Rien de tel qu’un bon contraste, météorologique comme psychologique, pour apprécier à a sa pleine (dé)mesure le talent du sieur Colo (ce nom est-il l’inversion du loco espagnol désignant une personne folle ?) , lequel en la bagatelle de 385 pages (mazette !) nous propose rien moins dans son thriller d’anticipation anti-libéraliste qu’une réflexion, aussi approfondie que captivante, sur la prochaine fin d’un monde ibérique dystopique.
Ainsi, alors que la chaleur et l’été commencent à diffuser leur promesse de bien-être estival, Aujourd’hui est un beau jour pour mourir nous met en présence d’un virus inconnu, libéré par la fonte des glaces, qui s’attaque au système nerveux et provoque un état dépressif sévère chez les personnes infectées. Leur état s’aggrave jusqu’à ce qu’elles versent des larmes de sang quelques minutes avant de succomber à la maladie en se suicidant.
Au sein du chaos inévitable, de la crise sanitaire et sociale sans précédent qui en découlent (le pays était déjà frappé par le chômage de masse), Colo propose toute une galerie de personnages (un vieil écrivain à la recherche de l’inspiration, un restaurateur borgne amateur d’histoires, une bande de musiciens underground voulant achever leur première maquette, un terroriste informatique lanceur d’alerte, un PDG agoraphobe sans scrupules, un serial killer intello impitoyable etc.) réunis par un seul destin commun : tenter de survivre à l’épidémie mondiale qui dévaste tout – à commencer par les prétendues immuables valeurs humaines.
A mi-chemin, parmi d’autres références, de Blindness et de Bird Box, Colo livre une narration chorale maîtrisée au possible où les dialogues percutants, le trait incisif et le choix de la sombre gamme chromatique en imposent au lecteur. Non pas tant par la pagination généreuse, laquelle participe pleinement au genre roman graphique auquel l’auteur confère ici toutes ses lettres de noblesse, que par la dimension subversive du texte.
De fait, Aujourd’hui est un beau jour pour mourir dénonce sans fioriture la puissance inhumaine des consortiums, des sociétés pharmaceutiques toute-puissantes, la violence étatique et l’ensemble des malversation qu’elles induisent. La leçon — hélas « classique » même dans un contexte d’anticipation — à en tirer semble être que, dans un système où l’humain est broyé par l’argent-roi ou l’idolâtrie du travail, la décomposition généralisée ne saurait trouver de remède, puisque celui-ci ferait encore l’objet de tractations financières…
Même si les esquisses de romans du vieil écrivain et le jeu du menteur auquel se livre deux des protagonistes atténuent de leur sens poétique la déréliction annoncée de l’espèce humaine, il semble que rien, partant, ne puisse plus retarder l’inéluctable destin en marche.
Un premier album exceptionnel avec lequel certaines éditions éponymes qui l’ont en effet fort long nous clouent notre bec d’hominidé du XXIe siècle.
frederic grolleau
Colo, Aujourd’hui est un beau jour pour mourir, éditions du Long Bec, 2019, roman graphique, one shot, 385 p. — 24,00 €.
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