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Explication de Texte : Hilary Putnam, "Raison, vérité, histoire"

Publié le 30 Mai 2013, 13:36pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés)

Explication de Texte : Hilary Putnam, Raison, Vérité et histoire

proposition de traitement par Antoine LAUNAY, TS, Saint-Cyr, 2012-2013

 

"Supposons qu'un être humain (vous pouvez supposer qu'il s'agit de vous-même) a été soumis à une opération par un savant fou. Le cerveau de la personne en question (votre cerveau) a été séparé de son corps et placé dans une cuve contenant une solution nutritive qui le maintient en vie. Les terminaisons nerveuses ont été reliées à un super-ordinateur scientifique qui procure à la personne cerveau l'illusion que tout est normal. Il semble y avoir des gens, des objets, un ciel, etc. Mais en fait tout ce que la personne (vous-même) perçoit est le résultat d'impulsions électroniques que l'ordinateur envoie aux terminaisons nerveuses.

L'ordinateur est si intelligent que si la personne essaye de lever la main, l'ordinateur lui fait "voir" et "sentir" qu'elle lève la main. En plus, en modifiant le programme, le savant fou peut faire "percevoir" (halluciner) par la victime toutes les situations qu'il désire. Il peut aussi effacer le souvenir de l'opération, de sorte que la victime aura l'impression de se trouver dans sa situation normale. La victime pourrait justement avoir l'impression d'être assise en train de lire ce paragraphe qui raconte l'histoire amusante mais plutôt absurde d'un savant fou qui sépare les cerveaux des corps et qui les place dans une cuve contenant des éléments nutritifs qui les gardent en vie. "

 

Hilary Putnam, Raison, vérité et histoire, Paris, Minuit, 1984.

 

 

 

Cet extrait de Raison, vérité et histoire, écrit par Hilary Putnam, reprend la thèse du malin génie Cartésien, plus de deux siècles plus tard.

Contrairement à celui-ci, qui a introduit la notion de subjectivité, pensant l’homme comme un être supérieur et vivement critiqué par Nietzsche dans La volonté de puissance, Putnam pointe du doigt le danger que représente l’homme pour lui-même, et non pas une entité extérieure à lui-même, comme le suggérait Descartes.

Ainsi, la lecture de ce texte suscite de nombreuses interrogations, avançant comme Descartes l’idée qu’une manipulation est mauvaise pour nous.

A travers ce texte, Putnam dénonce avant tout le risque que présentent les sciences (l.1 à 5), qui manquent certainement d’éthique, comme l’ont montré les innombrables tragédies du 20ème siècle, des camps de concentrations à Hiroshima, ayant eu lieu avant la parution de cet ouvrage. Ensuite, l’auteur tente de montrer comment nous pourrions être manipulés, au point de percevoir de fausses réalités (l.5 à 10), pour enfin poser un ultime argument : Il se pourrait que nous soyons cette personne manipulée, invitant le lecteur à se poser de multiples questions, pour se remettre en question soi-même, pensant, si ce n’est philosophant.

 

 

Au début de cet extrait, Putnam dénonce le danger que représentent les hommes, qui pourraient être « soumis » (l.1) aux sciences, représentées comme dangereuses, par le biais d’un « savant fou » (l.2). Ainsi, il suggère, comme le proposait Hobbes, que « L’homme est un loup pour l’homme », il est son propre danger. Pour renforcer cette idée, il incite le lecteur à « supposer qu’il s’agit de vous-même » (l.1). Ce texte, parut en 1984, à la fin du 20ème siècle, où l’homme se présente vraiment comme néfaste (pour les autres choses), illustre néanmoins une opposition au malin génie Cartésien : c’est l’homme, cette fois-ci, qui est dangereux, alors même que Descartes suggérait que l’homme se rende comme « maître et possesseur de la nature ». Cette première phrase, qui nous parait assez peu probable s’applique pourtant à de nombreuses espèces considérées comme inférieures , comme les rats et souris de laboratoire, qui sont d’ores et déjà « soumis » à des opérations de savants, reste à savoir si l’on peut les qualifier de fous ? Malgré l’instauration depuis 2004 d’un droit international des animaux.

