Michel Moatti, "Rebecca. Dans l’ombre d’Hollywood"

« Le fantôme d’une illusion »

Il n’est pas rare qu’un bon livre commence par une bonne idée. Et à cette aune, Michel Moatti n’a pas failli à la tâche en concevant ce projet romanesque d’une revisitation du grand classique de sir Hitch, sa première réalisation outre-Atlantique, en 1939, Rebecca, et ce, sous la houlette impitoyable du producteur tout-puissant David O. Selznick, celui-là même qui un an plus tôt a remporté tous les suffrages hollywoodiens avec le retentissant Autant en emporte le vent où brille Vivien Leigh.

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Adapté du roman éponyme de la grande Daphné du Maurier, Rebecca est connu de tous les cinéphiles pour charrier une sourde tension entre les deux protagonistes féminins de l’oeuvre : la nouvelle Madame de Winter découvrant la majestueuse mais sombre demeure (Manderley) de son frais mari, et la gouvernante de l’austère demeure, l’implacable Mrs Danvers, amoureuse transie et idolâtre de la première Madame de Winter, récemment décédée. Il faudrait presque d’ailleurs parler d’un trio de protagonistes tant, sous la caméra virtuose de Hitchock, la bâtisse incarne l’âme fantomatique de l’ancienne maîtresse de maison …au moins jusqu’à la célèbre scène finale qui voit la bâtisse engloutie par les flammes.

Le romancier a choisi de mettre en scène les « mémoires » de Judith Anderson, l’actrice jouant la fort retorse Mrs Danvers qu’on réduit encore aujourd’hui à la posture de lesbianisme domestique tout en présentant, entre réalité et fiction, les coulisses du tournage (ses « incidents de plateau » y compris) et la série de crimes – on ne peut plus avérée – touchant des jeunes filles ou femmes de l’équipe du studio, un serial killer nommé « le nocturne » sévissant tout du long de l’avancée houleuse du long métrage et s’en prenant alors à une dizaine de victimes, signant ses exactions d’un R qui désigne le film en cours de production. « Autant en emporte le gore » pourrait-on dire sur ces entrefaites.

Ce parallèle inattendu entre assassinat, manipulation et perversion permet à Moatti de livrer nombres d’anecdotes et d’informations maîtrisées sur le film (en commentant même parfois avec force précisionun plan ou un plan-séquence) et d’interroger le rôle de tout un chacun (producteur, réalisateur, acteur, technicien…) dans un milieu pas forcément glamour où suspicion généralisée et trahison répétée font bon ménage. La guerre semble en effet totale entre les stars (Laurence Olivier, sa future épouse Vivien Leigh, Olivia de Havilland et la jeune soeur de celle-ci, Joan Fontaine, qui interprète la seconde Mme de Winter) et les actrices les moins reconnues (Judith Anderson, Anne Baxter, Audrey Reynolds). De surcroît, l’ambiance délétère du code Hays sévissant en Amérique n’est pas pour enjoliver le contexte du tournage.

Sur cette toile de fond noire et glauque à souhait, l’auteur trousse de courts chapitres pour dépeindre avec maestria l’envers du décor – qui n’a jamais aussi bien porté son noom – et entraîner le lecteur dans une plongée vers la vérité controversée. Si le génie d’Hitchcock dans Rebecca repose sur le fait que la première Madame de Winter, au centre de tous les phantasmes et autres pulsions scopiques, n’apparaît jamais à l’écran, la trouvaille de Moatti tient à ce qu’il met sans fard aucun sous les crues lumières de la rampe la gothique Mrs Danvers qui, jusqu’alors, était demeurée de manière énigmatique dans l’ombre. Une inversion jouissive et assumée qui donne raison à ce que signalait déjà en son temps Daphné du Maurier : quand on a connu Manderley, on y revient toujours.

extrait :
https://www.calameo.com/read/0040547848e89faf16f27

trailer du roman : 
https://youtu.be/6uX0R0pTu8I

frederic grolleau

Michel Moatti, Rebecca. Dans l’ombre d’Hollywood, Éditions Hervé Chopin, mai 2025, 238 p. – 19,50 €.