Tonique mélange entre suspense, terreur et polar scientifique
Il faut attendre la page 225 de ce nouvel opus magistral de Jean-Christophe Grangé pour voir apparaître ces " loups " qui donnent leur titre à ce thriller. Mais cette attente n’est pas déçue car, fidèle à une habitude acquise avec Le vol des Cigognes, Les Rivières pourpres et Le Concile de pierre, Grangé ménage un suspense sans faille, alimenté par une tontitruante première partie. Grand reporter pendant 10 ans, activité à laquelle il s’adonne encore de temps à autre, "le maître incontesté du thriller à la française" puise à chaque fois dans ce matériau pour délivrer des romans hallucinés aux mêmes thèmes obsessionnels : la mutilation de corps-palimpsestes comme accès rituel à la vérité, l’exploration du cerveau d’un tueur, la quête de l’identité et le soupçon envers les souvenirs, toujours vecteurs d’une trahison possible.
En accentuant en particulier dans L’Empire des loups la question de la chirurgie esthétique, celle de la mafia Turque (usuellement moins connue que d’autres) puis de la géographie du cerveau, le romancier nous propose une visite des abysses clandestines du 10e arrondissement parisien tout en interrogeant, et plus que jamais, la notion d’ "origine" comme cauchemar perpétuel. Plusieurs trajectoire se télescopent ainsi dans un mortel chassé-croisé. La femme d’un haut fonctionnaire parisien hantée par de terrifiantes visions et à la recherche de sa mémoire et de son identité ( son "vrai" visage si l’on veut), une théorie de flics soit déracinés soit corrompus, un neurologue qui carbonise les cerveaux pour ses expériences au moins douteuses, une meute de tueurs prêts à tous les massacres pour retrouver la proie qui les a doublés et enfin - ce n’est pas le moindre des personnages - un serial killer infligeant des tortures sans nom pour désosser et défigurer, littéralement, ses victimes...
Deux ans et demi après Le Concile de pierre, qui avait reçu un accueil mitigé de la critique, les éditions Albin Michel font paraître le roman de celui qui tient la dragée haute aux thrillers américains en dehors de la collection (de genre) "Spécial Suspense", signe de la maturité et de la notoriété de leur auteur. Certains lecteurs estimeront sans doute pourtant que Grangé continue d’en faire un peu "trop" à la fin de son ouvrage, et qu’à trop vouloir faire tenir dans le même espace narratif autant de personnages-culbuto et d’histoires hétérogènes, le patchwork ne convainc pas vraiment. Reste qu’il est peu d’auteurs capables sous nos cieux de réaliser un mélange aussi bien documenté que détonnant, de Paris à l’Anatolie en passant par Istanbul, entre suspense, terreur et polar scientifique.
Alors même que Le Concile de pierre et Le Vol des cigognes sont en cours de développement cinématographique et qu’une suite des Rivières pourpres (avec un scénario écrit par Luc Besson) va voir le jour prochainement, nul ne contestera que Jean-Christophe Grangé a le vent en poupe. Voilà qui promet, à la plus grande joie des amateurs, maints autres frissons et nuits blanches en perspective.
Jean-Christophe Grangé, L’Empire des loups, Albin Michel, 2003, 546 p. - 22,00 €. |
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