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Atelier la technique ("2001, l'odyssée de l'espace" (Kubrick)/ "Protagoras" (Platon)/ "La sentinelle" (A. C Clarke)

Publié le 1 Avril 2019, 13:52pm

Catégories : #Philo & Cinéma, #Ateliers audiovisuels

Atelier la technique ("2001, l'odyssée de l'espace" (Kubrick)/ "Protagoras" (Platon)/ "La sentinelle" (A. C Clarke)

1ES2 atelier  4  mardi 2 avril 2019

Analyser la vidéo : "L'aube de l'humanité" (début du film de S. Kubrick - 9mn35) et tentez de rendre compte de son sens philosophique et de sa problématique à l'appui des 2 docs ci-dessous ( Clarke + Platon)

Rôles :

1) Analyse du plan séquence : description images/son (I)

2) Problématique - Orateur (O)

3) Plan + Archiviste (A) : rapport entre l'extrait vidéo et les 2 textes

4) Dessinateur (enjeu graphique et philosophique de l'extrait)

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textes :
a) Arthur C. Clarke, "La Sentinelle" (Sentinel of Eternity), 1951.

L’histoire
Une équipe d’astronautes atterrit sur la Lune et découvre, lors d’une exploration de la Mer des Crises, une pyramide de cristal construite sur une falaise. L’analyse de la poussière cosmique située sur la surface de cette pyramide montre que celle-ci a été édifiée il y a environ deux milliards d’années, alors même que la vie n’existait pas sur Terre.

Le narrateur, qui est un géologue de l’équipe d’exploration, y voit immédiatement le symbole d’une intervention extraterrestre et imagine qu’il s’agit d’une « sentinelle », placée là pour savoir quand les humains atteindront cet endroit et seront donc devenus une civilisation intelligente apte au voyage spatial.

Les astronautes dépêchés sur place essaient par tous les moyens d’entrer dans cette pyramide afin d’en découvrir les mystères. Mais le champ de force reste infranchissable. De plus, les astronautes constatent que la structure transmet sans cesse des signaux dans l’espace. Or cette transmission cesse soudainement lorsque les astronautes réussissent enfin à rompre le champ de force à l’aide d’armes atomiques…

extrait
"Peut-être comprenez-vous à présent pourquoi cette pyramide de cristal fut érigée sur la Lune et non sur la Terre. Ses bâtisseurs ne s’adressaient pas aux espèces qui peinaient pour s’arracher à la barbarie. Notre civilisation ne les intéressait que si nous prouvions notre capacité à survivre – en franchissant l’espace, échappant ainsi à notre berceau, la Terre. Tôt ou tard, toutes les races intelligentes seraient confrontées à ce défi. Double défi, car il dépend à son tour de la conquête de l’énergie atomique et du choix ultime entre la vie et la mort.
Lorsque nous eûmes triomphé de ce dilemme, ce ne fut plus qu’une question de temps pour trouver la pyramide et la violer. A présent, son signal s’est éteint, et ceux qui sont investis de cette fonction vont se tourner vers la Terre. Peut-être désirent-ils aider notre civilisation naissante, mais ils doivent être vieux, très vieux, et souvent les vieux éprouvent à l’égard de leurs cadets une jalousie insensée.
Je ne peux plus regarder la Voie Lactée sans me demander de quelle constellation viendront les émissaires.Si vous me pardonnez cette plate comparaison, nous avons déclenché l'alerte à incendie et nous n'avons plus qu'à attendre les pompiers. Je ne pense d'ailleurs pas que nous ayons longtemps à attendre."


b) Platon, Protagoras
Au moment de produire à la lumière les races mortelles, les dieux ordonnèrent à Prométhée et à Epiméthée de distinguer entre elles toutes les qualités dont elles avaient à être pourvues. Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser le soin de faire lui-même la distribution. (...)

Dans cette distribution, il donne aux uns la force sans la vitesse; aux plus faibles, il attribue le privilège de la rapidité; à certains il accorde des armes. (...) Bref, entre toutes les qualités, il maintient un équilibre. (...) Après qu'il les ait prémunis suffisamment contre les destructions réciproques, il s'occupa de les défendre contre les intempéries qui viennent de Zeus, les revêtant de poils touffus et de peaux épaisses, abris contre le froid, abris aussi contre la chaleur. (...) Or Epiméthée, dont la sagesse était imparfaite, avait déjà dépensé, sans y prendre garde, toutes les facultés en faveur des animaux, et il lui restait encore à pourvoir l'espèce humaine. (...) Dans cet embarras, survient Prométhée pour inspecter le travail. Celui-ci voit toutes les autres races harmonieusement équipées, et l'homme nu, sans chaussures, sans couvertures, sans armes. (...)

Prométhée, devant cette difficulté, ne sachant quel moyen de salut trouver l'homme, se décide à dérober l'habileté artiste d'Héphaestos et d'Athéna, et en même temps le feu - car, sans le feu, il était impossible que cette habilité rendit aucun service - puis, cela fait, il en fit présent à l'homme. C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la vie.

