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itw RCJ sur Le cri du sanglier

Publié par frederic grolleau sur 29 Décembre 2005, 17:52pm

Catégories : #ENTRETIENS avec FG

Lors de l’émision Postface du 23 mars 2004 - diffusée sur RCJ, 94 .8 FM - il n’a pas fallu moins de trois lecteurs émérites pour vermiller à coeur joie dans l’œuvre sylvestre qu’est "Le Cri du sanglier". Bon sire, Frédéric Grolleau les guide à travers chalées et coulées... jusqu’à son chaudron secret d’honorable lettré. Il ne nous reste plus qu’à leur filer le train - pour une traque littéraire des plus pacifiques...

Caroline Gutmann :
Michel Chaillou, nous vous avions reçu la semaine dernière dans l’émission Postface pour "1945" (Seuil, 2004) et vous étiez curieux de découvrir avec nous l’auteur du "Cri du sanglier" (Denoël, 2004), un amoureux des mots comme vous.

Quant à vous, Frédéric Grolleau, vous faites paraître un livre insolite, tant par la forme que le fond où l’on va apprendre ce que sont les boutis, le fait de vermiller, la volupté de la souille et où vous êtes réincarné en sanglier ! Voilà donc un livre qui est à la fois un livre de recettes, un ouvrage de philosophie où l’on passe d’Aristote à Lacan : quel est donc cet objet insolite ?

Frédéric Grolleau :
Il est toujours délicat de spécifier ce qu’est un livre de ce genre. Les critiques littéraires qui l’ont lu y voient un objet curieux qui sort des normes. Mais je n’aime pas le présenter sous cet angle car je ne pense pas qu’il faille être absolument "original" pour être lu - même si c’est très "tendance" en ce moment ! - et que les médias s’intéressent à vous.

Caroline Gutmann :
Le plus important pour expliquer ce livre, c’est que vous êtes vosgien, non ? Vous connaissez la forêt vosgienne et vous connaissez ce dont vous parlez...

Frédéric Grolleau :
Pour faire écho à Michel Chaillou qui est présent, il faut dire que je suis vosgien de naissance, que j’ai habité pendant 15 ans près de Saint-Dié, mais vendéen de souche car issu d’une grande famille vendéenne (ma mère est née aux Sables d’Olonne où un des personnages de "1945", Alex, sert au bar du Pierrot sur le remblais, un lieu que je connais bien). Il se trouve par ailleurs que je suis un amoureux de la presqu’île de Crozon et du village de Roscanvel, non loin de Morgat où Michel Chaillou situe aussi une bonne partie de son histoire...
Il est vrai sinon que mon côté vosgien, la dimension "rustique" que cela sous-entend est sans doute très vendeur mais, plus simplement, "Le Cri..." renvoie à une volonté - non pas anti-parisienne car ce n’est pas à mes yeux le référent absolu - de me faire plaisir en traçant un cheminement animal, bestial, chacun le dit comme il le veut, à travers une figure qui n’est pas très interrogée.
En tout cas pas d’une manière aussi précise ou précieuse que je le fais. A savoir ce bon vieux sanglier qu’on a tous vu et lu à la fin des livres d’Astérix et Obélix dans une caricature assez intéressante. La gageure était de se dire alors : n’y a-t-il pas derrière la récurrence que je pointe de cet animal dans la littérature sous toutes ses formes et dans la philosophie (mais aussi le cinéma) quelque chose qui donne à penser ?

Caroline Gutmann :
Je vais être très choquante mais je pense que vous aimez le sanglier à cause d’une chose : ses organes génitaux car vous nous apprenez que ses testicules pèsent un kilo et qu’il a plus de sperme que n’importe quel cheval !

Frédéric Grolleau :
Oui, c’est un animal bien équipé ! Cela dit, si on apprend beaucoup dans ces pages sur le sanglier, c’est surtout parce qu’on le présente rarement sous cet angle en littérature. Cela m’a beaucoup amusé de jouer ici de la taxinomie, de l’éthologie, de la biologie pour les articuler autour d’un récit qui n’est jamais somme toute que le parcours emblématique de cette pauvre bête, pendant quelques jours de sa vie, de sa naissance à la traque finale.

Elsa Cohen :
Possédiez-vous déjà tout cet incroyable vocabulaire que vous utilisez dans "Le Cri du sanglier" et dans son glossaire ?

