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Betsy Tobin, Dora

Publié le 15 Juillet 2012, 12:34pm

Catégories : #ROMANS

Betsy Tobin, dans son roman Dora, retrace une enquête située XVIIe siècle, sur fond de sorcellerie et d’abus sexuels...

 

Le 26 mars 2001, Betsy Tobin répondait à mes questions au sujet de son roman Dora (Belfond, 2001).

 

À propos du roman 
Etrangère officiant comme prostituée dans un petit village de l’Angleterre du début du XVIIe siècle, Dora est une femme qui connaît un destin tragique, et dont le portrait nous est ici révélé par les souvenirs agglomérés de tous ceux qui l’ont fréquentée. Au travers de l’enquête menée par la narratrice sur fond de sorcellerie et d’abus sexuels en tous genres, Betsy Tobin livre un premier roman qui se veut un hymne au féminisme et à la liberté. Dora évoque ainsi des temps reculés où le rang social de chacun se transmettait héréditairement et où la lumière du libre examen ne perçait que faiblement les ténèbres de l’obscurantisme scientifique et religieux.

 

L’entretien avec l’auteur 
Faut-il dire que votre roman Dora est un récit sur l’enfantement ? Ou sur l’aliénation ?
Betsy Tobin :
Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un roman sur l’aliénation car les personnages sont assez liés les uns aux autres dans le livre. L’enfantement est certes un thème important, qui est lié à la dimension historique du roman et à cet autre thème essentiel qu’est le corps - dont la situation influence non seulement ce que nous sommes mais également ce qui nous arrive, ce que nous vivons. Je voulais vraiment écrire sur les femmes de cette époque, sur leur santé.

 

Vous consacrez des pages assez sévères à l’égard de la médecine du XVIIe siècle : on songe évidemment au Cercle de la Croix de Iain Pears, qui a l’air d’avoir bien apprécié votre ouvrage si l’on croit son assertion dans la 4e de couverture. Avez-vous voulu également pointer un certain obscurantisme médical lié à cette période ? 
L’époque était effectivement très dure et violente : je n’ai pas voulu l’embellir et en faire un joli film en costumes où tout est amélioré et gentil. J’ai voulu montrer toute la difficulté de cette époque et ses côtés difficiles.

 

D’où le choix de la prostitution comme décor de l’intrigue ? 
Le personnage, Dora, est assez inhabituel et ne constitue pas une prostituée typique de l’époque. C’est une femme grande sous tous les aspects, forte, généreuse, fertile. Son grand coeur amène finalement sa chute. Sa générosité s’étend en effet jusqu’à son fils. Ce roman raconte surtout comment nos corps peuvent nous trahir.

 

Faut-il en induire que toute générosité est une forme de perversion ? 
Un des buts de ce livre était de créer des personnages avec lesquels on puisse s’identifier, dont on se sente proche même si leurs actions étaient répréhensibles. Je ne suis pas d’accord avec ce terme de "perversion" ! Peut-être certains ressentent-ils le livre sous cet angle mais j’ai voulu que le lecteur éprouve de la sympathie pour tous les personnages.

 

Pourtant, Dora est une étrangère dans la communauté où elle évolue. Vous écrivez que l’étrangeté est comme une seconde peau dont il est souvent difficile de se départir... 
Cela participe de son caractère exotique, de son mystère et de l’attirance qu’elle procure. C’est justement à travers l’attirance des autres personnages pour Dora ou leur vision indirecte que le lecteur a accès à elle. On ne dispose jamais d’une image complète de ce qu’elle est ; on la construit petit à petit à travers le récit des uns et des autres...

 

Dora indique à un moment donné que chaque être humain peut mener plusieurs existences possibles et qu’il a toujours le choix. Mais dans son cas n’y a-t-il pas une forme de destin qui l’empêche de devenir ce qu’elle était vraiment ? Dora est-elle vraiment libre en définitive ? Les déterminations de son corps ne constituent-elles pas plutôt son destin à elle ? 
Il y a de fait un dilemme dans le livre entre ces deux questions. Dora est liée à son corps mais la narratrice du livre insiste sur son choix et sur l’ouverture de son avenir, sur la possibilité du choix qui demeure. C’est là une idée très moderne, qui n’est pas typique de cette époque-là ! Cette sensibilité moderne dans Dora renvoie à mon propre choix personnel : je voulais écrire sur le passé pour que le fossé entre le XVIIe siècle et le lecteur moderne soit franchi et comblé pour que chacun se sente immédiatement proche de cette histoire.

 

Dora est un premier roman, très noir : il aurait été possible d’évoquer le thème du féminisme de manière plus gaie et lumineuse. Pourquoi ce pessimisme ? 
Je ne pensais pas écrire un roman aussi sombre que vous le dites. A mes yeux la fin est d’ailleurs plutôt optimiste ! Mais les lecteurs ne le lisent peut-être pas comme je pensais l’écrire... Le véritable protagoniste du roman n’est pas le personnage éponyme mais la narratrice, qui accède in fine à un éventail des possibles, relativement positifs. Cela, malgré la mort d’un personnage attachant. Mon roman n’est sombre qu’au regard de la période qu’il évoque. Ce qui fait que je n’ai pas beaucoup d’excuses ! Mais Dora est aussi une histoire d’amour, qui apporte quelque satisfaction au lecteur !

