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"Suis-je un corps ou ai-je un corps ?" (Robocop vs Descartes)

Publié le 19 Septembre 2019, 10:51am

Catégories : #Philo & Cinéma

"Suis-je un corps ou ai-je un corps ?" (Robocop vs Descartes)

Voilà un remake qui est vraiment pas mal : RoboCop (2014). L’histoire, on la connaît : victime d’un meurtre, un policier se retrouve dans un état désespéré, et ce qu’il reste de lui est utilisé pour créer le premier flic moitié homme, moitié robot. Le film original de Paul Verhoeven daté de 1987 était plus violent, et portait surtout sur les questions politico-morales d’un Etat policier. Il reste un peu de ça dans la nouvelle version – notamment avec le personnage de Samuel Jackson en présentateur « Fox News » –, mais le film, plus « psychologique », laisse un peu l’action de côté pour se concentrer sur la vie intérieure du flic changé en robot : qu’est-ce qui distingue le vivant de la machine ? L’être humain de l’animal ? L’être humain de la machine ?

Pour voir comment le film répond à ces questions, on peut regarder ce qui est sans doute la scène « principale » du film, une scène fameuse où l’ancien policier se réveille pour la première fois depuis qu’il a été changé en robot après son agression. Et que fait-il ? Il rêve.

Dans ce début de film, c’est donc seulement son corps qui a été modifié, alors que son cerveau et ses organes vitaux ont été préservés. Le message est assez clair : il est encore humain. Voilà une définition de l’être humain qui correspond tout à fait à celle que donnait Descartes à travers son fameux cogito : « je pense, donc je suis ». Ce qui distingue l’homme à la fois de l’animal et de la machine, c’est la pensée, représentée dans cet extrait par le rêve et la vie intérieure : peu importe les dommages et les modifications que son corps à subis, car ce n’est pas ce qui est essentiel à l’homme et à son humanité. Pour Descartes, en effet, c’est l’âme et la pensée qui distinguent l’homme de l’animal, tandis que l’animal ne se distingue pas d’une machine, parce qu’il se réduit à un corps en mouvement.

« Ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. »

Lettre à Newcastle du 23 novembre 1646.

On retrouve ainsi chez Descartes la fameuse théorie des « animaux-machines ». D’ailleurs, ce n’est pas tellement pour prétendre que les animaux sont des machines : c’est surtout pour dire que le corps d’un être vivant « fonctionne » comme une machine, et qu’il n’y a donc pas de différence entre l’être vivant et la machine – aucun « supplément d’âme » mystérieux qui explique le fait qu’un corps soit en mouvement. On peut dire que cette conception, très actuelle, est à l’origine des progrès de la médecine : c’est bien un cœur entièrement artificiel qu’on a récemment commencé à greffer sur un être humain.

 

 

Pourtant, la suite spectaculaire – et un peu traumatisante – de la scène tend à montrer le contraire (âmes sensibles s’abstenir) : on montre au policier ce qu’il reste de lui derrière l’armure. En fait, il ne reste pas grand-chose : son cerveau, et son système respiratoire (cœur et poumons) – même pas son système digestif. Il n’a plus de bras, plus de jambes, plus de tronc, et même plus cette « enveloppe charnelle » qu’on appelle habituellement le corps. Il ne lui reste que quelques organes internes.

Le malaise que crée cette vision d’horreur nous montre assez bien que le corps n’est pas qu’une enveloppe extérieure, justement, et que l’être humain ne se réduit pas à son âme, sa pensée, bref, à sa vie intérieure. Je suis aussi mon corps auquel je m’identifie devant la glace quand je me regarde, et si je me réveille un matin avec la tête d’un autre, on peut bien dire que je ne suis plus vraiment moi. Ce que Descartes admet volontiers finalement en disant que « l’âme n’est pas dans le corps comme un pilote en son navire ».

source : http://blog.letudiant.fr/gilles-vervisch/2014/05/12/robocop-vs-descartes/

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