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Georges Leroux et les larmes de Schubert ("Le voyage en hiver")

Publié le 22 Juin 2019, 20:16pm

Catégories : #Philo (Notions), #Philo & musique

Georges Leroux et les larmes de Schubert ("Le voyage en hiver")

Avec Wanderer, essai sur Le voyage d'hiver de Franz Schubert, le philosophe Georges Leroux revient à la musique, où l'on a tant besoin d'esprits de son envergure.

La passion musicale de Georges Leroux et son sens aigu de l'analyse étaient apparus dans son essai Partita pour Glenn Gould, en 2007. Le sujet, ici, est autrement plus important. Die Winterreise — Le voyage d'hiver — est le plus important cycle de lieder (mélodies) de la musique classique. Il a été composé par Schubert au début de l'année 1827 comme un exutoire à une phase d'angoisse et de sclérose créatrice. Schubert a trente ans. Sa santé est chancelante depuis quatre années, il lui reste vingt mois à vivre.

« Effrayants de tristesse. » Les mots de Joseph von Spaun, ami de Schubert, pour caractériser ces lieder, sont rappelés par Georges Leroux très tôt dans son ouvrage. Miroirs de la détresse de Schubert, comme de sa douleur, fin mars 1827, en apprenant la mort de Ludwig van Beethoven, les vingt-quatre étapes de ce chemin de croix sont aussi, et surtout, des témoins brûlants de l'alliance littérature et musique au coeur du romantisme allemand. Décodant ce parcours avec érudition et clarté, Georges Leroux nous prend par la main afin de partager la solitude du voyageur et sa confrontation avec la finitude.

La culture de Georges Leroux, qui est aussi collaborateur du Devoir, lui permet de nous raccorder aux sources et références de ces poèmes mis en musique et d'en élargir les horizons. Leroux souligne ainsi à juste raison que l'image du tilleul (Der Lindenbaum, cinquième et plus célèbre des lieder du Voyage d'hiver) est née sous la plume de Thomas Mann dans La montagne magique. Le tilleul y est le symbole de l'identité allemande. « Quel était ce monde qui s'ouvrait derrière [ce lied] et qui d'après le pressentiment de sa conscience devait être le monde d'un amour interdit ? C'était la Mort », écrit Mann dans son livre.

Ces références sont fondamentales lorsque la petite histoire rencontre la grande et fixe pour l'éternité des moments non reproductibles. Le voyage d'hiver a eu cette destinée. En lisant les lucides analyses de Georges Leroux sur ce face à face avec la mort, je n'ai pu m'empêcher de réécouter en boucle le témoignage sonore d'un autre voyageur, parcourant, en janvier et mars 1945, les ruines de Berlin pour rejoindre, sur la Masurenallee, le seul immeuble encore debout, celui de la radio du Reich. Le ténor Peter Anders, au-dessus d'un champ de gravats et interrompu par les sirènes, allait y graver l'interprétation la plus désespérée du Voyage d'hiver, connaissant sa première catharsis hébétée et révoltée sur les paroles « Larmes, mes larmes; êtes-vous donc si froides que vous gelez »...

Il serait erroné de ne donner qu'une lecture politique de cette fin du monde en direct, où le disque devient le leiermann (joueur de vielle) de l'Histoire, avec un grand H. Entendre Peter Anders véritablement éructer en 24 stations cette détresse et angoisse et relire ces mêmes mots, mis en perspective de manière limpide et nourrissante par Georges Leroux, restera assurément mon choc culturel de l'année 2011. 

Peut-être un jour, en édition limitée, disque et livre seront-ils associés ?

christophe huss

https://www.ledevoir.com/lire/333611/georges-leroux-et-les-larmes-de-schubert

 

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