Platon, Protagoras, 320d-321d

 

analyse :

Le récit de Platon (reprenant le mythe de Prométhée) porte sur "les arts utiles à la vie", nous dirions aujourd'hui la technique.

Platon répond à la question de savoir quelle est l'origine de la technique.

Il soutient la thèse selon laquelle la technique jourait un rôle de suppléance, de compensation : l'homme n'a pas par nature ce qu'il lui faut pour vivre, il est le plus dépourvu, le plus pauvre en moyens de vivre parmi les êtres vivants. C'est la technique - définie comme habileté (avoir l'art de) et moyen matériel symbolisé par le feu, à l'origine de la métallurgie, et donc de l'outillage - qui tire l'homme de ce mauvais pas, le sauve en lui permettant de se procurer le nécessaire.

La composition du passage est celle d'un récit. Platon décrit la distribution des qualités (facultés) dont les races mortelles ont à être pourvues à l'origine. Il donne la règle à respecter et qui ne le sera pas par Epiméthée : obtenir un équilibre dans la distribution. L'imprévoyance d'Epiméthée conduira son frère Prométhée à intervenir) : à l'homme laissé nu, il offrira l'habileté et l'énergie divines.

La "création" est conçue par les Grecs comme étant une mise en ordre effectuée par un démiurge* dans un réel antérieur, au sein duquel on puise. Pas de création ex nihilo !

La thèse sera énoncée dans la dernière phrase: "C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la vie". "Ainsi" énonce une explication par description ( = de cette manière), répond à la question "comment ?" ; "fut mis en possession (par...)" explique l'origine, énonce la "CAUSE", dit comment l'homme a été doté des "arts utiles à la vie" = techniques.

La réponse au comment n'est pas toutefois à proprement parler narrative. Il convient de prêter attention au "genre littéraire" du texte !I l s'agit d'un mythe, c'est-à-dire d'un récit destiné à fournir l'illustration d'une vérité philosophique. La vérité, ici, porte sur ce qui rend la technique nécessaire à l'homme, le besoin dans lequel elle s'origine. Un mythe ne raconte pas une histoire effective. Il est symbolique..

Intérêt philosophique du passage :

- En inscrivant la technique comme il le fait, en creux, dans la nature (en faisant de l'homme le grand oublié de la création), Platon soulève par là-même le problème de la condition humaine, singulièrement celui de la place de l'homme dans l'univers et offre, par sa façon de voir, une perspective anthropologique tout à fait originale, pour ainsi dire dialectique avant la lettre : le positif de l'humain jaillit de la rencontre du négatif et du positif, d'un manque à gagner en acquis innés auquel répond une habileté instrumentale, le tout dans un véritable renversement/dépassement de situation.

- Par le recours au mythe est en même temps maintenue une part de "mystère sur la création où s'inscrit l'origine de l'homme. Ce qui lui évite par ailleurs de "fantasmer" sur le déroulement des choses, telles qu'historiquement elles auraient pu se passer, "travers" dans lequel tomberont ceux qui reprendront la question plus tard, tels LUCRECE dans le De Natura Rerum et ROUSSEAU dans le Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes.

- Fortune culturelle du mythe : l'homme de la technique, désigné comme "prométhéen".

- Fortune scientifique et philosophique de l'analyse :

. scientifique : analyse, de confirmation de l'anthropologie paléontologique. Cf. cours sur le travail.

. philosophique: déséquilibre entre besoins et ressources, expliquant le travail.

- Limites du point de vue

Cf. Aristote, Les Parties des animaux : la main, outil polyvalent; l'outil prolonge l'organe. La technique ne tombe pas du ciel !

source analyse :  http://www.philonet.fr/ComText/Plattech.html

 

Proposition de traitement par Mlles Mareschi, Robson, Delval & Guilloton, Lycée Albert-Ier de Monaco, 1ère L1 , mai 2019.

STANLEY KUBRICK, PROLOGUE 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE, « L’AUBE DE L’HUMANITE », 1968.
ARTHUR C. CLARKE, LA SENTINELLE
(Sentinel of Eternity), 1951.
PLATON, PROTAGORAS, 320d-321d


Le texte de Clarke raconte qu’une sentinelle a créé une pyramide de cristal qui ne peut être ouverte qu’avec l’énergie atomique. Il s’agit d’un test pour l’Homme afin de savoir s’il est assez civilisé pour arrêter de se battre et accéder à l’espace. La question est de savoir si la sentinelle va protéger l’Homme ou si elle va le "jalouser" et entrer en guerre contre lui.
Le texte de Platon raconte comment Prométhée et Epiméthée distribuèrent des qualités aux animaux et aux hommes. Aux animaux ont été donnés la force, la rapidité et les armes. Aux hommes, on leur donna l’habileté et le feu, lui donnant la possession des arts utiles à la vie.


