Devenu un programme sachant se réécrire lui-même, le corps délaisse son lieu naturel et devient, futur cloné, un locus technicus.
Tonique revue de philosophie animée par de jeunes professeurs en exercice qui en est, vaillamment, à son épais et 24e numéro, Le Philosophoire n’en finit pas d’étonner et de susciter l’engouement, de quelque frange philosophique qu’on se réclame. Sous la houlette du sieur Vincent Citot, qui alimente la plupart des numéros de ses propres photographies ou montages, les thèmes se suivent et jamais ne se confondent : L’Histoire, Le corps et l’esprit, la Religion, La paix, L’amour...
Au programme de ce numéro 23 : L’humain et, entre un entretien avec Edgar Morin et un tonique article de Nicolas Righi dédié à "L’humanisme d’André Malraux", un instructif débat, qu’on a dévoré, sur le thème de "la nouvelle conception de l’homme. La construction de l’être humain" dont les intervenants ne sont autres, excusez du peu, que Michel Houllebecq, Alain Finkielkraut, Peter Sloterdjik et Peter Weibel. Articulé autour d’une exposition, "Le corps anagraphique", organisée en mai 2000 au Centre Culturel Français de Karlsruhe, le débat - présenté et traduit ici en inédit - vise donc à présenter les tenants et les aboutissants de la nouvelle image de l’homme que proposent le XXIe siècle et les techniques afférentes.
Arc-bouté sur la génétique, le problème de la "reconfiguration (Umbau) de la conception de l’homme" touche en effet aux fondements mêmes de l’humanisme, ce dont témoigne selon Weibel le passage, dans l’histoire des arts, de l’anatomie des corps au corps morcelé, via notamment le développement de la technique photographique permettant désormais à partir des années 20-30 de lire le corps comme un "texte".
S’ensuit une perception du corps comme une séquence de lettres (elementa classées selon "une grammaire naturelle" - i.e une grammaire de l’évolution) qui ouvre la porte à la capacité inédite de "réécrire" le corps grâce au séquençage qu’on voudra (génétique, photographique, esthétique, videologique...)
Devenu alors, comme le soulignent Les particules élémentaires de Houellebecq, un programme "qui sait se réécrire lui-même", le corps se voit élargi à ses risques et périls par les hommes qui y greffent à volonté implants, prothèses et autres injections, d’où un abandon du corps comme lieu naturel et sa transformation progressive en un locus technicus dont il reste à déterminer - ce à quoi s’engage la suite du débat s’attardant comme de juste sur la question du clonage et celle du danger du "biologiquement autre" - s’il s’agit d’une perte ou d’une conquête de l’humanité.
Un numero 23 qui, à l’instar de ce débat, donne à penser le prisme de l’humain et qu’il est encore possible de commander toutes affaires cessantes directement sur le site de la revue. Comme il n’est jamais trop tard pour affronter d’où l’on vient et vers quoi on se dirige, chacun sait ce qu’il lui reste à faire.
frederic grolleau
Le Philosophoire, N° 23 : "L’Humain", 230 p. - 14,00 €. | ||
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