fredericgrolleau.com


Pourquoi Sartre a dit “L’homme est condamné à être libre” ?

Publié le 17 Novembre 2019, 10:13am

Catégories : #Philo (Notions)

Pourquoi Sartre a dit “L’homme est condamné à être libre” ?

Sartre, c’est l’histoire d’un type surprenant. Avant de devenir un des plus grands philosophes du XXe siècle, Sartre est d’abord prof de philo au Havre, puis soldat et prisonnier de guerre en 39-45. Un vrai baroudeur — qui au passage, a un strabisme très prononcé à l’oeil droit.

C’est pendant la guerre, mais surtout en tant que prisonnier que Sartre développe sa philosophie. Après sa libération, il publie en 1943 l’oeuvre de sa vie : L’Être et le néant qui fera de lui le chef de fil du mouvement existentialiste (= philosophie qui place l’existence de l’homme au centre de sa réflexion), très très à la mode à l’époque.

Il devient alors une petite star du milieu littéraire, moins connu que 50 Cents, mais avec des punchlines tout aussi cool : “Pas de besoin de gril : l’enfer c’est les autres” — BIM. En 1964, Sartre pousse même le bouchon un peu plus loin en refusant le prix Nobel de littérature car, selon lui, “aucun homme ne mérite d’être consacré de son vivant”. Bref, le mec n’est pas trop dérangé par son égo.

Dans L’Être et le néant, Sartre répond à la question “qu’est-ce que l’être ?” Il réfléchit également à la condition humaine, au rapport que les hommes entretiennent avec leur liberté… Et il s’interroge : sommes-nous vraiment libres ? — drôle de question pour ancien prisonnier.

Il a réfléchi, il a réfléchi…
Et un beau jour Sartre a dit “L’homme est condamné à être libre”, et tout s’est éclairé…

La prison l’a rendu fou pour dire un truc pareil ou quoi ? 

Non, mais ça n’a pas arrangé son strabisme. Blague à part. Pour comprendre pourquoi Sartre pense que “l’homme est condamné à être libre”, il faut d’abord que je vous parle de l’existentialisme.

Si vous n’êtes pas trop teubé, vous remarquerez que dans “existentialisme” il y a le mot “existence”. Et si vous avez des souvenirs de vos cours de lycée, vous vous rappellerez peut-être d’une phrase qui dit : “l’existence précède l’essence”. Et si vous êtes vraiment balaise, vous en déduirez qu’il s’agit d’une citation de Sartre.

Cette phrase, c’est la base de l’existentialisme et de la philosophie Sartrienne. Passons maintenant aux explications.

C’est quoi l’existentialisme alors ?

On y vient. Mais avant, mettons nous d’accord sur le vocabulaire tel que Sartre le définit :

 
  • Existence = pour Sartre, exister ça veut dire sortir de soi, c’est-à-dire être en quête de soi-même, se dépasser pour s’accomplir réellement en tant qu’individu.
  • Essence = tout ce qui détermine un individu, ses caractéristiques propres. Pour Sartre, la notion d’essence est négative car elle connote une limite. Elle détermine l’homme et l’empêche de se dépasser — par exemple, si on croit que notre essence est d’être méchant ; eh bien on se dit que l’on sera toujours méchant, que cette caractéristique fait partie de nous… Mais Sartre dit non ! 

Au contraire, Sartre pense que l’homme existe d’abord en tant qu’homme, et qu’il se définit ensuite par ses choix et ses actes. En gros, on nait tous homme, et ce sont nos actes qui font de nous des méchants ou non. Mais heureusement pour nous, nos actes peuvent changer notre essence — si jamais on en a marre d’être trop méchant, on peut agir de manière à devenir gentil. C’est cette nuance qui nous distingue des objets.

Prenons l’exemple d’une tasse : avant d’être construite matériellement, la tasse existe d’abord en tant qu’idée dans la tête du type qui va la fabriquer. L’homme conçoit donc la fonction (elle va servir à mettre du café dedans), puis la structure (elle sera en verre ou en plastique) puis il la fabrique avec ses petites mains. L’essence de la tasse (ses caractéristiques, sa fonction) précède donc son existence matérielle. 

