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Entretien avec Darren Bryte ("Angry"- Le Gardien)

Publié le 17 Septembre 2016, 15:35pm

Catégories : #ROMANS

Entretien avec Darren Bryte ("Angry"- Le Gardien)

La huitième édition du festival AMERICA (8 au 11 septembre 2016) célébrera la littérature des États-Unis dans sa richesse et sa diversité. 50 écrivains de fiction, autant que d’États composant ce pays, se retrouveront à Vincennes pour quatre jours de tables rondes et de débats à la rencontre des lecteurs français. 
Sollicité cet été par Darren Bryte, sur le point d'achever un roman du genre thriller/fantastique à l'américaine, pour donner son avis sur la pertinence du manuscrit, Frédéric Grolleau, s'est prêté au jeu et a rapidement été séduit puis convaincue par les vertus de Angry : l'échange a ainsi abouti fin août à la rencontre de Darren Bryte, le plus américain des écrivains français, auquel semble prédit un bel avenir éditorial.
Cet entretien incitatif, inédit en son genre et en clin d'oeil critique et éditorial à Hier je vous donnerai de mes nouvelles de Pierre Bordage, puisqu'il paraîtra dans le futur, est ici mis en exclusivité à la disposition des lecteurs avec l'aimable autorisation de l'auteur.

Une petite ville des Etats-Unis est en proie à un phénomène inexpliqué et violent. La communauté animale extermine ses habitants. A l’origine du soulèvement, un animal aux capacités hors normes. Qui d’un adolescent autiste, d’un journaliste ou d’un vétérinaire réussira à comprendre et à endiguer la purge ? Alors que la bourgade sombre dans la tourmente, seul le Gardien de l’animal pourra mettre fin au chaos. Entre amour, raison et mysticisme, Il devra se révéler et faire face à une vérité qui défie ce que la logique commande. Lui tourner le dos serait nous condamner…

Derrière le masque d’un roman fantastique non militant, Darren Bryte dénonce en filigrane les exactions dont les hommes se rendent coupables depuis qu’ils ont fait leur un monde qui ne leur appartient pourtant pas, à commencer par celles qu’ils font subir aux animaux. Il imagine, sombrement, une petite bourgade où ces derniers se soulèvent contre leurs oppresseurs. Il donne vie à une petite poignée de personnages qui, pris dans leurs propres tourments et ébranlés dans leurs convictions, se trouvent confrontés à une situation inédite qui les dépasse et qu’ils sont incapables de régler. Et si tout cela n’arrivait que parce que nous avons perdu la foi, celle qui nous obligerait à davantage d’humilité et à reconsidérer la toute-puissance dans laquelle nous nous sommes installés au fil de notre évolution ? Pourrions-nous comprendre et accepter qu’elle puisse se trouver réincarnée dans des êtres réputés inférieurs ? Accepterions-nous d’en devenir les Gardiens et les relais ? Tel est le chemin sur lequel Angry conduira certains des personnages au demeurant banals mais au destin sans pareil.

Entretien :

Darren Bryte, quelle est la vocation de ce premier roman ? S'agit-il d'un cri d'alarme ?
Mes objectifs n’ont pas cette prétention et restent beaucoup plus simples : satisfaire une envie tenace qui me poursuit depuis longtemps, celle d’écrire, et distraire tous ceux qui voudront bien me lire. L’histoire prend racine dans le sort que nous réservons aux animaux, car j’ai toujours été sensible à leur condition. Je me suis alors demandé comment elle pourrait évoluer dans le bon sens, pour eux comme pour nous, étant entendu que le bon sens pour eux n’est pas forcément le bon sens pour nous… Mais, s’agissant d’un roman, pur, dur et sans prétention philosophique, mon but n’était pas de militer en faveur d’une cause quelconque. Ceci étant, si, grâce à ces quelques pages, mes futurs lecteurs prennent conscience que quelque chose ne tourne pas rond dans le comportement que nous adoptons, que ce soit à l’égard des animaux ou, d’une manière générale, à l’égard de nous-mêmes, alors, tant mieux !

