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La violence & l'esthétique dans "Reservoirs Dogs" (Tarantino, 1992) : l’oreille coupée & "Stuck in The Middle With You" (Stealers Wheel, 1972)

Publié le 16 Juin 2022, 19:39pm

Catégories : #Ateliers audiovisuels

La violence & l'esthétique dans "Reservoirs Dogs" (Tarantino, 1992) : l’oreille coupée & "Stuck in The Middle With You" (Stealers Wheel, 1972)

A partir de l'extrait proposé (la scène de l’oreille coupée dans Reservoir Dogs, de Quentin Tarantino),  et à l'appui des 2 documents soumis :

- "L'oreille coupée de Reservoir Dogs : anatomie d'une scène culte"
- "Reservoir Dogs : La jouissance de l’interdit",

Posez le lien problématique entre esthétique et violence.

 

#LE TOURNAGE
A l'aube des années 1990, Quentin Tarantino n'est personne. Sans un rond, il imagine un scénario facile à tourner, en huis clos et avec peu de personnages. Au départ, il compte même le filmer en 16 mm avec des amis. Jusqu'à ce que Harvey Keitel et Monte Hellman, le réalisateur de "Macadam à deux voies", ne tombent raide dingues du script et décident de le produire. La majeure partie de "Reservoir Dogs" se déroule dans un hangar désaffecté où huit gangsters se retrouvent après un braquage qui a mal tourné.

Durant deux semaines, Tarantino et son équipe investissent une ancienne morgue située à l'angle de Figueroa Street et de la 59e Rue. Lorsqu'ils mettent en boîte la scène de l'oreille, la chaleur des projecteurs s'ajoutant à celle de Los Angeles, la température sur le plateau avoisine les 43°C. Scotché à sa chaise, Kirk Baltz, qui joue le flic, manque de tourner de l'oeil. La prothèse qui camoufle son oreille mutilée se met même à fondre sous la chaleur. D'autant que Tarantino accumule volontairement les prises pour faire monter la tension entre ses deux acteurs.
Conscient de l'importance de cette scène, le cinéaste en tourne quatre versions différentes dont une où il filme l'ablation. Elle ne survivra pas au montage, contrairement au plan où Michael Madsen s'adresse à l'oreille du flic qu'il tient à la main. "What's going on ?", lui souffle t-il. Une réplique improvisée par l'acteur.

A l'origine, Mr. Blonde devait être incarné par Christopher Walken. Difficile aujourd'hui d'imaginer quelqu'un d'autre que Madsen dans ce rôle à la Lee Marvin qui a vampirisé sa carrière, vaste cimetière de séries Z. Mr. Blonde lui colle à la peau. Et pour cause : l'acteur porte ses propres santiags et conduit sa propre voiture, une Cadillac Coupe de Ville couleur crème, dans le film.


#LA SCÈNE
C'est l'acte de naissance du style Tarantino, la première scène culte d'un cinéaste qui, depuis, en a inscrit une flopée à son palmarès. Tout est déjà là, deux ans avant "Pulp Fiction" : le cocktail de violence et d'humour noir, le suspense en huis clos, le personnage de malfrat en costume et cravate noirs, le tube vintage ressuscité. Et même le pas de danse.

Rien ne nous prépare à cette séquence de torture lorsqu'elle survient dans le film. C'est sa raison d'être : surprendre le spectateur, révéler, sans crier gare, le caractère psychopathe d'un personnage pour lequel on éprouvait jusqu'ici une certaine sympathie.
Pourquoi Mr. Blonde, incarné par Michael Madsen, en attendant le retour de ses acolytes de braquage dans le hangar qui leur sert de QG, se met-il à torturer Marvin Nash, le pauvre flic qu'ils détiennent en otage ? Pourquoi allume-t-il la radio et se déhanche-t-il sur le morceau "Stuck in The Middle With You" de Stealers Wheel avant de trancher l'oreille de sa victime ? Parce que ça l'amuse. Comme cela amuse Tarantino d'enrober d'atours cool un acte sadique et gratuit. De jongler avec nos nerfs et nos zygomatiques en exploitant notre fascination ambiguë pour la violence à l'écran.
Sauf que l'on ne voit rien.