Frédéric Grolleau :
C’est évidemment parce que je ne le possédais pas - je ne le possède d’ailleurs toujours pas aujourd’hui ! - que j’ai écrit ce livre et que j’ai dû me l’approprier par mes recherches et de nombreuses lectures. Mon premier roman, "Monnaie de verre", traitait des souffleurs de verre de Murano et m’avait déjà demandé une grosse enquête sur place ainsi qu’un travail méthodique sur les mots employés par cette confrérie à part.
Reste qu’ici, même si l’on retrouve une même veine encyclopédique, les mots sont plus poétiques, à mi-chemin entre les termes en usage dans la vénerie depuis le Moyen Age et le patois local des chasseurs. J’ai d’ailleurs vu à ma grande honte qu’il y a deux ou trois termes soulignés dans le livre qui ne sont pas explicités dans le glossaire mais, à la limite, c’est encore plus beau et intriguant !
Certains qui ont lu cet ouvrage complexe qui est à la fois un roman, un essai et une fable m’ont fait ce beau compliment que, au bout d’un certain temps, ils avaient laissé les mots résonner, s’étoiler en rhizomes parce qu’ils préféraient deviner le sens du mot plutôt que de se référer au glossaire.

Elsa Cohen :
Oui, c’est toute une ambiance car tout comme le sanglier fouille la terre les lecteurs doivent ici fouiller (dans) les mots.

Michel Chaillou :
Ce qui m’ a beaucoup frappé, et qui fait toute l’originalité recommandable de votre propos, c’est ce personnage du sanglier qui parle et qui raconte sa vie. Mais en même temps c’est une chasse, et l’on sent qu’il est traqué. Mais c’est aussi une traque culturelle !
C’est-à-dire que le sanglier est dans sa forêt et en même temps dans la forêt des idées, contemporaines ou pas, qu’il écarte avec ses éclaboussures et sa manière de se tenir sur ses pattes. C’est donc là en définitive une fable très forte : le personnage est fort, les mots sont hérissés comme le pelage du sanglier en fuite, et qui parfois fait face. Il fait d’ailleurs (volte-) face devant les chiens beaucoup plus dans les notes que dans les parcours du récit !
Et ce avec un vocabulaire fascinant : peut-être avez-vous lu des traités du Moyen Age et du XVIe siècle ?

Toujours est-il que c’est assez facile à lire : les mots qui appartiennent au vocabulaire de la bête sont soulignés et renvoient à un index à la fin, mais ce qui frappe le plus c’est la volonté du sanglier de tout réduire à sa bauge, de tout ramener à lui, d’écraser ce qu’il a envie d’écraser mais aussi de s’y étendre avec mollesse, d’avoir peur de l’eau... etc.

Et l’on sent à certaines pages que l’on saute de la forêt hercynienne, ancienne et primaire, à la forêt des idées où Sartre est éclaboussé au passage. Mais jamais on ne perd de vue l’ombre traquée du sanglier, cette traque que fait le lecteur, qui est cerné lui aussi, notamment dans les notes imposantes : alors est-il du côté des traqueurs, de la meute, ou de la bête, c’est la question...

On ne sait pas trop car on est constamment entre les deux, tantôt on a un regard vers la meute en disant "non, non, ne m’écrasez pas, je suis avec vous !" et tantôt on a envie d’être avec le sanglier, même traqué.

Honnêtement, je trouve que c’est une entreprise, de la part d’un jeune homme, fort originale : "Le Cri..." du sanglier est un conte, et ça fait du bien dans la littérature narrative - où le fil du récit est toujours comme la carotte qu’on met devant l’âne, l’âne étant le lecteur et très sympathique mais bon... on en a souvent marre de ces ficelles qu’on doit tirer.
Ici, le récit est polyphonique : quand le sanglier est chassé, les assaillants arrivent de toutes parts et le lecteur se sent comme dans une citadelle, comme une bête assiégée. Ce qui est très intéressant.

J’aurais souhaité peut-être que ce récit écrit dans la verve témoigne de plus de verve encore. Mais c’est parce que vous êtes très jeune et un jour ou l’autre chez vous la verve redoublera de verve ! En tous les cas, c’est là un livre d’énergie, d’entrain, de gaieté sombre, et ce sont là les qualités du sanglier... et les vôtres.

