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la violence ambigue dans "Fight Club" et "A History of Violence"

Publié le 28 Mars 2019, 03:12am

Catégories : #Philo & Cinéma

la violence ambigue dans "Fight Club" et "A History of Violence"

La mort de Dieu

Le premier à aborder ce concept fut le Nietzsche. Il se met à penser l’homme à partir de lui-même, et non plus à partir de Dieu. Selon ce dernier,Dieu est incompatible avec la dignité de l’homme, avec l’affirmation de la vie. Dieu serait plutôt un symbole de mort et de tourment, cependant, l’homme est vie. L’homme ne peut donc s’établir qu’en s’opposant à Dieu. La mort de Dieu est justement la condition de libération de l’homme. En fait, la mort de Dieu ne constitue pas une fin : c’est la naissance de la transformation humaine. L’homme nietzschéen fait face au peuple pour s’attester en tant qu’être supérieur, qui n’hésite pas à lutter pour la domination. Mais, ce même abandon de l’être suprême se reflète dans une population qui se cherche, car elle n’a plus d’institution, d’être suprême pour lui dire quoi penser et faire.

 

Les hommes de Fight CLub n’ont plus accès à ce Dieu que la société a tué, ils deviennent alors chaos. Ils luttent pour trouver une raison à leur

existence monotone et vont même jusqu’à se créer un nouveau symbole d’autorité : Tyler. Les « Space monkeys » suivent Tyler parce qu’il détruit leur ancien univers dans ses actes de violence et représente un être surhumain. Une des premières choses qu’il leur impose est évidemment de se couper de ce Dieu, de ne plus croire en cette autorité que la société leur a imposée, et qu’elle a de meilleures manières de le faire que par des actes de violences et de défi à l’autorité. Dans ce film, contrairement à A History of Violence, la victoire du bien est impossible, mais le mal restera la solution absolue. Le monde ne veut pas le bien de ces hommes, il veut en faire des moutons, il faut donc tuer (détruire) cet univers. On parle aussi ici d’hommes sans véritable pouvoir politique, cela explique en grande partie pourquoi ils ont recours comme beaucoup de groupes à des actes de violence pour se faire voir. Le fight club serait préférablement une image du chaos à l’intérieur de chacun et le combat de l’homme ordinaire qui doit vivre avec la notion qu’il a lui-même créée Dieu. Finalement, cela démystifie le personnage de Jack, car selon la théorie de Nietzche Jack serait en fait un chaos d’où découle de la souffrance et de la violence puisqu’il tue le Dieu des « Space Monkeys » en créant Tyler, l’anarchiste. Dans un sens, la violence du film peut être comparée à une religion et ses différentes facettes. Le principe du sacrifice que le personnage de Tyler impose à ses « Space Monkeys » est le même que la religion ordonne de ses fidèles : c’est dans la douleur et le sacrifice de soi que l’on vient à se connaître.

L’œuvre de Cronenberg se veut un appel plus subtil au chaos qui réside dans le concept de la mort de Dieu. Alors que Fight Club l’utilise comme agent d’action, l’autre film montre plutôt un homme qui cherche à s’éloigner de ce principe. La place de la religion est forte dans la nouvelle vie de Tom. Le combat entre Tom Stall et Joey Cusack rappelle celui entre la lumière et l’ombre. Cela va jusqu’à prendre des proportions presque mythiques dans la confrontation entre Tom et son frère Richie. Dans les dernières séquences, la scène des retrouvailles entre les frères évolue en un engagement fratricide sur fond de symboles religieux : Tom dit « Jésus Richie » tandis que celui-ci est à terre les bras en croix. Sans aucun doute, Cronenberg réinterprète la parabole d’Abel et de Caïn, celle du péché originel de la violence. Si l’ombre est présente en quiconque, la violence est-elle caractéristique de l’homme? Ce conflit présent dans la vie de Tom n’était pas quelque chose qui inquiétait Joey auparavant, qui tuait sans compromis. Il avait, à ce moment-là, tué Dieu. Pour faire les actions commandées par sa famille il a dû se départir de sa morale et du jugement pour devenir chaos et ne plus être régi par une entité supérieure. Seulement, en retrouvant Tom, il a redécouvert ce Dieu qui lui redonne une seconde chance et qui pardonne la douleur infligée aux autres. C’est loin de la destruction totale que la mort de Dieu engendre dans Fight Club; ici, c’est présent dans la première vie du héros, mais ça se transforme. Cela reste pourtant un des facteurs premiers qui lui permette de violenter les gens sans remords. Pourquoi se sentir coupable quand personne ne nous juge. C’est une libération!