Votre vision des choses semble pessimiste. Le recours au fantastique constitue-t-il, finalement, la (votre) seule alternative ?
Il suffit de voir où va le monde pour comprendre que la logique dans laquelle s’inscrivent les hommes sera difficilement à l’origine de leur salut ou, tout du moins, d’une amélioration sensible. Alors, oui, ce n’est peut-être qu’à travers une solution aux ressorts fantastiques que j’imagine le changement (bon ou mauvais). Mais les animaux n’ayant pas nécessairement le degré de conscience que les hommes ont la chance (ou la malchance) d’avoir, il fallait que cette solution viennent d’ailleurs en prenant pourtant corps, à dessein, dans la peau d’un animal. Toutefois, la raison première est que j’affectionne le fantastique, univers de mes premières lectures et, aujourd’hui, de mes premiers écrits. Il libère des contingences du réel, ouvre sur des perspectives plus larges. Et puis, si j’avais des solutions plus réalistes, je me lancerais en politique (rires).

Vos personnages principaux ont quelque chose qui les distingue (à leur désavantage) du plus grand nombre. Est-ce volontaire ?
Oui et non. Oui, parce que ce qui vous distingue sans vous faire briller (au sens ou notre société l’entend) vous marginalise, d’une manière ou d’une autre. Sans forcer le trait, j’ai réuni les animaux et ces personnages dans « le même sac », celui qui contient tous ceux qui se trouvent relégués au rang de sous-catégorie (vivante ou sociale) et en ai fait les leaders de l’intrigue. Non, parce que, nonobstant leurs particularités, il s’agit avant tout de personnages que vous pouvez rencontrer dans n’importe quel type de fiction. Mais, encore une fois, il s’agit d’un roman qui a pour vocation de distraire. Il a été écrit dans cette seule perspective. Ce n’est pas un essai sur lequel philosopher ; il n’en contiendrait ni les conditions ni la substance. J’invite les lecteurs à s’y abandonner en toute simplicité et avec, je l’espère, un peu de plaisir (et d’effroi). Mais je n’écarte pas quelques réflexions.

Réagiriez-vous comme vos personnages si vous vous trouviez confronté aux situations qu’ils rencontrent ?
Tout dépend des situations auxquelles vous faites référence. S’agissant des animaux, la perplexité me gagnerait, comme elle les a gagnés. Puis la peur, évidemment, car il  nous serait impossible de lutter, en dépit de nos moyens. Mais je n’aurais probablement pas le courage de leurs choix et de l’orientation qu’ils donnent ou donneront à leur vie. C’est toute la différence entre un univers fantastique, où la foi peut encore trouver sa place, et un univers bien réel commandé par tant d’autres considérations.

A quelle foi pensez-vous ici ? Votre roman condamne-t-il toute forme de croyance religieuse et faut-il y voir, entre les lignes, un clin d'œil aux affres du terrorisme qui se répand partout sur le globe aujourd'hui ?
Très loin de ce roman (et de moi) l’idée de condamner telle ou telle forme de croyance, qu’elles soient religieuses ou autres. Les croyances sont proprement indissociables de ce que nous sommes. Les condamner, ce serait renier notre singularité. D’ailleurs, ne serait-ce pas une forme de croyance que de condamner toutes croyances ? Ce que je condamne, en revanche, ce sont les excès qui résultent de leurs mutations. Portée à son paroxysme, la croyance devient fanatisme et se mue en négation. Négation de l’autre, de la différence, de la vie. Le fanatisme religieux (celui qui fait aujourd’hui l’actualité comme celui qui a conduit à la Sainte inquisition ou aux guerres de religions), le fanatisme économique (celui des théoriciens de la Chicago School of Economics et de son défunt général Milton Friedman, pour n’en citer qu’un seul), le fanatisme culturel… Tous, d’une manière ou d’une autre, se soldent de la même manière : ils renient la vie. Il n’y a guère que les armes et les méthodes qui changent. Et pour cela, je les condamne. A commencer par la croyance proprement fanatique que cette Terre nous appartient, que nous en sommes les maîtres et que nous pouvons en disposer comme bon nous semble. Et s’il existe une croyance qui met (presque) tout le monde d’accord, c’est bien celle-là. Elle est devenue universelle. Elle a transformé l’Homme tout entier en terroriste, vis-à-vis de ce qui le porte, le nourrit et le côtoie. Alors si clin d’œil il doit y avoir, il est fait à cette forme de terrorisme que nous exerçons tous, à des degrés divers, contre le « vivant » dans son ensemble.