Lorsque Mr. Blonde tranche l'oreille du flic, la caméra panote, l'image se fixe sur l'arrière-plan, vide. Tarantino nous prive du climax de sa mise en scène macabre. Un détail qui veut dire beaucoup : au-delà du pur plaisir de cinéma qu'elle procure, cette scène nous renvoie à notre position perverse de spectateur-voyeur. Lors de la sortie du film, Quentin Tarantino confiait au journaliste Peter Brunette : "Il y a deux types de violence. La violence de cartoon façon 'l'Arme fatale'. Pas de mal à ça. Mais ma violence est plus crue, dure, plus dérangeante. Elle s'insinue en vous."


#LE CHOC
Présenté au Festival de Sundance puis en séance de minuit à Cannes, "Reservoir Dogs" fait jaser. Pas une séance sans que des gens sortent de la salle lors de la fameuse scène de l'oreille, située pile à la moitié du film. Même Wes Craven, le pape du cinéma d'horreur, ne reste pas jusqu'au bout. Tarantino affirme :

Ça ne me gêne pas que les gens quittent leur fauteuil. Ça veut dire que la scène fonctionne."
Harvey Weinstein, son distributeur, n'est pas de cet avis. Le mogul, qui vient d'obtenir la palme d'or avec "Sexe, Mensonges et Vidéo", est connu pour ses méthodes radicales et sa tendance à remonter les films de ses poulains. Toutcinéaste débutant qu'il est, Tarantino ne se laisse pas impressionner.


Peter Biskind, dans son livre "Sexe, Mensonges et Hollywood", raconte comment Weinstein, craignant que la fameuse scène ne rebute le public féminin, fit pression sur le cinéaste pour la couper.

Sans cette scène, tu as un film mainstream. Avec, tu te fourres dans une niche. Sans cette scène, on sort sur 300 salles. Au lieu d'une."
Mais Tarantino tient bon. "Reservoir Dogs", triomphe critique, rencontrera un succès très relatif en salles mais deviendra culte grâce à la vidéo. Et à la scène de l'oreille, qui, si l'on en croit le réalisateur, compte au moins deux femmes parmi ses fans : sa mère et Madonna.

nicolas schaller

source :
https://teleobs.nouvelobs.com/actualites/20150721.OBS2957/l-oreille-coupee-de-reservoir-dogs-anatomie-d-une-scene-culte.html

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Reservoir Dogs : La jouissance de l’interdit


"Réservoir Dogs". Retour sur ce long métrage à travers la musique et une séquence-phare que l'on pourrait intitulée "la jouissance de l'interdit".


Le cinéma gore est, par définition, le passage à l’écran dans nos salles obscures de tout ce que les gens en général ne veulent pas voir ou tout ce qui ne se montre pas : le sexe, la violence, le sang et bien d’autres aspects
répugnants.

Toutes ces horribles choses pour lesquelles nos mains se jettent sur nos yeux pour éviter le cauchemar et la panique la nuit tombée. Et si je vous disais que ce réflexe est lié à nos codes et notre société, mais, que le soir venu, vous
aimeriez quand même vous métamorphosez en tueur digne d’un slasher ou encore un psychopathe tortionnaire ?

N’avez-vous donc jamais eu l’envie d’une petite vengeance, en voyant la pile de dossiers que votre collègue dépose sur votre bureau, pour retourner à sa conversation Messenger ? Une envie de découper le chien de votre voisin faisant
chaque matin ses besoins sur votre pelouse n’est jamais montée dans votre fond intérieur ?

Si je vous avouais que cette envie de petits meurtres monte sans vous en rendre compte, dès les premières notes d’une entraînante musique, comme celle de la célèbre séquence de découpage d’oreille excétutée dans les règles de l'art par
Michael Madsen dans "Reservoir Dogs" de Quentin Tarantino.

