Ou de l’art d’explorer les entrailles de la Renaissance...
Sur le papier des velléités littéraires, ce premier roman de Raphaël Cardetti, par ailleurs agrégé d’italien et spécialiste de la philosophie politique de la Renaissance florentine qui enseigne dans une université française, a tout pour plaire. L’auteur nous plonge en 1498 dans le cœur de la Toscane en prenant appui sur une émérite séance augurale de torture : le ton est donné, la nouvelle république qui vient de s’instaurer et a précipité la chute des Médicis (abonnés au jeu de la chaise musicale politique, ils reviendront bientôt au pouvoir) paraît bien languide, infestée qu’elle est de complots visant à déstabiliser le gonfalonier Soderini qui tire les ficelles de la signoria (la chancellerie de la cité et son conseil), tandis que le charisme du moine dominicain Savonarole emporte de plus en plus l’adhésion des fidèles...
Entre les manipulations des grandes puissances européennes et les revendications des aristocrates exclus, la succession de meurtres atroces commis chaque jour dans la ville sème le désarroi, et il faudra bien l’intervention de quelques adolescents en devenir (Niccolo Machiavel, Piero Guicciardini, Francesco Vettori) sous l’égide le leur vieux maître ès humanités , Marsilio Ficino, pour contrer ceux qui aspirent à faire déchoir la république naissante et son meneur incompris Savonarole. Sur fond de sédition et de kabbales en tous genres, le romancier dissémine une documentation rigoureuse pour construire une toile d’araignée au tempo assez contemporain. Si ces pages regorgent par trop d’adverbes et de participes présents (au point que l’on se demande s’il est des responsables éditoriaux qui lisent les romans français chez Belfond), Raphaël Cardetti atteint en douceur son objectif : renverser le point de vue uchronique d’un McCauley qui convoquait comme personnage un Machiavel journaliste et aviné dans Les conjurés de Florence pour mettre en scène le futur auteur du « Prince » tout jeune homme et à l’orée de sa formation.
Du croisement improbable et romanesque de grands penseurs ayant (réellement) marqué leur siècle émerge un beau portait de Florence, empreinte de brumes et de violences religieuses. Et si l’on déplore le non usage littéraire du « Prince » (on attendait le contraire, avouons-le) laissé de côté au nom de la trop grande jeunesse de son concepteur, la pirouette mise en place par le romancier à la page 289 - dont on taira le subterfuge par respect pour le lecteur - vaut qu’on s’enfonce sans ciller dans cette exploration des entrailles de la Renaissance.
Raphaël Cardetti, Les larmes de Machiavel, Belfond, 2003, 300 p. - 18,30 € |
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