A quelle foi je me réfère, pour répondre à la première partie de votre question ? Pas nécessairement celle à laquelle on pense spontanément. Avoir la foi, c’est, avant tout, croire. Il vous suffit de croire que les choses peuvent néanmoins changer pour avoir la foi, quelles que soient l’origine du changement et les formes qu’il épousera. Pardonnez mon insistance mais, encore une fois, ce roman ne doit pas être appréhendé sous l’angle de ces considérations sous-jacentes. Je ne voudrais faire fuir les lecteurs qui souhaitent simplement se distraire (rires).

Pourquoi avoir choisi, comme épicentre de l’intrigue, une petite bourgade plutôt qu’une grande ville ?
Parce que plus la ville est petite, plus le retentissement des événements qui la secouent est grand. Tout est démultiplié. La peur s’y répand plus vite et, avec elle, son lot de conséquences. Les petites communes comme Edmond (imaginaire) n’obéissent pas aux règles qui régissent les grandes cités comme New York. L’atmosphère y devient vite délétère, parce que l’exiguïté emprisonne le corps, puis l’esprit.

Sans vouloir déflorer le sujet, pourquoi avoir choisi l’animal que vous avez choisi comme initiateur du soulèvement ? N’avez-vous pas peur du « déjà vu » ?
Sans déflorer le sujet, en verriez-vous un autre susceptible d’incarner ce qu’il représente ? La proximité est grande entre cet animal et nous-mêmes. Et pourtant, un univers nous sépare encore et nous séparera toujours. Gommer cet écart en le choisissant comme premier réceptacle de ce qui est censé nous remettre sur le droit chemin est un pied-de-nez à la supériorité dont les hommes se croient investis. Quant à mes craintes éventuelles, qu’est-ce qui n’a pas été « déjà vu » ? A notre époque, tout est une perpétuelle redite. Les éléments composant la table de Mendeleïev n’évoluent plus. Ce sont leurs multiples combinaisons qu’il nous reste à découvrir.

Cet ouvrage constitue le premier tome d’un diptyque. Pourquoi ce format ? Peut-on espérer une fin optimiste au deuxième volet ?
Un diptyque, parce que le second tome, en cours de rédaction, va évoluer vers une situation bien plus extraordinaire où je pousserai davantage les limites du fantastique, si tant est qu’en la matière il existe des limites. Mais il fallait que le premier opus en pose les bases, qu’il prépare le terrain, en partant d’une situation que vous et moi pourrions (presque) vivre. Tout dépend, ensuite, de ce que vous entendez par « une fin optimiste ». A quel degré estimez-vous l’état de délabrement de nos sociétés ? Reste-t-il quelque chose à sauver ou faut-il tout réinventer ? Et, dans ce dernier cas, comment ?

L’histoire pourrait-elle évoluer vers une trilogie, format qui a le vent en poupe ? Ne trouvez-vous pas périlleux de chercher à être édité en proposant un manuscrit de plus de 500 pages qui n'est, somme toute, que le début d'une longue et complexe histoire ? Sous cet angle éditorial, êtes-vous suicidaire ou provocateur ?
L’histoire pourrait effectivement évoluer vers une trilogie. J’y pense. Mais, compte tenu de la manière dont s’achèvera le second tome, un troisième tome s’inscrirait dans un futur plus lointain, où certains des personnages rencontrés dans les deux premiers tomes se trouveraient transcendés. Leur survie (et la forme qu’elle prendrait) serait une conséquence de leurs choix passés. Mais je ne peux pas vous en dire davantage sans déflorer ce qui conclura le second tome.

