Massacre sans tronçonneuse
Ne vous y trompez pas : il n'y a qu'une parenté homonymique entre Anne Hansen, auteure dont nous avons là le premier roman édité, et Gunnar Hansen, l'acteur de Massacre à la tronçonneuse, décédé en 2015. Seule la notion de massacre, la tronçonneuse en moins, relie ces deux Hansen – avec cette réserve que les modalités d'extermination d'autrui varie de manière considérable dans les deux oeuvres.
Si, de fait, le propos qui se déroule ici intervient bien entre deux « massacres » ( au Bataclan et à Bruxelles), commis par les terroristes « barbares » que l'on sait, l'attention de l'auteure se porte surtout sur une autre forme d'exécution, bien plus insidieuse et sournoise (sans doute parce que individuelle plutôt que collective, du moins en un premier abord) : celle qui prévaut dans le monde à part de l'Entreprise et qui porte céans, à titre de victime expiatoire et de cible idéale, sur un cadre supérieur parmi tant d'autres : Charles Blanchot, marié et père de deux enfants, chevillé corps et âme à la logique corporate et qui va avoir la mauvaise idée, après les attentats, de soumettre à ses supérieurs un ambitieux plan de réorganisation de son service. Ce qui va l'amener au précipice de la mise au placard précèdant la vindicte publique et la dépression.
C'est à cette lente et inexorable chute que nous assistons, au gré d'une plume qui fait le choix tout du long d'une distanciation select, oscillant entre la causticité, l'ironie discrète et le recours allégorique au substantif destiné à pointer la dimension universelle de cette fable mondaine. Il n'y a là toutefois rien de bien nouveau sous les sunlights du capitalisme effréné et de la mondialisation galopante qui broient de leurs dents hypoïdes les engrenages moindres dont il s'alimentent pour croître.
Que la violence soit légion, soit. Ainsi, qu'une forme de massacre sous toutes les acceptions et coutures du terme, puisse ici-bas se développer, c'est une chose. Mais c'en est une autre que de pouvoir, à partir de sobre constat, adopter une stimulante position critique.
Comme l'auteure ne franchit pas ce pas, ce "pas au-delà" oserait-on dire en hommage au grand écrivain Banchot, desservie qu'elle est de surcroît par un éditeur qui n'a pas dû beaucoup relire son manuscrit - si l'on prend la peine de noter la quantité pléthorique d'adjectifs et d'adverbes par page (parfois trois dans une même phrase : Montaigne rappelle certes que l'on n' abuse point que des bonnes choses mais tout de même !) -, le lecteur reste sur sa faim, l'argument général de l'histoire le cédant à la gratuité de la mise en relation entre attentats et souffrance entrepreneuriale made in RH. A tout prendre, sur ce sujet, il vaut mieux lire l'épatant Résolution de Pierre Mari.
A l'instar de son personnage, Anne Hansen semble ne pas être (assez ) « à la hauteur » des attentes qu'elle suscite dans ce court roman et de son propre projet littéraire. Reste une écriture élégante qui gagnerait à s'épurer davantage pour tendre vers plus d'incarnation.
frederic grolleau
Anne Hansen, Massacre, Le Rocher, 2018, 213 p. – 17,00 €.
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