Les temps changent
synopsis
Six réalisateurs emblématiques de la Nouvelle Vague revisitent Paris à leur manière, échafaudant des fictions au cœur des quartiers de la capitale. Tandis que Jean-Daniel Pollet vagabonde rue Saint-Denis, Jean Rouch s’intéresse à la gare du Nord, Jean Douchet à Saint-Germain des Prés et Eric Rohmer à place de l’Étoile. Jean-Luc Godard hésite entre Montparnasse et Levallois, alors que Claude Chabrol préfère La Muette.
Il n’est pas évident de garder un œil attendri sur ce film à sketches, qui était sans doute à la mode dans les années 60, mais qui, aujourd’hui réédité en dvd par les éditions Montparnasse (sans le moindre bonus, quel dommage !), vaut surtout comme sous-genre.
Certes, le rendu de l’image comme du son est « authentique » au possible mais cette sincérité pourra rebuter ceux qui n’apprécient pas les couleurs délavées, le grain épais ou les bruits de fond faisant interférence plus qu’accompagnement. Certes encore, ces réserves techniques faites, il n’empêche que la valeur documentaire de ce corpus saute aux yeux parce qu’il s’agit à la fois du chant du cygne (signe ?) d’une Nouvelle vague à la veille de l’extinction et d’une (re)présentation historique de la capitale qui ne peut qu’alimenter un fond de nostalgie charmant en chacun.
L’idée était bonne, donc, de Barbet Schroeder (jeune assistant d’Eric Rohmer — évincé de la tête des Cahiers du cinéma par Rivette et Trufaut — avec qui il vient de créer la société de production des Films du Losange) de proposer en 1964 à de futures grandes figures de la Nouvelle vague de proposer leur vision d’un Paris saisi dans chacun des sketches de quinze minutes par une petite caméra 16 mm et une pellicule couleur (contre le noir et blanc habituel de ces réalisateurs) avec un quartier par cinéaste, décor naturel, son direct et comédiens non professionnels.
Un Paris, on s’en aperçoit vite qui n’est déjà plus celui, godardien, d’ A bout de souffle (1960) ou celui, truffaldien, des Quatre Cents Coups (1959), hypostasié par la Nouvelle vague et qui est strié de pessimisme (peut-être de décadentisme avant l’heure ?).
Et de s’égrener à l’écran mais pas forcément à l’encan l’amour germanopratin désabusé d’une étudiante américaine draguée d’abord par un mannequin mythomane puis par un golden boy disposant du même appartement, l’aliénée conscience de classe d’une jeune salariée déjà contaminée par le syndrome de la banlieue pendant la transformation du quartier de la Gare du Nord et inapte à l’aventure, l’angoisse topographique d’un chemisier, voyageur traversant l’éternel no man’s land de la place de l’Etoile (avec en prime la construction méandreuse du RER aux abords de celle-ci), les longs préliminaires dans une chambre sordide rue Saint Denis entre une prostituée et son client atone, la tentative désespérée d’un enfant adepte des boules Quies d’échapper aux contradictions petit-bourgeoises de ses parents sis à “La Muette”…
Bref,un Paris qui est un chantier permanent, peuplé d’être fantomatiques et de lieux éternels toujours déjà promis à l’industrie hôtelière et touristique dénoncée par le Lévinas de « Heidegger, Gagarine et nous ».
Un ensemble inégal et contrasté mais où souffle encore, tel le vent sur des braises de la veille, l’esprit – fort techniciste ici – désormais enfui de la Nouvelle vague qui a tant d’aficionados.
frederic grolleau
Film à sketches français
Réalisateurs : Jean-Luc Godard — Claude Chabrol — Eric Rohmer — Jean-Daniel Pollet — Jean Rouch
Acteurs : Stéphane Audran, Claude Melki, Micheline Dax
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : Français
Editeur vidéo : Montparnasse
Date de sortie : 19 mai 1965
Durée : 1h31mn
Sortie DVD : le 2 mai 2017
Prix : 20,00 €
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