Revisionnez juste cette séquence. Ensuite, osez me dire droit dans les yeux que vous n’avez pas tapoter du pied ou fredonnez, tout en écartant vos doigts qui soi-disant vous empêchez de visionner cette horrible cette scène.

Désolé de cette horrible nouvelle, mais vous êtes un sociopathe. Ce monde est fou. Non ! Je plaisante bien sûr, vous êtes parfaitement normal et même si cette magie noire du cinéma ne concerne pas tout le monde, les réalisateurs ont
fait en sorte de nous manipuler.

Prenons la séquence de "Reservoir Dogs" que je vous ai exposée précédemment. Comme je viens de vous le dire, vous n’êtes pas sociopathe, mais l’interdit attire et la musique principalement a joué un grand rôle dans cette séquence. Sans
la musique entrainante de cette séquence, vous n’auriez pas réagi de la même façon.

Regardez-la à nouveau en coupant le son. Je peux vous assurer que vous n’allez pas danser, mais peut-être pleurer, en tout cas grimacer. Le fait que le tortionnaire allume sa radio pour mettre une musique des plus rythmées pendant cet
effroyable acte et se mette à danser avant de découper l’oreille de sa victime, ne peut que nous donner aussi envie de danser.

C’est alors que notre rapport à l’autre change et l’empathie tarde à se manifester, voire nous fait défaut, en voyant cette pauvre victime se faire découper.

Tarantino a voulu se jouer de nous sans notre consentement et tout cela avec juste quelques notes qui vont prendre possession de notre corps. De plus, si vous n’y aviez pas fait attention lors de cet ensorcèlement, je peux vous assurer
que Tarantino n’a pas choisi une musique bénigne et dénuer de tout sens.

Si vous prenez les paroles de cette douce chanson (inscrite sous le titre Stuck In The Middle With You du groupe Stealers Wheel), vous vous rendrez compte de la supercherie de la musique. Nous ne sommes pas sur un titre que l’on peut
mettre lors d’une soirée entre amis, mais c’est ici bien un titre synonyme de la panique générée par la présence d’un psychopathe.

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Au secours ! Qui suis-je ? Je danse sur des SOS.

La musique contient déjà dans son titre « Coincé au milieu avec toi », un appel de détresse qui peut être bien sûr lors de la scène de torture, celui de ce pauvre homme ensanglanté sur sa chaise, coincé face à ce meurtrier. Je ne
m’arrête pas là. Les paroles nous traduisent la crainte, la peur, l’angoisse… C’est déjà beaucoup.

Le premier couplet décrit presque mot pour mot la scène de torture :

Well, I don't know why I came here tonight
Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici ce soir
I got the feeling that something ain't right
J'ai l'impression que quelque chose ne va pas
I'm so scared in case I fall off my chair
J'ai si peur de tomber de ma chaise
And I'm wondering how I'll get down the stairs
Et je me demande comment je vais descendre les escaliers

film-reservoir-dogs-4
Puis viennent les atrocités qui nous font trembler et qui traduisent le sentiment de cet homme sur sa chaise face à ce fou :

Clowns to the left of me,
Des clowns à ma gauche,
Jokers to the right,
Des jokers à droite,
Here I am
Et moi au milieu
Stuck in the middle with you
Coincé au milieu avec toi

Je pense que je n’ai pas besoin d’aller plus loin pour vous dire que nous avons à faire à des manipulateurs complétement dérangés, que ce soit ce gentil monsieur trop bien habillé pour découper des personnes que Monsieur Tarantino, le
maître de la folie transparaissant à l’écran. Mettons donc du plomb dans nos semelles pour retenir tous pas de danse sur cette musique qui accompagne la tuerie.

Elisa Drieux-Vadunthun

source : https://www.lequotidienducinema.com/focus/reservoir-dogs-de-la-jouissance-de-l-interdit/

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