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Robert Silverberg, "Destination fin du monde"

Publié le 17 Mai 2020, 08:40am

Catégories : #ROMANS

Robert Silverberg, "Destination fin du monde"

“Et si c’était truqué ?”


Courte mais pro­fonde réflexion sur le temps et la pré­des­ti­na­tion de l’homme, When we Went to See the End of the World raconte l’histoire de voya­geurs expé­diés, grâce à une agence spé­cia­li­sée dans le time-travel façon Total Recall, à l’extrémité ultime du temps où cha­cun d’entre eux aura tout le loi­sir de contem­pler une Terre déso­lée et vide mais, à chaque fois, la vision de cha­cun sera dif­fé­rente de celle de l’autre.
Cer­tains des convives oisifs réunis pour une soi­rée et racon­tant à qui mieux-mieux en une ving­taine de pages les spec­tacles de fin du monde aux­quels ils ont assisté ver­ront ainsi, lors des der­niers sou­bre­sauts de la pla­nète, pour cer­tains une plage brouillar­deuse où ago­nise un crabe, des déserts des­sé­chés, pour d’autres de vastes forêts sau­vages, les océans sub­mer­geant les conti­nents ou encore, palme de la déso­la­tion offerte par ce voyage tem­po­rel de l’impossible, la Terre alors entiè­re­ment recou­verte par la neige et la glace, les ves­tiges des édi­fices humains détruits par les assauts d’un nou­vel Age Glaciaire.

L’inté­rêt de cette nou­velle publiée à l’origine en 1972 et qui paraît dans la col­lec­tion Dys­chro­niques des édi­tions Le Pas­sa­ger clan­des­tin, habi­tuée à remettre à l’honneur des textes anciens de grands noms de la SF rela­tifs aux ques­tions envi­ron­ne­men­tales, poli­tiques, sociales, ou éco­no­miques, est de mettre sur­tout en lumière moins les temps trou­blés à venir de la fin du monde que ceux, contem­po­rains et infi­ni­ment plus dégra­dés, des pro­ta­go­nistes.
Rédigé dans le contexte de la Guerre du Viet­nam, les membres de la haute société amé­ri­caine qui se vantent d’un ton blasé mutuel­le­ment, lors de cette soi­rée « ami­cale », d’avoir testé le nou­veau ser­vice de voyage vers la fin du monde sur­prennent de fait moins par la sorte de sous-marin tem­po­rel où ils ont pris place pen­dant trois heures pour assis­ter à ce spec­tacle apo­cal­py­tique (aux nom­breuses fins à géo­mé­trie variable à ce qu’il semble — “Et si c’était tru­qué ?” demande d’ailleurs l’un d’eux) que par leur indif­fé­rence totale et devant les forces de la Nature et aux catas­trophes de leur propre époque – virus mutant, ter­ro­risme nucléaire, assas­si­nat chro­nique du pré­sident en place, atten­tats poli­tiques, agi­ta­tion sociale, émeutes meur­trières à Saint-Louis, crises sani­taires, trem­ble­ments de terre pro­vo­qués à San Fran­cisco — qu’ils égrènent en flir­tant ouver­te­ment et en se com­por­tant de manière immorale.

Même si l’on peut regret­ter que Sil­vel­berg, le contem­po­rain des célèbres Isaac Asi­mov, Phi­lip K. Dick ou Arthur C. Clarke en reste à ce trop(e) de l’énumération qui n’implique pas assez le lec­teur dans la prise de conscience et la res­pon­sa­bi­lité requises, l’effet de contraste joue à plein et, tout en signa­lant la mort du « sense of won­der », dénonce sans coup férir une société de l’enter­ten­maint géné­ra­lisé, consom­ma­trice et aveugle quant aux dérives d’un pré­sent qui pour­rait peut-être être sauvé si cha­cun regar­dait dans la bonne direc­tion.
Car les terres dévas­tées deve­nues le der­nier objet com­mer­cial d’une huma­nité en train de s’auto-dissoudre reflètent en vérité la cosa men­tale, le pay­sage inté­rieur inexis­tant de chaque per­sonne gri­sée par l’ivresse du show.

Et si, plu­tôt que de se bous­cu­ler pour en contem­pler les variantes dif­frac­tées, on fai­sait enfin quelque chose pour ne plus hâter ce saut consenti dans la grande catas­trophe ? Au lec­teur de médi­ter la for­mule de Guy Debord qui clô­ture le para­texte du recueil : “Nous ne vou­lons plus tra­vailler au spec­tacle de la fin du monde, mais à la fin du monde du spec­tacle.” (Inter­na­tio­nale situa­tion­niste, n°3, 1959).
Une réflexion à pour­suivre à la suite de cette nou­velle par deux post­faces d’époque (une de Jean-Pierre Andre­von et une de Robert Sil­ver­berg, en miroir à la pré­face de mars 2020 du pré­sent ouvrage évo­quant les affres du Covid-19 : « Durant toute ma vie d’écrivain, j’ai essayé d’entrevoir l’avenir ; ce à quoi j’assiste aujourd’hui est tel­le­ment effrayant que l’avenir, je l’espère, appor­tera cette fois un démenti à ma vision de demain.» et), la biographie/bibliographie de l’auteur, la pré­sen­ta­tion des d’éléments de contexte ou les sug­ges­tions de lectures/ vision­nages connexes proposés.

frederic grol­leau

Robert Sil­ver­berg, Des­ti­na­tion fin du monde, Le Pas­sa­ger clan­des­tin, juin 2020, 48 p. – 5,00 €.

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