Vous avez compris ? Eh bah Sartre nous dit que pour nous c’est l’inverse : on est d’abord des hommes, et on se construit après en fonction de nos choix et de nos actes. On est donc libre d’être qui on veut — contrairement à cette pauvre tasse qui est condamnée à être remplie de café.

OK je suis plus libre qu’une tasse, mais ça change quoi ? 

Dans votre vie de tous les jours, ça ne changera rien — vous regarderez juste votre tasse avec plus de complaisance. Mais dans la vie des gens du XXe siècle, ça a changé beaucoup de choses. 

D’abord, il faut savoir qu’à l’époque personne ne s’était jamais vraiment interrogé sur la place de la liberté dans l’existence. On s’en foutait de savoir qu’on était libre de devenir ce que l’on voulait. On vivait en accord avec la morale et les doctrines du XXe siècle, on était soumis à la religion car on pensait que nos vies étaient définies par Dieu

Et puis un beau jour, Sartre est arrivé avec ses gros sabots et sa philosophie athée, et il est venu mettre un énorme full kick dans tout ça. Il annonce que Dieu n’existe pas, que l’essence de l’homme n’est définie par aucune divinité, et que l’homme est libre de décider lui-même de sa propre existence et de créer le sens de sa vie…

Mais, face à tant de liberté, les gens du XXe siècle étaient tous chamboulés et ils ont commencé à avoir peur

Mais la liberté c’est trop cool, pourquoi on en aurait peur ? 

C’est simple. Imaginez que vous êtes au bord d’une falaise. Première réaction commune : on a tous peur de glisser, peur que quelqu’un nous pousse ou que tout s’effondre. Ok, ça c’est normal. Mais, face à cette falaise, on ressent aussi une peur interne, mille fois plus puissante, que Sartre appelle “l’Angoisse”.

Cette angoisse, c’est le moment où l’on regarde en bas, et que l’on se dit que si on veut sauter de cette falaise, on peut. Oui, on peut, parce que c’est nous qui décidons. Cette Angoisse méga stressante vient donc de notre liberté, car ce qui nous angoisse à l’intérieur, c’est le fait d’avoir le choix de sauter ou non. Et même si on ne veut pas sauter de la falaise, eh bien on sait qu’on peut le faire, et ça, ça fait flipper.

C’est dans l’angoisse que l’homme prend conscience de sa liberté. — Sartre

Alors voilà, si on a peur, c’est d’abord parce que la liberté nous met face à nos responsabilités. Lorsque l’on est libre, on ne peut échapper à nos responsabilités. Tout ce que l’on fait, nos choix, nos actes, nous devons en assumer les conséquences. On devient acteur de sa vie et non spectateur. On décide de sauter de la falaise ou de ne pas le faire— alors inutile de pleurnicher si votre boîte crânienne s’est explosée sur les rochers, vous étiez aussi libre de ne pas sauter.

Pour Sartre, nous sommes tous confrontés à la même Angoisse lorsque l’on découvre notre liberté absolue. Et il n’y a rien de grave. Il faut juste dépasser ce sentiment vertigineux, et appréhender la liberté comme le moyen de créer son monde et de s’épanouir pleinement en prenant sa vie en main.

Pour finir… 

  1. On est condamné, simplement parce qu’on n’a pas d’autres choix que la liberté — car quand on y pense, refuser d’être libre revient à user de sa liberté.
  2. Avec Sartre, l’homme n’est plus déterminé par Dieu. Il devient enfin maître de sa vie et il se définit lui-même par ses actes. Libre à lui de changer sa vie, sa condition, tant qu’il en assume les conséquences.
  3. Être libre, c’est aussi avoir le droit de se moquer du strabisme de Sartre.


doria messaoudene

source : 

https://www.institut-pandore.com/philosophie/sartre-a-dit-lhomme-condamne-a-etre-libre/

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article