La présente étude a pour but de mettre en lumière certaines explications psychologiques sur le film à partir de concepts et théories psychologiques précis. Elle n´aura donc en aucun cas la prétention d'épuiser tous les thèmes abordés dans Vertigo.
L’action se déroule à San Francisco et relate l’histoire d’un ancien inspecteur de police (Scottie) souffrant d’un mal répandu : le vertige. Ce mal aura fait basculer sa vie un jour où, poursuivant un malfaiteur sur les toits de la ville avec son coéquipier, celui-ci glisse et se raccroche sur le bord de toit avant de céder et de faire une chute mortelle sous les yeux de Scottie totalement tétanisé par le vide et incapable de sauver son coéquipier et ami. Ce drame conduit Scottie à se retirer et s’installer comme détective privé à San Francisco. Mais un jour, un ami le contacte pour lui demander de filer sa femme, Madeleine, craignant qu’elle ne commette à tout moment une tentative de suicide.
Scottie accepte et suit Madeleine dans toute la ville, et, effectivement, elle se jette un jour dans la baie de San Francisco. Scottie la sauve de la noyade, l’emmène chez lui afin de l’aider à reprendre ses esprits et, progressivement, s’éprend de la jeune femme.Cependant, alors que le couple commence à se former, Madeleine emmène Scottie dans un village de style espagnol non loin de San Francisco. Scottie, craignant à tout moment que Madeleine tente de suicider de nouveau, reste le plus possible à ses côtés. Mais dans ce village se trouve une église dont la porte du clocher demeure ouverte jour et nuit. Echappant à l’attention de Scottie, Madeleine monte dans le clocher et se jette dans le vide alors que Scottie tentant de la rattraper est terrassé par le vertige pendant sa montée et ne parvient donc pas à sauver la jeune femme.
PARTIE 1 : LA PERSONNALITÉ DE SCOTTIE : UN REFOULEMENT ÉVIDENT
C’est à partir de ce moment du film que la personnalité de Scottie nous apparaît vraiment. En effet, le film est composé de deux parties totalement distinctes dont seul peut-être Alfred Hitchcock avait le talent pour en tirer un tel suspense et ainsi mettre à nu les multiples facettes de la personnalité de Scottie. Plusieurs mois après ce nouveau drame, Scottie rencontre en effet une femme affichant une ressemblance physique avec Madeleine très prononcée. Scottie commence alors à suivre cette femme et un véritable jeu de séduction débute alors entre eux dans lequel l’image de Madeleine demeure clairement omniprésente dans les yeux de Scottie.Le premier trait de personnalité de Scottie qui apparaît dans la première partie du film est celui du refoulement (concept freudien).
Le premier drame vécu par Scottie lors de la mort de son coéquipier, mort dont Scottie se sent irrémédiablement responsable, met à nu ce rejet du vide, dû à cette maladie, et cette peur de commettre à nouveau l’irréparable, expliquant son retrait de la police et sa volonté de changer de vie. Le film montre cela de façon paradoxale : il ne cherche pas à mettre à nu ce souvenir refoulé, au contraire il le présente dès le début du film puis n’en fait plus jamais mention, charge au spectateur de garder cela en mémoire pour comprendre la psychologie du personnage de Scottie. On remarquera qu’Alfred Hitchcock ne réalise aucun flash-back sur cette période de la vie de Scottie après cette scène d’ouverture du film. Scottie a une hantise du vide, ce qui aurait pu ne rester qu’une simple « maladie » est devenu chez lui une véritable phobie liée à cet événement et au sentiment de culpabilité qui en découle, qu’il cherche à éviter à tout prix.
Ce refoulement apparaît clairement dans la scène du clocher à la fin de la première partie du film lorsque Madeleine se suicide : son désir de sauver Madeleine doit faire face, lutter quasiment à mort contre la verticalité, et c’est la verticalité qui l’emporte cette première fois. Ce choc « désir versus phobie » apparaît à nouveau à la fin de la seconde partie du film, et donc à la conclusion de l’œuvre de Hitchcock, lorsque Scottie poursuit à nouveau dans le même clocher le sosie de Madeleine : la montée est dure, difficile, on sent que Scottie est partagé entre sa volonté de ne pas vivre un troisième drame lié à sa peur du vide et ce vertige lui-même qui l’envahit complètement, et cette fois c’est le désir qui l’emporte : il parvient au sommet du clocher.
