Connu sous les appellations d’effet K, d’expérience Mosjoukine du nom de l’acteur qui a servi de cobaye malgré lui, ou plus souvent sous celle d’Effet Koulechov du nom du théoricien et réalisateur soviétique Lev Koulechov, cet effet vise à souligner la puissance créatrice du montage au cinéma.
Mais d’où vient cet effet que certains voient, ressentent et estiment, et que d’autres jugent comme un manque d’expressivité pur et simple des acteurs le pratiquant ?

Visage de Mosjoukine issu de l’expérimentation réalisée par Lev Koulechov en 1921.
Genèse et présentation de l’effet
Juste après la fin de la guerre, l’entrée dans les années 1920 marque un tournant important artistiquement. Les années folles se révèlent en effet, porteuses d’un vent d’expérimentation créatif conséquent, notamment en ce qui concerne le cinéma qui est encore à l’époque un art jeune.
C’est dans le contexte de cette effervescence que le réalisateur soviétique Lev Koulechov réalisera en 1921 une expérience fascinante. Alors même que l’importance du montage avait déjà commencé à être théorisée et soulignée dès les années 1900 et 1910 notamment au travers du travail du réalisateur américain David Wark Griffith, c’est cette expérience novatrice de Koulechov qui permit de passer un nouveau cap dans la compréhension et l’utilisation du montage non plus comme simple outil de construction chronologique d’un récit mais bien plus comme un outil créateur de sens.
Afin de mettre au point ce procédé, Lev Koulechov prit un plan de l’acteur star de l’URSS des années 20, Ivan Mosjoukine. Sur un tel plan, il se trouve que le visage de l’acteur n’est animé que par une neutralité des plus criantes. Il déclina alors ce plan trois fois, tout en mettant chaque copie en dialogue avec d’autres images différentes : une assiette de soupe, un cercueil dans lequel repose le corps d’un enfant et enfin une femme allongée dans une posture sensuelle sur un canapé.
Lev Koulechov considère alors que la mise en relation des plans du visage inexpressif de l’acteur avec ces trois contextes différents tend à créer, par la force du montage, des émotions que sont alors respectivement dans l’expérience de Koulechov la faim, le désespoir et enfin le désir. C’est donc de la mise en dialogue de deux images que découle l’expressivité du personnage et la compréhension de cette dernière par le spectateur.
Le montage a donc vu sa position de créateur de sens renforcée, et il a vu son importance dans la production cinématographique fortement accrue. La force des images mises en contexte est certaine !
Une instrumentalisation de cet effet
Neo (Keanu Reeves) dans Matrix (Lilly Wachowski et Lana Wachowski, 1999)
Reste que cet effet n’a pas été le plus utilisé de l’histoire du cinéma… et peut être à raison !
Parmi les cinéastes s’inscrivant dans la démarche de Koulechov, au-delà des cinéastes soviétiques des années 20, on peut citer Chris Marker qui dans son film Lettre de Sibérie tache de prolonger l’étude théorique menée par Koulechov. En effet, ce dernier ajoutera l’idée que le montage sonore revêt le même effet que le montage visuel. Là encore c’est à l’aide de trois images auxquelles il superposera trois textes lus différents, qu’il déterminera la puissance du montage sonore qui peut, sur la base des mêmes images, venir terrifier ou séduire l’audience. Finalement, il ponctuera son analyse de propos inquiétants quant à la réception des images « On fait dire aux images ce qu’on veut » …
Et cet aspect, les puissances dictatoriales l’avaient bien compris ! On a ainsi dans l’histoire du cinéma ou même du journalisme, vu de nombreux états dictatoriaux instrumentaliser le montage à des fins de contrôle de la population, que ça soit la propagande nazie dans les années trente, portées par les films de Leni Riefensthal, ou bien la propagande soviétique avec par exemple Octobre de Serguei Eisenstein.
Intérêt de l’effet
Pour autant, les Cultural Studies tendent aujourd’hui à remettre en cause cette idée de réception unique des contenus audiovisuels produits. Ainsi, et contrairement à ce que Laswell, sociologue américain, décryptait dans sa théorie de « la seringue hypodermique » selon laquelle l’audience est passive, on tend aujourd’hui à considérer le public recevant l’information comme actif. De ce fait, un individu lambda serait apte à réinterpréter le message initial et ainsi à en transformer l’idée de base, et ce au prisme des présupposés culturels qu’il aurait alors incorporé (notamment en lien avec son éducation et son appartenance sociale) : la culture n’est pas une mais plurielle comme le rappelle si justement De Certeau. C’est notamment ce que Roland Barthes ou encore Stuart Hall n’ont cessés de mettre en avant à travers l’idée de « guerre des discours ».
De ce changement de paradigme est notamment né l’idée que le récepteur, puisqu’il transforme le message initial, tend à être co-créateur de l’œuvre. C’est exactement ce qu’il se passe face à un film et face à l’effet Koulechov. Ainsi, l’efficacité de l’effet Koulechov est à relativiser étant donné le fait que l’on peut interpréter différemment le message initial, de par le fait que nos présupposés culturels ne correspondent pas à ceux utilisés initialement.
Malgré tout, cela n’empêche pas certains films de faire encore appel à ce procédé comme ce fut le cas dans Matrix des frères (et désormais sœurs) Wachowski.
En conclusion, cette expérience cinématographique a permis de mettre en lumière l’importance du montage comme élément central de la grammaire cinématographique comme se plaisait à le répéter, ni plus ni moins que Alfred Hitchcock, mais doit voir son impact relativisé.
On vous laisse avec cette petite vidéo du Monde fort intéressante :
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