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Jean-Marie Parent, Philojazz, Petites ritournelles entre souffle et pensée

Publié le 21 Mars 2013, 14:22pm

Catégories : #ESSAIS

Tout est dans la philosophie mais la philosophie doit-elle de toute nécessité être dans tout ?

Il semblerait que depuis Francis Marmande ce soit la mode – heureuse ou fâcheuse, c’est selon – du moment. De Michel Arcens dans John Coltrane, la musique sans raison  à  Jean-Marie Parent et sa Philojazz, une même volonté se dessine en creux : mettre en corrélation la pensée philosophique et la musique jazz, arguant que l’une et l’autre auraient de nombreux points communs qui les lieraient plus intimement que l’on pense. Hélas !, dans les deux cas de figure, les passerelles et autres propositions de déterminants similaires avancés par les deux auteurs apparaissent souvent fort allusives sinon arbitraires voire gratuites.
Au moins sur ce point nous faut-il admettre que l’ouvrage de Parent, clairement inspiré par la méthode de la culture générale, est davantage accessible au grand public et dans l’ensemble plus diversifié  que celui d’Arcens dédié au seul « Trane », notamment en vertu des  25 chapitres renvoyant à 25 standards de jazz (John Coltrane, Louis Armstrong, Charlie Parker, Django Reinhart, Miles Davis, Toots Thielemans pour évoquer les premiers chapitres ) mis en avant sur le blog de l’auteur où il est possible de les écouter.

Ainsi le béotien qui se souvient de Jack Kerouac tentant de retranscrire dans  Sur la route l’effet que lui fait un joueur de saxophone pourra-t-il avec plaisir découvrir des analyses musicales rythmiques précises décrivant telle ou telle pièce jazzy, régulièrement adossée à la présentation d’un concept ou d’un auteur philosophique, eux-mêmes relayés par la présentation d’une œuvre picturale, cinématographique ou littéraire – démarche intéressante en soi mais trop lapidaire pour être recevable, le côté philosophique étant beaucoup plus évasif que le reste, ce qui pose la question de savoir si un amateur, même « éclairé », de philosophie peut à bon droit se prononcer de tout son "soul " (c’est de circonstance)  sur l’histoire de la philosophie et s’en emparer pour la convertir, parfois de force, à son propos…
Non pas que l’on conteste que l’étonnement devant l’ordinaire (chapitre 1)  puisse de fait être commun au Coltrane de My favorite things et à des auteurs tels que Sartre (La Nausée), Heidegger (Holzwege) ou Cukor  (The Philadelphia story) ; ou que la perception des couleurs par Rimbaud soit sans rapport avec le Blues in green de Miles Davis et son quintette en 1959, le tout appuyé sur Les meules  de Monet (1884)  - chapitre 5 –, mais c’est la systématicité et la superficialité des renvois qui déçoivent, la plupart des auteurs pluridisciplinaires ainsi convoqués l’étant en général en l’espace de 2 ou 3 lignes sans que, justement, l’essayiste ne prenne le temps requis et les précautions conceptuelles de rigueur pour rendre compte des idéaux-types de la pensée qu’il entend ici et là reconnaître dans tel ou tel mouvement jazzistique...  
Qui plus est, les chapitres se succédant sans obéir à une architectonique manifeste, autant certains rapprochements se donnent-ils comme éclairants au fil de l’opus, autant des approximations certaines agacent le lecteur :   citons, par exemple, « le grave accident qui fit amputer  l’une des mains du guitariste durant l’adolescence » (chapitre 4, p. 48) quand l’on sait,  jusqu’à preuve du contraire,  que Django Reinhart ne perdit pas tous ses doigts dans l’incendie de sa roulotte familiale ;  ou encore :  « de l’Amérique à l’Europe, aller et retour, l’harmonica a bien mérité sa réputation d’instrument le plus populaire du monde !... Quel   plus beau symbole pour unir dans un même mouvement l’esthétique musicale du jazz et l’éthique de la philosophie ? », formule à l’emporte-pièce s’il en est dans ce chapitre 6 (Toots Thielemans et la contribution de l’harmonica à l’histoire du jazz) dont le fondement semble tout sauf assuré et explicité.

Autant d’éléments chagrins que compense avec plus d’efficace le dernier chapitre – qu’il eût mieux valu placer en premier dans l’ouvrage selon nous – dédié au rapprochement entre l’orchestre de jazz et l’harmonie sociale, entre l’esthétique du swing énergique et l’éthique de la conscience s’ouvrant à la dimension sacrale mais pas forcément cultuelle du monde.
  

frederic grolleau

Jean-Marie Parent, Philojazz, Petites ritournelles entre souffle et pensée, L'Harmattan, 2012, 223 p – 23,00  €

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