L’extrait du film commence avec un plan complètement noir accompagné d’une musique forte et oppressante. Puis, ce qui semble être des singes apparaissent à l’écran en plan rapproché. Ils sont calmes et plongés dans l’obscurité de la nuit. Il n’y a aucune musique.
Le jour se lève, les primates sont excités par l’arrivée du jour. On peut y voir une forme d’allégorie : le jour symbolisant le savoir, les pré-humains y sont très réceptifs. Cette allégorie peut être supportée par le plan suivant. On y voit une stèle mystérieuse qui s’élève vers le ciel. Celle-ci peut être rapportée au thème de l’inconnu, que l’on retrouve également dans le texte de Platon avec son aspect spirituel ou dans le texte de Clarke avec la présence de l’espace.
Dans ce plan, elle est présentée à la fois aux spectateurs et aux personnages – dont les réactions face à cet objet sont montrées à l’écran. Ces réactions sont successives : l’affolement (avec une musique sourde qui finit par couvrir les cris des primates), la curiosité (les primates sont réunis autour de la stèle, la musique est à son paroxysme). Enfin, la stèle est montrée en contre-plongée, laissant apparaître à son sommet le ciel, où se trouvent une lune faiblarde et un soleil se levant. Ce plan pourrait symboliser la fin d’une ère d’ignorance (représentée par la lune transparente) et le début d’une ère de connaissance (soleil levant). La stèle est donc une représentation du savoir apporté par ce jour, puisqu’ils apparaissent en même temps. Ce plan peut également insinuer une origine céleste pour ce monolithe. On peut donc crée un parallèle avec le texte de Clarke où l'Homme veut atteindre la Lune et détruire une pyramide qui s’y trouve.


Plan suivant : un désert où le seul son vient du vent. Une interprétation de ce plan pourrait être une représentation des conditions de vie difficiles dans lesquelles vivent les primates. Une autre pourrait être que ce plan de désert représente une coupure : aussi bien dans le film que dans l’histoire qu’il raconte. Cette coupure séparerait le moment où les primates reçoivent le savoir de la part de la stèle et le moment où ils l’appliquent (moment qui sera mis en scène juste après).
Un pré-humain creuse puis, comme saisi par un éclair de génie – comme chez Platon où il y a une avancée technologique et une évolution de l’espèce dans la manière de concevoir –, se met à s’intéresser aux os qui se trouvent devant lui. Cet éclair de génie est représenté à l’écran par le plan de la stèle que l’on a vu précédemment. Le primate met donc en application ce que la stèle lui a transmis.
Une autre étape commence alors : le pré-humain utilise l’os. Après la phase de découverte, il saisit l’utilisation qu’il pourrait faire avec l’os : taper. Durant ces quelques plans où le primate tape avec l’os qu’il a saisi sur les restes d’un tapir, Also Sparch Zarathustra de Strauss se fait entendre et devient de plus en plus fort : le moment est donc mis en valeur par la musique épique. Ce moment se finit avec la chute d’un animal, parfaitement synchronisée avec un des coups du primate. Le primate a découvert un outil pouvant lui être utile.


Prochain plan : le désert, de nouveau. Servant toujours de coupure, il permet de faire transition entre la découverte de l’outil et la démocratisation de celui-ci. En effet, le plan montre des primates mangeant de la viande entourés de leurs proies. Grâce à leur nouvel outil, le temps de la misère est révolu.
Le soleil se couche, montrant le temps qui passe. Puis, le spectateur est présenté à deux groupes de primates semblant être en conflit. Ils ont tous des outils. On peut interpréter cela comme une preuve que l’apparition d’outils a entraîné des conflits entre individus de la même espèce. Un des individus impliqué dans ce qui semble être un duel est calme au début, ne s’excitant qu’à cause des cris incessants de son adversaire et de la foule qui les entoure. Ce même individu tente de s’éloigner – comme le champ protégeant la stèle dans le texte de Clarke – de la flaque qui constitue le champ de bataille mais son opposant l’attaque. Le premier riposte avec son outil, le second tombe à terre. Alors que le premier a fini de le frapper, les autres individus qui étaient passifs jusqu’à présent se mettent à leur tour à utiliser leur os pour frapper le primate à terre. Le groupe finit par suivre le vainqueur du combat : une loi du plus fort et une hiérarchie se sont installées au sein du groupe, comme on peut le voir dans le texte de Platon.
 

Enfin, alors qu’un des primates semble être devenu le chef du groupe, il jette son os vers le ciel. Le dernier plan est la transition, assez bâclée dans le sens où les mouvements ne sont pas exactement coordonnés, entre l’os et une station spatiale en orbite autour de la Terre. Cette station spatiale rappelle l’espace et sa conquête présentée dans le texte de Clarke.
Ce plan final représente le bond réalisé par l’Homme au niveau des avancées technologiques. Cette transition abrupte nous rappelle aussi que nous sommes insignifiants, à la merci du temps (et de l’espace puisque Kubrick nous montre une transition entre deux plans se déroulant dans le ciel). Le laps de temps entre la découverte de l’outil et la "conquête"
spatiale est en vérité une nanoseconde comparée à la durée de vie de l’univers.
 

En conclusion, on peut réunir ces trois documents sous cette même problématique : « Quelle est l’origine de l’évolution de l’espèce humaine et dans quelles conditions techniques a-t-elle lieu ? »

 

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