Frédéric Grolleau :
Je vous remercie de cette belle lecture attentive. Vous savez, quelques journalistes ont souligné la dimension un peu difficile et exigeante de mon livre et m’ont demandé : "pour quel lectorat écrivez-vous ?" Ce qui me plonge dans l’embarras parce que je n’écris pas pour un lectorat qui serait déjà constitué mais parce que je n’attends qu’à ce qu’il se constitue, à la lecture du "Cri" notamment. Vous venez donc de leur répondre !

Elsa Cohen :
Est-ce que les recettes que vous donnez ici sont justes ?

Frédéric Grolleau :
Ce sont de vraies recettes, en aucun cas testées par mes soins parce que, comme vous vous en doutez, je ne tiens pas outre mesure à manger de sanglier, ni de marcassin ni de laie - à supposer qu’on puisse la mettre en daube.

Mais je reviens sur ce que disait Michel Chaillou, qui est très juste car l’objectif avoué de mon livre était de mettre le lecteur dans un état d’inquiétude - étymologiquement l’état de celui qui n’est pas à sa place, in-quietus.

Le lecteur qui suit cet animal somme toute sympathique, qu’on présente souvent comme un rustaud qui défonce les pare-chocs des voitures quand on le croise la nuit dans les bois (ce qu’il vaut mieux éviter d’ailleurs !), découvre au fur et à mesure que le sanglier a une "intériorité" - que je lui invente de fait.

Et en même temps, à mettre son cheminement en parallèle avec six recettes gastronomiques essaimées dans le corps du texte, le lecteur ne peut s’empêcher, à les lire, de saliver et de se dire que ça doit être bien bon un sanglier ainsi rôti.

Et ce, quand bien même il est tenté de prendre fait et cause pour l’animal en question, ce qui génère une forme de culpabilité que je souhaitais interroger, et qui est aussi la raison de ce livre. Les recettes ne sont donc pas là pour montrer qu’on peut aussi "le" manger, mais pour renforcer cette inquiétude-là.
Que nous sommes tous chasseurs quelque part, dans l’âme. Une ambiguïté que je trouvais intéressante.

Michel Chaillou :
Ce que vous appelez la compagnie, c’est la harde. Et je trouve à vous lire que l’organisation de la harde est assez démocratique et n’a rien de fasciste en définitive. On sent que le sanglier, si on lui donnait le temps de s’ébattre et de ne pas être pourchassé, inventerait la démocratie.
Il y a pour lui une facilité à se répandre dans les prés, à les fouir, et il sait qu’en fouissant les prés à certaine profondeur pour attraper les racines, il détruit les cultures et qu’à ce moment-là on va le pourchasser.

Mais si on lui donnait le temps d’être un peu cochon, notre sanglier serait un démocrate ! Il incarne l’art de la jouissance, de la volupté, du bonheur de vivre et du respect des aînés. J’ai trouvé très profond que le sanglier, lorsqu’il prend de l’âge, vers 5 ou 6 ans, s’éloigne de la harde et vive seul.

Je me disais que tous les êtres s’éloignent un peu intérieurement de la harde et vivent seul un jour. Et qu’écrire c’est peut-être s’éloigner tout en étant près...

Caroline Gutmann :
Le sanglier pratique l’art de l’humanité finalement...

Frédéric Grolleau :
L’enjeu du livre consiste à montrer que le sanglier n’est justement pas si "animal" que cela ! Plus proche de nous en tout cas qu’on pourrait le penser.

Michel Chaillou :
Une fois de plus, je trouve remarquable cette fable d’un personnage - ne l’appelons plus sanglier - hirsute, velu, hérissé, sentimental, lyrique, doté d’un grand pouvoir sexuel et d’un grand pouvoir de pensée, qui fonce dans quelque chose qui pourrait être une forêt (mais ça pourrait être tellement autre chose !), dans les halliers de l’esprit, et qui de halliers de mots en halliers de mots arrive à des clairières possibles où on peut déguster une recette, mais qui ne serait pas la sienne !
C’est tout le livre, et c’est un livre sauvage !

Frédéric Grolleau :
Oui, je l’ai écrit tel quel, sans que l’ordre des chapitres proposés soit remanié (hormis les recettes que j’y ai intégrées ensuite). Je voulais aller crescendo en partant d’un niveau zéro de l’hédonisme pour atteindre via les divers degrés de la barbarie (qui n’est pas animale mais humaine) un état autre.