 

L’homme versus sa virilité

La virilité est une construction psychique, cependant, avant tout, l’intime certitude d’être un homme. C’est aussi une façon d’être aux airs de dictat social. Le fantasme de virilité n’est pas celui d’un homme tranquille, mais celui d’un vainqueur, un guerrier, bref, un surhomme. La virilité fait culturellement la valeur d’un homme, toutefois, au vingtième siècle elle essuie échec sur échec. Si bien qu’aujourd’hui n


 ombreux sont ceux qui ont du mal à trouver leur place d’homme. La masculinité est d’abord une composition mentale qui se met en place très tôt avec le complexe d’Oedipe. Le petit garçon veut à la fois être aussi fort que son papa et s’en débarrasser.

Dans Fight Club, la majorité des garçons n’ont pas connu leur père, donc n’ont pas pu se confronter ni rivaliser avec ceux-ci. Ils ont donc poussé en possédant un complexe de puissance dans un univers qu’ils ne saisissaient pas. Or, ceci a des répercussions dans leur vie routinière : ils ne trouvent pas leur place en tant qu’être virile. Pour y remédier, les combats entre eux commencent; le plaisir de la douleur les connecte entre eux et ils finissent par y trouver la base d’une nouvelle société. Avant, ils vivaient sans se poser de questions et maintenant ils ont enfin trouvé un endroit où se prouver. Le bonheur malsain que leur procure le groupe et l’impression de devenir plus homme qu’ils ne l’étaient avant ajoute de nouvelles raisons pour qu’ils se tapent dessus à coup de poing. À la fin des combats, ils sont souvent heureux, même dans les cas de défaites. Parce que c’est peut-être des défaites physiques, mais le simple fait de se battre est comme une annonce pour affirmer leur virilité. Or, la quête des hommes du film est celle d’êtres qui cherchent à se battre pour démontrer une sorte de masculinité anxieuse et se couper de la société moderne. C’est récurrent de nos jours ce problème que certaines personnes ont de vivre à notre époque. Fight Club vient ainsi proposer une solution : l’émasculation et le plaisir de la douleur. Alors que le même phénomène d’homme qui se cherche en tant qu’être viril est observé avec Tom et son fils dans A History of Violence, les hommes du club eux, connectent entre eux par ce passe-temps malsain et aussi par la fondation d’une nouvelle société régie par des combats et la loi du silence. Ils ne sont plus des êtres qui vivaient sans se poser de questions dans leur « médiocre » vie, maintenant ils sont des hommes et ils sont prêts à le prouver au reste du monde.
Premier combat entre les personnages et représentation de la violence qui apporte le plaisir.

 Un concept semblable est observé dans l’autre film, seulement, ce n’est pas toute une génération d’hommes qui se sent attaquée dans sa masculinité. Tom a dû à une époque se soumettre à cette pression sociale qui l’a fait développé Joey. Sans le désir de se prouver, de montrer qu’il pouvait faire comme les autres, qu’il faisait partie de la famille, cette part de lui ne serait jamais ressortie. Une des preuves qui montre que Tom a construit Joey à cause de cela réside dans son fils justement. Il est constamment éduqué sur le fait qu’il ne doit rien régler par la violence et de ce fait, il se fait brimer à l’école et n’est pas bien du tout dans sa peau. Il a à l’intérieur de lui ce besoin comme son père de se déchaîner et de prouver qu’il peut être grand et fort. Comme son paternel par le passé qui a pris les armes pour prouver au reste qu’il était une vraie icône masculine, c’est uniquement lorsqu’il tuera son oncle à la fin et prendra finalement les armes qu’il se sentira enfin un homme. Alors que le thème est moins mis à l’avant-plan que dans son homologue, l’homme contre sa virilité est quand même très fort dans A History of Violence. Même que les scènes de combats misent sur ce côté très bestial en montrant des hommes torses nus et grognant comme des bêtes. Loin d’un ballet de combats, ici tout est brusque et direct. Un peu comme s’ils devaient être conscients qu’ils sont virils jusqu’à la fin. Ce besoin de se sentir homme est aussi très bien montré dans la scène d’amour entre Tom et sa femme où celle-ci joue les petites écolières. Il a ce fantasme d’être un homme plus mâle que nature. Quelle meilleure manière que de représenter cette masculinité dans la violence!

La société de consommation

Le concept de société de consommation indique une disposition sociale et économique engendrée par la création et la stimulation d’un désir d’acheter des biens et des services dans des quantités continuellement plus importantes. Pour maintenir la consommation, les objets consommés sont généralement peu durables. La formule est habituellement utilisée comme critique de la société capitaliste, où l’image, le court terme, la publicité et la possession sont devenus des valeurs vraisemblablement dominantes du système économique.

