devons accepter que cela soit possible.

Enfin, nous pouvons penser que le sceptique a aussi le droit de douter. Spinoza, dans son ouvrage Traité Théologico-politique de 1670, montre que la croyance est du domaine privé autant que la loi est du domaine public. A l’image donc de la croyance, le doute appartient à chacun, et chacun est souverain de son scepticisme. S’il peut être donc légitime de remettre en question le doute d’une personne, on ne peut toutefois pas se désigner souverain de ce dernier. Et ce, d’autant plus qu’étant autant sujet que nous, le sceptique est donc à “une distance infinie et absolue” de notre conscience pour citer Levinas dans Totalité et Infini de 1961. Vouloir alors décider de ses doutes serait un dialogue de sourds puisque nous sommes diamétralement différents.

Nous pouvons donc remettre en question les doutes d’un sceptique. Mais cette remise en question est réciproque, le sceptique peut lui aussi remettre en question nos croyances. A ceci près que cette remise en question ne doit pas être un assujettissement d’une ou l’autre partie. Aussi, puisque le sceptique est nécessaire à la société - permettant d’apporter un regard contraire aux dogmes en place, autrement dit aux dires donnés pour vrais par la société et ses institutions, étatiques comme religieuses- laissons le douter.

 

 

Nous avons vu que, nonobstant que le scepticisme soit une chose positive pour l’homme, voire bénéfique, pour ne pas être piégés dans une pensée unique, nous avons déduit que le doute permet de répondre au sceptique. Enfin, cela permet d’affirmer qu’on peut répondre au sceptique. 
Ici le sceptique n’est personne, il est un et tous les sceptiques à la fois. Si Jésus dit que la croyance amène au bonheur, rappelons-nous de A. Camus voyant Sisyphe heureux dans Le Mythe de Sisyphe de 1942. A cette image, attachons le sceptique et à notre tour, imaginons-le heureux de douter.

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