C’est un animal qui, si on le laissait faire, parviendrait assez bien aujourd’hui à réglementer son train de vie, d’où la question suivante : quel est l’intérêt de ceux qui le traquent ?

Caroline Gutmann :
Vous parlez de choses terribles, tels les pièges électriques...

Frédéric Grolleau :
Le pire est qu’il s’agit d’une authentique réclame ! Tout comme les documents et les dépêches AFP qu’on trouve dans l’ouvrage sont de vrais documents.

Elsa Cohen :
J’ai beaucoup aimé pour ma part "les questions à un perdant-né", sorte de questionnaire proustien pour animal ! Si on lui donnait le temps, il serait artiste et il lirait des comptines...

Caroline Gutmann :
Il y a toute une poésie du sanglier ; il est entouré d’oiseaux par exemple, qui le poursuivent parce qu’il cherche des vers...

Michel Chaillou :
Oui, Frédéric Grolleau cite en exergue à ce sujet Florian, un des auteurs préférés de Voltaire.

Frédéric Grolleau :
Une fable qui est d’ailleurs dans la logique de l’in-quiétude et du déplacement dont je parlais tout à l’heure... J’étais ainsi moi-même dans une situation professionnelle de traque lorsque j’ai écrit ce livre, qu’on peut lire de diverses manières.

J’étais alors plutôt sanglier que chasseur, et c’était donc là une manière métaphorique de vivre correctement cette situation, c’est-à-dire de la rendre supportable. Voire d’y survivre.

Caroline Gutmann :
Lorsque vous parlez de Lacan, Frédéric Grolleau, vous écrivez : Dans l’effacement de la trace, trace de l’effacement, un vieux thème lacanien, le doute est permis : cherchons-nous sans résultat patent à oblitérer les marques que nous avons laissées, ou travaillons-nous au contraire à laisser après notre passage des marques obvies de notre présence ? C’est toute la problématique du sanglier d’après vous ?

Frédéric Grolleau :
La question est celle de l’empreinte, et de son sens. Ce qui vaut pour l’animal mais aussi pour celui qui écrit le livre. Ecrire c’est aussi laisser une trace pour ceux qui vont nous lire, à la postérité.
Or dans la traque du sanglier il y a tout un travail d’effacement de la trace par les chasseurs, mais si l’on pousse la métaphore à son comble, si laisser au sanglier une place dans la littérature c’est écrire sur l’inquiétude, l’isolement - qui n’est pas la solitude, qui n’est pas la désolation, Hannah Arendt a consacré à ces distinctions de belles analyses dans "Le système totalitaire" - alors pourquoi écrivons-nous ? est-ce pour laisser une trace que nul ne pourra ou ne saura effacer ou pour s’effacer soi-même constamment à chaque instant ?

Entre le "1945" de Michel Chaillou et "Le Cri du sanglier", toute la différence, mais c’est une différence qui nous rapproche sans doute, c’est que le cauchemar que moi je cherchais à inventer pour m’y repaître, vous vous l’avez vécu, Michel. Car étant un jeune auteur, je ne puise pas aujourd’hui dans ma vie pour construire un récit ou me reconstruire, ou proposer un modèle intelligible à des événements que j’aurais traversés...

Michel Chaillou:
C’est juste, mais vous savez, pour moi, un écrivain c’est une langue. On n’est jamais sûr d’être un auteur, d’ailleurs la plupart des gens rédigent, ils n’écrivent pas. C’est un talent car on peut rédiger magnifiquement mais bon...

L’écriture, au contraire, c’est une manière très personnelle d’entrer en soi qui fait qu’en ouvrant le livre de quelqu’un on sait de suite si on a affaire à un écrivain ou non. Or vous êtes un écrivain, Frédéric, un écrivain qui ne maîtrise pas encore son projet, ce qui est normal vu votre jeunesse.

Donc cette espèce de sanglier des Ardennes fonceur m’a beaucoup ému parce que j’y ai senti une force de catapulte vers des projets futurs, vers l’azur de vos pensées, qui pourraient vous entraîner du côté du conte plus que du roman. Vers une sorte d’énergie soufflée par on ne sait qui, parce que écrire c’est écrire de nuit et avancer en somnambule en essayant de retrouver le contour des objets, des idées et des pensées.