Ensuite, l’auteur suggère de séparer le cerveau du corps (action subie par la victime), comme pour définir le siège de l’esprit, comme l’essence de l’homme en tant que sujet, assujetti aux sciences. Il propose d’imaginer que le cerveau serait maintenu « en vie » (l.3), par une « solution nutritive » (l.3), comme si l’homme, même réduit au cerveau, comme siège de la pensée, avait toujours ce besoin insatiable de se nourrir, jusqu’à dévorer la planète. Elle suggère dans le même temps que l’homme soit dépendant d’une solution nutritive, ce qui est scientifiquement vrai, l’homme a besoin de s’alimenter. Jusqu’ici, l’auteur dénonce une forme d’assujettissement, comme une contrainte, subie de manière non volontaire. Pourtant, ne serait-il pas possible, voire préférable, que l’homme soit trompé ? Dans le but d’éviter les blessures qu’il inflige déjà, à lui-même, mais aussi aux autres choses, aux « étants », que l’homme a tendance à considérer comme inférieurs, voire à simplement ne plus les considérer.

Par la suite, il invite à méditer sur le danger d’une fusion des neurosciences avec l’informatique. Les « terminaisons nerveuses » (l.4), dont il a été prouvé qu’elles fonctionnent par le biais d’impulsions électrochimiques, impliquant des impulsions électroniques, seraient reliées à un « super-ordinateur » (l.4), pour illusionner la « personne cerveau » (l.4), lui donnant l’impression « que tout est normal » (l.5). Il nous pose désormais la question de l’illusion, qui nous présenterait ainsi de fausses réalités. Il nous indique qu’il « semble y avoir des gens, des objets, un ciel, etc » (l.5), rapportant cette illusion au monde que nous connaissons et non pas à un monde qui nous serait imaginaire, tiré de l’inconnu. Dès cet instant, le lecteur commence à se questionner sur ce qui l’entoure, sur les mots qu’il est en train d’écrire sur cette copie, et se demande : Et si j’étais à la place de cette « personne cerveau » (l.4) ? N’ayant en mémoire que le monde réel, il a la certitude que ce qui l’entoure est réel, ou ne veut pas croire à une illusion, qui serait une preuve de faiblesse pour lui, ce « maître et possesseur de la nature », comme une « blessure narcissique » dirait Freud. Alors le lecteur continue sa lecture, de multiples questions en tête.

 

 

Dans un deuxième temps, dès la ligne 5, Putnam fait ressurgir nos interrogations sur nous-mêmes en suggérant qu’il s’agisse de nous : « la personne (vous-même) ». Il revient sur la possibilité d’un lien entre « l’ordinateur » (l.6) et les « terminaisons nerveuses » (l.7). Ainsi, on peut s’interroger et se demander si la vie (qui serait une illusion par hypothèse) peut être gérée par un programme informatique ? Alors, où cela s’arrêterait-il ? L’univers pourrait-il, comme le suggèrent de nombreux scientifiques, être modélisé par un programme informatique, qui s’appuierait sur des mathématiques, notamment au domaine de la topologie, qui consiste à représenter les objets du quotidien, comme la chaise sur laquelle vous êtes assis, par une fonction mathématique ? On peut alors se demander jusqu’où cela irait donc ? La science est-elle sans limite ?

A partir de la ligne 7 (deuxième paragraphe), Hilary Putnam invite à penser (ou à imaginer) un ordinateur qui serait maître dans la duperie, de sortes qu’il parvienne même à nous faire ressentir les sensations : « Si la personne essaye de lever la main, l’ordinateur lui fait « voir » et « sentir » qu’elle lève la main » (l.8-9). Le progrès, encouragé par de nombreux philosophes, comme Kant, qu’il associe à la notion de majorité, qu’il oppose dans Réponse à la Question : Qu’est-ce que les Lumières ?, à un état de minorité, caractérisé par la paresse et la lâcheté, ce progrès est-il bon ou mauvais (pour l’homme) ? La question se pose-t-elle seulement ? Certains philosophes prônent un retour à des valeurs plus « simples », comme les Grecs, qui considéraient les choses comme des « étants », dont nous faisions partie, nous mettant au même niveau que les choses, les considérants avec respect et dignité.