Ensuite, si vous ne me laissez que deux alternatives - suicide ou provocation - je vous répondrais probablement suicide. Mais quand bien même voudrais-je être provocateur, le résultat serait le même : un suicide. Seulement voilà ! L’envie et le fait d’écrire, même avec l’espoir d’être publié, ne peuvent être enfermés dans un ratio. Ceci étant, je comprends aisément les contraintes des maisons d’édition. Alors, disons que j’ai fait deux paris : celui de laisser libre mon inspiration pour installer une histoire au long cours, en espérant que les pages surnuméraires (d’un point de vue économique) ne feront pas fuir, cette fois, les éditeurs ; celui de croire que l’hiver sera long et qu’un (ou plusieurs) roman(s) de plus de 500 pages ne sera pas de trop pour le traverser. Mais vous l’aurez probablement constaté, il est facile à lire (rires).

De multiples références, de King à Hitchcock, essaiment ce tome 1 de Angry : pourriez-vous préciser vos sources d'inspiration pour l'écriture de ce roman et quels sont vos auteurs de prédilection ? Pourquoi avoir choisi ce terreau de l'américanisme : est-ce dû à votre culture idiosyncrasique ou serait-ce, si vous nous pardonnez ce terme, par esprit de facilité ?
Mes sources d’inspiration sont diverses et hétéroclites : Poe, Huxley, Bradbury, Jones, Chattam… Chacun a un univers qui lui est propre. Mais, incontestablement, King tient le haut du pavé. Salem est le premier roman fantastique que j’ai lu. J’avais 12 ans. De là et à ce moment sont nées, non seulement mon envie d’écrire, mais également mon envie d’écrire dans le genre littéraire qui est le sien. Je me suis laissé emporter dans la plupart de ses romansCeci étant, je n’ai jamais considéré que ses histoires faisaient preuve d’une originalité à toute épreuve (qu’il me pardonne cette offense). Mais j’ai toujours été subjugué par les atmosphères, inégalables à mes yeux, qu’il a le don de créer, par ses personnages plus vrais que nature, au point de me demander s’il ne les avait pas lui-même incarnés, dans plusieurs autres vies (je garde encore un souvenir impérissable des enfants au cœur de Ca).
Il y a derrière les nombreux sujets auxquels il a donné vie, une connaissance fine et profonde de la nature humaine. Ca me fascine. Je vais oser vous dire que, pour moi, le fantastique est un prétexte chez King. Un prétexte pour aller chercher ce qui se cache loin dans notre nature, lorsque celle-ci est mise à l’épreuve face à ce qui l’effraie, à ce qu’elle ne connaît pas. Un prétexte pour nous montrer, avec des mots qui frappent et des sentiments qui dorment en nous, ce que nous sommes, dans notre singulier et dans notre pluriel. En écrivant ce roman, j’ai eu envie de passer de l’autre côté du miroir, en espérant parvenir, un jour, à créer mon propre univers. Mais cela demande du temps et de nombreux ouvrages. Je n’en suis pas là.

La facilité ? J’ai failli prendre ombrage de votre dernière remarque (rires). En quoi le fait de situer l’action aux Etats-Unis est-il plus facile ? En réalité, la raison de mon choix est très simple : eu égard au genre littéraire dans lequel ce roman et l’histoire dont il est question s’inscrivent, les Etats-Unis m’inspirent considérablement car je connais relativement bien leur culture. Les décors me parlent. La façon dont les Américains pensent et réagissent répond à mes besoins. Lorsque cela s’avère nécessaire, ils ont cette incroyable capacité à faire bloc, à se souder, dans un élan (souvent patriotique) qui supporte rarement le doute (même si, parfois, celui-ci s’avérerait nécessaire). Il y a, en cela, une forme de renoncement. L’individu s’efface devant la collectivité, et ce, en dépit d’une culture qui se veut (et s’assume) individualiste. C’est une dualité intéressante, résultant peut-être d’une Histoire plus récente et moins fragmentée que celle de beaucoup d’autres pays, plus anciens. Attention, je ne dis pas ici que les causes pour lesquelles ils font usage de ces qualités sont nécessairement les bonnes. Je ne dis pas non plus que les autres cultures présentent moins d’intérêt. Je dis simplement que j’avais besoin de cet état d’esprit pour justifier les choix de certains de mes personnages. Mais vous verrez que, dans le second tome, l’intrigue se déplace au Canada, en Afrique et en Inde.

Présentation et entretien réalisés par Frédéric Grolleau, à La Guittière, le 25 août 2016.

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P
Comme ça! merci)