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Gerhard Richter, Panorama

Publié le 25 Septembre 2012, 00:39am

Catégories : #ESSAIS

Alors que s'achève fin septembre 2012 au centre Pompidou la première rétrospective du grand et éclectique peintre allemand Richter, les éditions du Centre Pompidou permettent aux amateurs comme aux néophytes de prolonger la magie de l'expérience suscitée par les 150 oeuvres exposées grâce à la publication du catalogue dédié, Gerhard Richter, Panorama.

Reconnu mondialement, au-delà de l'histoire allemande et l'histoire de l'Europe d'après-guerre dont il s'est fait pléthore de fois le chantre, pour ses toiles floutées qui dénoncent l'évanescence comme la vanité de notre monde (cf. Trois Bougies, 1982), il fallait un ouvrage bien épais,  aussi maîtrisé et magistral que celui-ci, pour pouvoir illustrer non sans paradoxe les objets-fantômes, à la limite de la fadeur assumée, qui "incarent" le credo du peintre. Dernière étape d’un projet itinérant qui a commencé à la Tate Modern de Londres et s’est poursuivi à la Neue National Galerie de Berlin, ce Panorama résulte d’un travail collectif mené par les trois commissaires de Londres, Berlin, Paris, ayant chacun conçu une exposition spécifique et unique à partir d'une liste d’œuvres communes.

Fidèle en cela à l'exposition (avouons que nous avons déjà été charmés par celle-ci), le catalogue séduit également car il a l'intelligence qui sied à la distanciation : à savoir, restituer la dimension(chrono)logique des diverses périodes d'un artiste multistyles, bien délicat à enfermer dans une étiquette. Ainsi se distribuent les troublantes et vaporeuses photos-peintures, les froids monochromes, le portraits doux-amers – doux en hommage aux génies de la Renaissance, amers quand il s'agit de figurer les membres de la bande à Baader – mais aussi les toiles abstraites aux couleurs ultra-toniques, les installations dédiées au miroir et à la transparence en six grandes parties couvrant les oeuvres de 1957 à 2011.

 

Septembre, 2005, huile sur toile, 52 x 72 cm

 

Non content de pouvoir contempler de tout son saoul les reproductions du peintre sur papier glacé, le lecteur a droit aussi à des appareils de notes d'une grande précision, des interprétations de l'oeuvre, un entretien, une bibliographie raisonnée etc. Didactique mais pas informel, le parcours que flêche ce Panorama invite chacun à prendre la mesure de ce qui sépare – ou non – chez Richter les photos-peintures, aussi floues que grises, des années 60, les publicités de journaux transcendées, des mouvants nuages diaphanes (Richter peint avec une maestria consommée l'impeignable) et arbres campagnards fondus en triptyques, en passant par les Photographies Repeintes des années 80 - sans oublier les paysages maritimes inversés, les ruines de guerre, les éclatants portraits de ses proches, la « monstration » du 11 septembre 2001 et les derniers Strips numériques. Ou de l'art d'interroger par le medium de la peinture ses deux grands concurrents directs que sont la photographie et le cinéma...

 

 Bühler Höhe. 1991, 52 cm x 72 cm

 

Peintre de l'effacement, de l'infini et de la perte de repères (comme l'atteste la série ci-dessus tout en délitement progressif de Bühler Höhe), Richer l'est assurément. Qu'il s'adonne à la figuration, à l'abstraction, qu'il utilise le racloir pour tester de nouveaux effets de matière ou qu'il joue avec des panneaux de verre pour mettre en abyme la pulsion scopique du spectateur, ce diable d'homme parvient à nous happer. L'on n'est certes pas sommé de crier au génie devant telle ou telle tentative, comme par exemple le fameux trait de peinture agrandi sur quinze mètres (Richter lui-même voyait dans ses premières productions « d’horribles ébauches bariolées »), certaines installations peuvent laisser sceptique (ce n'est pas le cas des monochromes sous verre aux coulures translucides parce que sans fond, qui laissent pantois) mais il est clair que l'ensemble ne saurait laisser indifférent. N'est-ce pas d'ailleurs cette grisaille indifférenciée de l'opinion molle que le peintre n'a eu de cesse que de vouloir dénoncer et sublimer, en allant jusqu'à la mimer dans ses travaux, les plus aboutis selon nôtre goût, sur le gris (voir la section « Paysages abîmés » de Mark Godfrey dans le Catalogue) ?

 

Wolken [Nuages], 1970, Huile sur toile, 200 x 300 x 4,00 cm

 

C'est la richesse pédagogique même de l'exposition qui justifie qu'on la parachève par la lecture du Catalogue, lequel autorise enfin, au calme et à l'abri, qu'on se focalise sur telle ou telle production, afin de se prononcer sur la cohérence de l'oeuvre. Ou sur la méthodique déformation cohérente dont elle joue parfois pour brouiller davantage les pistes - si besoin était.

 

 frederic grolleau

 

 Gerhard Richter, Panorama, Catalogue sous la direction de la commissaire Camille Morineau, éd. du Centre Pompidou, juin 2012, 304 p. - 44,90 € (Format : 24 x 32 cm,  relié,  300 ill. couleurs).

 

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