Le narrateur de Fight Club est un personnage totalement enfermé dans cette société de consommation, il se reconnaît dans les biens matériels. C’est une personne qui ne peut s’empêcher d’acquérir des babioles inutiles, et il va même au point de privilégier les rapports sexuels à  l’aide de magazines pour aménagements plutôt qu’à des femmes. Mais son autre identité va le pousser à l’extrême pour mettre fin à toute cette manipulation. Ainsi il se divise et cette autre personnalité lui dévoilera le revers du décor. Tyler va mettre à nu tout le système en passant par l’endoctrinement de la télévision, de la publicité, et en prouvant que pour ceux qui dirigent ce monde nous ne sommes que des statistiques, un simple compte en banque parmi d’autres : « Vous n’êtes pas votre travail, vous n’êtes pas votre compte en banque, vous n’êtes pas votre voiture, vous n’êtes pas votre portefeuille, ni votre putain de treillis, vous êtes la merde de ce monde prête à servir à tout ». Tyler Durden et le narrateur se battent par amusement devant un bar très tôt dans l’histoire après s’être rendu compte que le narrateur consomme excessivement et pour rien. Cela devient une opposition des deux façades du personnage de Jack. Pourtant, ce combat a pour principal résultat de leur faire prendre connaissance qu’ils sont humains. Qu’il y a des choses plus sérieuses qu’un logement à la dernière mode! Ils s’instruisent de cette façon la véritable valeur des choses, de la vie. Cette violence qui les rend vivant devient peu à peu une habitude, d’autres hommes viennent les rejoindre et y prennent eux aussi vite goût : c’est la création du fight 

club. Tandis qu’au début ce n’était qu’une simple réunion de combats de rue, le club prend brusquement un décollage fulgurant et se propage à travers le monde. Tout finira par prendre une démarche politique en engendrant une sorte de régime despotique et fasciste visant à lutter contre, voir détruire la société de consommation. Car à la fin, les membres, sous les directives de Tyler, décident de faire littéralement éclater la« mère bancaire », en conséquence, les comptes sont effacés et la société peut prendre un nouveau départ, où tout ne tourne pas autour de l’argent ou de la consommation.

 
 « La télévision nous a appris à croire qu’un jour on serait tous des millionnaires, des dieux du cinéma, ou des rock stars, mais c’est faux ! et nous apprenons lentement cette vérité, on en a vraiment, vraiment plein le cul !! »
 
Déclaration de Tyler sur la noirceur de notre société de consommation.
 «(…) On est des consommateurs, des sous-produits d’un mode de vie devenue une obsession, meurtres, banditisme, pauvreté, ces choses là ne m’concerne pas, ce qui me concerne moi, ce sont les revues qui parlent des stars, la télévision à 500 chaînes différentes, les slips avec un grand nom dessus, le viagra, les repas minceur….»
Monologue d’Edward Norton sur la surconsommation.
 

 La consommation et l’acquisition constante vont très bien avec la pensée qu’une personne vivra toujours, et, dans son film, Cronenberg fait usage de ces deux mythes qui sont au centre de la vie américaine. En quittant son nid familial particulièrement malsain, Tom s’embarque dans une petite vie des plus ordinaires où par l’acquisition notamment d’une maison, d’une famille et d’une femme. Il a l’impression qu’il pourra continuer de vivre éternellement, en totale opposition avec son autre personnalité, Joey, qui vivait dans le présent. Il se réconforte dans cette consommation de masse, dans la conformité qu’elle apporte puisque cela fait de lui un Américain moyen et non plus un tueur mafioso. Lorsqu’on viendra le lui arracher par contre, il ne pourra faire autrement que réagir et user de violence pour protéger ce besoin d’acquérir toujours plus. Plus de bonheur avec les siens, plus de tranquillité. Pour lui, c’est rassurant de se retrouver avec des objets typiques des familles normales, cela le garde calme en quelque sorte. C’est pour cette raison que quand son frère envoie les deux tueurs pour s’attaquer aux siens, il redeviendra Joey qui n’a jamais connu le bonheur d’être normal.  C’est un pamphlet virulent contre la société de consommation et l’état d’esprit de l’Homme : où la violence s’introduit peu à peu dans une vie, la meurtrit et finalement réduit l’homme aux pires actes. De ce point de vue, tout est dans le titre : la violence est le personnage principal. Pour mieux dénoncer et soutenir son propos, le réalisateur enchaîne les gros plans sur les morceaux de chair et les flaques de sang, les scènes de sexe féroces et torrides, les clichés des bagarres entre ados, etc. Par contre, en le comparant à Fight Club, on se rend bien compte que ce n’est pas le message principal. Alors que le premier est principalement une critique de société, le deuxième se sert de ce facteur pour faire apparaître un monstre caché.

 

Laurence Ouellette Plouffe 

source : https://sites.google.com/site/laviolenceambigue/contact

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