Sans trop savoir ce qu’elles sont à l’aube. Et votre sanglier somnambule qui fonce à travers lui-même en même temps qu’il fonce à travers les choses et l’univers du monde finira par déboucher dans des astres ignorés de votre pensée, et à ce moment-là vous inventerez votre propre système gravitationnel.

Frédéric Grolleau :
Si on ne m’abat pas avant ! Parce qu’on peut abattre quelqu’un de plein de façons : éditer un livre c’est aussi une manière de dire : "je suis assez connu, surtout ne tirez pas à vue !" ou au contraire : "épaulez et sortez la grenaille !"

Michel Chaillou :
Oui mais on peut éviter les balles... et le sanglier a quand même un fort poitrail !

Caroline Gutmann :
Un sanglier qui d’ailleurs rejette tout rapprochement avec "Truismes", pourquoi ?

Frédéric Grolleau :
Il y a de nombreux glissements dans ce texte parce que le sanglier ne tient pas toujours sur ses pattes, et où le texte lui-même m’a échappé, et tant mieux !
Le lecteur peut à bon droit se demander alors : est-ce le sanglier qui parle ou l’auteur qui écrit sur le sanglier ? Ou un hybride entre les deux ? Il n’est pas exclu que je sois devenu un peu sanglier en écrivant ce livre...

Or dans cette logique-là, "Truismes" était consacré à la métamorphose d’une jeune femme qui se muait en truie, et mon point de vue est plus masculin dans "Le Cri..." puisque je ne suis pas dans la peau d’une laie, la femelle du sanglier ou la mère du marcassin, mais dans celle d’un sanglier.

Et je ne travaille pas ici sur la notion de métamorphose. Il est plein de récits de la métamorphose qui sont fondateurs en littérature, je songe à "Die Verwandlung" de Kafka, à "La ferme des animaux" d’Orwell, mais moi je suis dans un conte, dans une fable. Ces textes m’intéressent en tant que philosophe puisqu’ils sont à la charnière entre humanité et animalité, mais je ne souhaitais pas mettre cela en avant ici.

C’est pourquoi mon sanglier, qui jouit d’une Bibliothèque digne de ce nom, comme tout (homme) lettré qui se doit, réfute Darrieussecq qui est trop contemporaine pour lui être agréable.

Caroline Gutmann :
Michel Chaillou, vous avez été très sensible aux textes en annexe dans le livre de Frédéric Grolleau, dont le poème de Banville et la légende mauresque du sanglier aveugle.

Michel Chaillou :
Tout à fait, cette dernière histoire va loin. Il y a deux sangliers, on en tue un et on ne sait si l’autre est blessé ou mort. Quelqu’un, Baodil, s’approche et voit que ce dernier a dans la gueule un morceau de la queue du sanglier mort : en fait ce sanglier qui est vivant est aveugle et se servait de la queue de son congénère pour pouvoir marcher. Baodil prend alors ce morceau de queue qui dépasse et le sanglier aveugle se met à le suivre, Baodil l’amenant vivant à la cour du Roi.

Cela m’a interpellé intérieurement, j’y ai réfléchi et je me suis dit : quand on écrit, ne serait-on pas un peu comme ce sanglier aveugle qui aurait quelque chose dans la gueule et que quelqu’un tirerait ? C’est ce qui ferait que je m’intéresse, sans être croyant, à des écrits religieux tels que la Bible, le Talmud.
D’où la question : est-ce cela la queue qui est dans ma bouche et que quelqu’un tire ? Que je m’intéresse à l’astronomie et pas à l’astrologie : est-ce cela la queue qui est dans ma bouche et que quelqu’un tire ? Que je m’intéresse aux hommes et surtout à l’humanité : est-ce cela la queue qui est dans ma bouche et que quelqu’un tire ?

Le livre de Frédéric Grolleau se termine quasiment par ce quelque chose qui est dans la bouche et que quelqu’un tire. Je trouve cela très beau et l’on est dans l’expectative des livres futurs.


Propos enregistrés le mardi 23 mars 2004 au cours de l’émission Postface de RCJ (94.8 FM) et retranscrits avec l’aimable autorisation de Caroline Gutmann.

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