Ce petit livre de Georges Perec décrit la collection de tableaux d’un riche Américain d’origine allemande, qui veut devenir le plus grand collectionneur des Etats-Unis. Le pinacle de sa collection est un tableau qui le représente dans sa galerie face à ses plus beaux tableaux. C’est là la présentation typique du cabinet d’amateur, avec son accumulation de toiles juxtaposées sans hiérarchie, à touche-touche du sol au plafond au point qu’on ne voit plus les murs.
Le morceau de bravoure du livre, c’est que le tableau représentant la collection est lui-même présent dans le tableau, et ainsi de suite. Mais surtout cette mise en abyme se fait avec de légères variations à chaque réduction; des personnages apparaissent ou disparaissent, des objets changent. Et ce jusqu’à la dernière réduction visible où les tableaux ne sont plus que d’infimes traits sur la toile. Cette fantaisie rend fous les visiteurs de l’exposition où est montré ce tableau, jusqu’au crime.
C’est l’occasion pour Perec de faire des listes de tableaux et de peintres, et de nous donner mille anecdotes sur le sujet de tel tableau, la composition de tel autre, la vie de ce peintre ou la manière dont Hermann Raffke l’a acheté ou montré. C’est une démonstration étourdissante d’érudition, face à laquelle, d’abord étourdi, on soulève parfois un sourcil : tiens, je n’avais jamais entendu parler de ce tableau de Vermeer, Le billet dérobé, alors que je croyais assez bien connaître son oeuvre; tiens, il existe donc un peintre nommé R. Mutt qui a peint un Portrait de jeune mariée. (...) La description des tableaux est faite dans un style semi-pédant, à moitié universitaire. Après tout, avec Perec, il faut toujours être sur ses gardes.
Je ne vous livrerai pas le mot de la fin, la dernière phrase du livre. C’est un livre auquel j’ai pris beaucoup de plaisir, au premier degré, mais aussi en le replaçant dans la démarche de Perec depuis La vie mode d’emploi, avec un éclairage stimulant). Et tout ce phénomène des cabinets d’amateurs est un phénomène important de l’histoire de la peinture et de la manière dont elle est montrée.
Vous voyez en haut Le cabinet d’amateur de Cornelis van der Geent, un tableau de Willem van Haecht, un des plus emblématiques de ce genre.
Georges Perec, Un cabinet d’amateur, La librairie du XXIème siècle, Editions du Seuil, 1994, 96 p. - 11.43 €.
source :
https://www.lemonde.fr/blog/lunettesrouges/2007/10/25/un-cabinet-damateur/
Après le Cabinet de société de Gérard Cartier où l'on parle de grands de la Littérature, Un cabinet d'amateur de Georges Perec est son pendant en peinture. A sa manière, G. Perec nous présente le petit monde des collectionneurs, des experts et des ventes d'arts. Suivez le guide !
C'est l'histoire d'un tableau : un cabinet d'amateur du peintre américain d'origine allemande H. Kürz. Cette toile représente un collectionneur en robe de chambre grise avec un liseré rouge, installé dans un fauteuil face à une centaine de tableaux de grands maîtres de sa collection personnelle juxtaposés sur les murs de la pièce. Cette œuvre est exposée aux États-Unis lors d'une grande manifestation d'amitié Américano-germanique. Ce qui rend exceptionnelle cette peinture est le fait qu'elle est elle-même représentée dans le tableau, avec les autres, et qu'à chaque niveau de représentation plus petite jusqu'à l'infini quelques détails changent de place, de sens.
La foule s'empresse nombreuse pour voir le chef-d’œuvre, les débats, hypothèses s'enflamment jusqu'à l'agression, un jet d'encre sur la toile.
Un cabinet d'amateur est un genre de peinture où toute œuvre est le miroir d'une autre. « Un nombre considérable de tableaux, sinon tous, ne prennent leur signification véritable qu'en fonction d’œuvres antérieures qui y sont, soit implicitement, soit, d'une manière beaucoup plus allusive, encryptées ».
C'est l'acte de peindre sur une « dynamique réflexive » puisant ses forces dans la peinture d'autrui. Cette idée est renforcée par la thèse de Lester Nowak sur les us et coutumes du monde de la peinture, des relations entre les collectionneurs et les artistes, du rôle des experts, de leurs chamailleries quand il faut certifier, authentifier une œuvre.
Est-ce que le cabinet d'amateur de Perec n'en serait pas également un tant il parle de tableaux présents dans la toile de Kürz ? Le jeu des abîmes, en cercles de plus en plus concentriques en présentant un à un chacun des tableaux, son historique, leurs prix de vente. Tout cela est fort bien détaillé comme dans un catalogue de vente chez Christies ou Drouot qu'on en attraperait presque le tournis. C'est en tout cas un subtil et bel exercice de style, encore une fois.
« Le travail de miroir à l’infini ». Mise en abyme, labyrinthe pictural en peinture comme dans la réalité. Peu après l'exposition, le collectionneur H. Raffke meurt. Mais il avait tout prévu. Embaumé, vêtu de la même robe de chambre grise à liseré rouge, comme le collectionneur dans le tableau, il se fait inhumé dans une sépulture reprenant la même disposition que la pièce dans le tableau. Le Cabinet d'amateur lui faisant face pour son éternité.
L'ouvrage de G. Perec donne vraiment envie d'aller traîner encore une fois au Louvre ou à Orsay pour aller y dénicher quelques cabinets d'amateurs.
source : https://www.biblioblog.fr/post/2012/01/31/Un-cabinet-d-amateur-Georges-Perec
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