 

L’un des personnages, un peintre flamand, affirme que la vérité est toujours devant nous et qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour l’apercevoir. Est-ce si simple ? 
Le peintre a le sentiment de pouvoir saisir la vérité de son sujet en quelques détails. Je ne sais si cette affirmation est vraie ou fausse mais en ce qui le concerne il trouve dans la réalité ce qu’il veut bien y trouver.

 

Est-ce que cette définition-là du rapport entre les gens et les choses n’empêche pas au contraire les gens de sortir de leur condition ? 
La narratrice transcende sa propre condition, son histoire personnelle, d’où elle provient grâce à sa rencontre avec Dora, preuve que la liberté n’est pas ici illusoire comme vous le suggérez...

 

Cela signifie-t-il que dans la vie comme en peinture on a toujours besoin d’un "modèle" ? 
O
ui, probablement !

 

En lisant le début du texte, on s’attend à bénéficier d’amples informations sur la sorcellerie ; qui en reste au niveau d’un background. Pourquoi cette rétention d’informations ? (rires) 
Ce n’est pas un livre sur la sorcellerie mais sur la sexualité et la vie des femmes de cette époque. Considérées alors comme le sexe faible, comme moins intelligentes et comme vorace sexuellement. Quand on n’avait plus de relations sexuelles, quand on était veuve, on était plus sujette à être accusée de sorcellerie que les autres ; ces trois thèmes de la sexualité, de la sorcellerie et des femmes sont vraiment liés ici. La plupart des écrits de cette époque ont été rédigés par des hommes et la "voracité sexuelle" y était fort présente, chacun recommandant que le sexe de la femme soit apprivoisé, maîtrisé, faute de quoi de très mauvaises choses s’ensuivaient.
La référence dans le texte à la "maladie verte" renvoie à une maladie de l’époque qui frappait seulement les vierges. La sorcellerie n’est qu’une extension du thème central de la santé et du corps des femmes dont je parle dans ce roman. Ce qui n’empêche que la sorcellerie était inscrite dans la vie de tous les jours au XVIIe siècle : vers 1600 la plupart des gens éduqués, raisonnables, croyaient en la sorcellerie. Y faire allusion était pour moi un souci supplémentaire de fidélité à la représentation de ce siècle.

 

Vous pointez d’ailleurs qu’il y a assez peu de différence entre les médecins et les sorciers si je vous ai bien suivie... 
Absolument. Toute une chaîne reliait médecins, guérisseurs et les hommes ou femmes "rusés" pratiquant la magie et les sages femmes. De même la ligne de démarcation entre religion et sorcellerie était-elle assez trouble...

 

Avez-vous voulu faire de l’ombre à Harry Potter ? (rires) 
Non, je ne suis pas à la même hauteur que Harry Potter, et mes enfants en sont très déçus !

 

Plus sérieusement, vous avez évoqué la proximité entre Dora et son fils. Il se trouve que c’est une proximité suspecte, la mère trouvant chez son enfant ce que tous les hommes, toutes les personnes du village où elle vit ne peuvent lui donner. Pourquoi cette ambiguïté ? 
Dans le livre il est moins ambigu qu’explicite que Dora a étendu sa générosité absolue et débordante jusqu’à son enfant, Long Boy. Mais les motivations qui sont les siennes pour entretenir ce type de relations avec son fils sont claires, et non suspectes !

 

Vous évoquez une scène très violente d’un avortement mené par la mère de la narratrice mais la fin du roman ne nomme pas explicitement la relation entre mère et fils : pourquoi nommer crûment à tel moment ce qu’il faut décrire et laisser dans le flou plus loin ?
L’histoire de Dora n’est racontée que par les souvenirs des autres personnages. La structure narrative impose une limite à ce qu’on peut savoir de l’histoire, qui ne contient pas de narrateur omniscient.

 

Si l’on passe du XVIIe au XXIe siècle, comment définiriez-vous une femme ?
Par son sexe, comme toujours ! Les choses n’ont pas beaucoup changé finalement : les femmes qui étaient alors très liées entre elles se définissaient par leur statut de femmes, de veuves, de soeurs, de filles... Par leur aptitude à enfanter, qui est toujours d’actualité pour les femmes modernes ! Pour moi, il est très révélateur que les personnages masculins du livre soient isolés. Cela tend à prouver que les femmes constituent le ciment de toute société.

 

Et aujourd’hui, quels sont les sorciers modernes selon vous ? 
Aucun commentaire sur les sorciers modernes...

   
 

 

Propos recueillis le 26 mars 2001, avec la complicité de l’interprète Ariane Hudelet.

Betsy Tobin, Dora, Belfond, 2001, 292 p. - 18,29 €.

 

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