De l’art psychotique de sculpter la peur humaine.
L’os était en bronze
Paru au cours de l’été 2006, voici un ouvrage qui n’a rien d’un énième opus policier dédié à un serial killer mais se révèle des plus effrayants. Certes, Mark Nykanen inscrit de fait son protagoniste dans la tradition des grands psychopathes destructeurs d’humanité, à la façon d’un Hannibal Lecter chez Thomas Harris ou d’un Caliban chez Maxime Chattam. Il y ajoute toutefois un zeste personnel qui donne tout son sel à cet ouvrage qui se lit d’une traite : la dimension artistique, sculpturale pour ainsi dire, du héros qui s’ingénie ici à travailler au bronze les corps des membres des familles américaines qu’il a enlevés avant de leur faire subir les pires supplices dans l’espoir de capter - il attribue un numéro à chaque famille/œuvre - ce moment d’épouvante totale qui transforme l’angoisse liée à la finitude lovée dans la psyché en œuvre d’art verdâtre éternelle.
Expert en souffrances physiques et morales, le sculpteur Ashley Stassler ne cesse ainsi en ces pages de méditer sur la sublimation du physique (de la musculature notamment) en esthétique et il est devenu depuis nombre d’années un artiste à la réputation internationale tant il excelle dans la capacité à créer des figures où l’humain semble à la fois se figer et se retirer face à l’horreur inéluctable qui l’assaille.
De ce point de vue, ce serial killer opiniâtre va encore plus loin que le passionné de peau humaine du Silence des agneaux, il est plus roué que le tueur qui sévissait dans le Bone collector de Phillip Noyce diffusé dans les salles en janvier 2000 et il est plus érudit que le cintré en quête d’immortalité que Thierry Jonquet mettait en scène dans Ad vitam aeternam.
Notre machiavélique meurtrier va toutefois se heurter à un obstacle de taille, pour ne pas écrire : un os, lorsqu’il attaque la pièce n° 9 sur laquelle s’ouvre le récit qui se distribue selon le procédé classique de l’alternance entre le monologue de l’intéressé (un texte à la première personne du singulier auquel on prend vite un plaisir malsain) et la description des actions de ceux qui le traquent, un journaliste et un professeur d’art à la romance pratique : sauront-ils trouver la "bonne parade" face au criminel ? Telle est la question.
La bonne trouvaille est sans conteste ici le statut particulier d’une jeune prisonnière qui semble subir un syndrome de Stockholm radical, ce qui renouvelle le genre, mais l’on regrette le prologue et le dernier chapitre du roman, par trop téléphonés et dont l’éditeur français êut été avisé de se dispenser. Ce qui n’empêche pas ce Bone parade, qui met particulièrement bien en relief le voyeurisme et le sadisme inhérents à l’espèce humaine, de rester stimulant d’un bout à l’autre.
frederic grolleau
Mark Nykanen, Bone parade (traduction Leslie Boitelle), Fleuve noir, juillet 2006, 403 p. - 18, 50 €. | ||
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