PARTIE 2 : L’AMOUR DANS LA MORT
Cependant, le personnage de Scottie n’est pas seulement constitué de cette facette. De façon plus générale, Scottie apparaît comme un homme en quête d’identité, partagé entre amour et rejet de cette femme. Le sentiment amoureux apparaît, avec différentes variations, entre les deux personnages, pourtant ils ne se rencontrent pas. Ce n’est que dans la mort qu’ils se rencontrent, alors que Scottie pense enfin avoir compris Madeleine. Ceci apparaît dans la seconde partie du film, en particulier dans la scène de la chambre d’hôtel ainsi que dans le magasin de vêtements, avec Judy, cette femme ressemblant étonnamment à Madeleine, scènes durant lesquelles Scottie veut transformer cette femme en Madeleine en lui faisant porter les mêmes vêtements, en lui demandant de se faire la même coiffure.
C’est durant ce passage du film que Scottie montre clairement à quel point son amour pour Madeleine ne peut éclater que dans la mort, amenant à un sentiment proche de la nécrophilie – la mort est aussi omniprésente dans le film soit par représentation directe (Madeleine qui se jette dans la baie de San Francisco, puis dans le vide du haut du clocher de la chapelle du village espagnol, les deux fois en présence de Scottie), soit par l’intermédiaire de nombreuses métaphores (scène du cimetière où est enterrée l’aïeule de Madeleine, où Scottie est présent lors de sa filature, évocation de la « malédiction » qui pèse sur famille, scène de la tombe ouverte de Madeleine en rêve). En outre, Scottie a besoin de contrôler Madeleine puis Judy, il ne les quitte pas au point parfois de songer au harcèlement, il veut absolument les mener comme il l’entend – dans quel but ? Scottie lui-même ne semble pas en être parfaitement conscient et paraît même chercher en lui les raisons de cette attirance et de cette fascination qu’il éprouve pour ces deux femmes (qui, dans son esprit, ne sont qu’une : Madeleine).
PARTIE 3 : UN IRRÉPRESSIBLE BESOIN DE VÉRITÉ
Ce sentiment amoureux confus exprime ainsi une autre partie de la personnalité de Scottie : la quête de la vérité et la fascination qu’exerce Madeleine et le passé de la jeune femme sur le personnage incarné par James Stewart, les deux étant liés. Concernant la quête de la vérité, rappelons déjà le métier de Scottie : ancien policier reconverti en détective privé. Mais dans cette affaire, cela va plus loin : Scottie est totalement fasciné, il cherche à s’approprier Madeleine pour lui (aux dépens de son ami !), les deux personnages se cherchent mutuellement.
Cela entraîne Scottie dans une sorte de spirale, symbole par ailleurs très nettement marqué dans la réalisation d’Alfred Hitchcock par l’intermédiaire du chignon de Madeleine et de son aïeule qu’elle contemple sur le tableau dans la scène du musée, spirale dans lequel le vertige tant redouté se fait sentir : Scottie éprouve de l’amour mêlé à une peur, c’est son cerveau qui combat une pulsion physique, qui le conduit une première fois à une inhibition de l’action lors de la première scène du clocher (lors du suicide de Madeleine – en fait meurtre de Madeleine), illustrant l’impossibilité pour Scottie de trouver une solution aux problèmes auxquels il est confronté, puis une seconde fois à opter cette fois pour l’action en relevant le défi de combattre sa peur du vide – ce qui lui permettra de parvenir au bout de sa quête de la vérité (scène finale). Assouvir son besoin de vérité permet ainsi de réaliser deux besoins extrêmes dans la pyramide de Maslow : un besoin d’abord physiologique (combattre sa peur du vide) mais aussi un besoin de réalisation de soi : il est incité, dans toute sa complexité, à se montrer lui-même qu’il peut percer le secret de Madeleine.
vincent geeraert
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