Ensuite, Putnam fait référence à la perception, invitant le lecteur à s’imaginer que la « victime » (l.10) puisse « percevoir (halluciner) » « toutes les situations qu’il désire ». On peut alors se demander pourquoi qualifie-t-il la personne de « victime », à connotation négative, alors qu’elle pourrait croire et vivre ce qu’elle désire. Mais le désir est-il synonyme de bonheur ? Le désir, accompli, qui devient plaisir, pourrait être négatif si cela contribue au malheur de certains individus, ou certaines choses. Pourtant, si l’on accomplit ces désirs dans notre imaginaire (qui devient réalité), il n’y a as d’aspects négatifs. L’auteur pourrait parler de « victime » au sens physique, car ligoter par ce savant fou. Ainsi, cette manipulation de l’homme en l’illusionnant ne pourrait-elle pas être positive pour lui, pour le sauver de lui-même ?

 

 

Dans le dernier temps, Putnam porte un coup fatal au lecteur, qui ne peut pas ne pas s’interroger. L’auteur suggère que le savant fou peut aussi nous effacer « le souvenir de l’opération » (l.10-11) pour accentuer l’illusion. La duperie serait (presque) parfaite. Cette hypothèse est reprise dans le « blockbuster » hollywoodien Oblivion, paru ce mois d’Avril 2013, qui reprend la thèse du malin génie Cartésien, en présentant un héros, qui croit se battre pour l’humanité contre des extraterrestres, et qui est en réalité manipulé par ces derniers pour exterminer sa propre espèce. Le personnage principal, incarné par Tom Cruise, subit un effacage de mémoire, néanmoins des souvenirs de son passé ressurgissent. Alors se pose la question suivante : même après que la mémoire nous ait été effacée, l’inconscient, ou le subconscient, notions théorisées par Freud ne nous rappellerait-il pas la duperie ? A moins une fois encore, que la duperie excelle grâce aux sciences, qui parviendraient jusqu’à inhiber le subconscient comme l’inconscient.

Pour porter le questionnement de l’homme sur lui-même, et du lecteur sur lui-même, Hilary Putnam suggère une ultime hypothèse, qui prend tout son sens à la fin du texte : Il se pourrait justement que cette victime ait l’ « impression » (l.12) de lire son ouvrage, intitulé Raison, vérité et histoire, et de trouver l’hypothèse d’une manipulation informatique assez « amusante mais plutôt absurde » (l.13). Elle nous invite à nous questionner sur ce que nous croyons être vrai, nous appelant à la méfiance. Pour autant, ce questionnement que suggère Hilary Putnam, et qui est presque en nous désormais, n’est-il pas l’objet d’une manipulation de l’auteur lui-même, qui nous suggère de s’en méfier ? Alors, l’homme serait-il par nature influençable, et donc manipulable, si ce n’est manipulé, ne serait-ce que par un inconscient psychique ?

 

 

Ainsi, dans Raison, vérité et histoire, Putnam souhaite dénoncer l’excès des sciences, qui ont marqué le 20ème siècle, et continuent de marquer le nouveau millénaire. L’utilisation massive des armes, dont les sciences ont participé à l’élaboration, étant sans doute l’un des plus grands, si ce n’est le plus grand malheur que l’homme s’est infligé et continue de s’infliger à lui-même.

Dans un deuxième temps, elle invite l’homme (aussi le lecteur) à se méfier de manipulations, qui ne sont jusqu’ici de simples hypothèses, plutôt « amusante[s] » selon l’auteur, pour enfin enfoncer le clou à travers une mise en abyme du lecteur dans son texte. Mais cette mise en abyme n’est elle pas une manipulation de l’auteur contre, à moins que ce ne soit pour, nous-mêmes ?

Illusionner l’homme, de manière consentie, ne permettrait-il pas de le protéger de lui-même ?

 

                                                                                                                                                            

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