En éclairant le concept mathématique d'aleph, élaboré par Cantor entre 1873 et 1881, la nouvelle de Borges (L'aleph) publiée en 1962 permit la diffusion de cette découverte auprès d'un plus large public. Dans cette nouvelle, Borges imagine une petite sphère (l'aleph) contenant tous les points de l'univers. Il livre alors une description poétique de ce qu'il y voit. Phrase de deux pages éminemment rythmée qui plonge le lecteur dans cette vision de l'univers. Lisez et laissez vous emporter dans la contemplation abyssale de l'infini.
"(...) je vis des grappes, de la neige, du tabac, des filons de métal, de la vapeur d'eau, je vis de convexes déserts équatoriaux et chacun de leur grain de sable, je vis à Inverness une femme que je n'oublierai pas, je vis la violente chevelure, le corps altier, je vis un cancer à la poitrine, je vis un cercle de terre desséchée sur un trottoir, là où auparavant il y avait eu un arbre, je vis dans une villa d'Adrogué un exemplaire de la première version anglaise de Pline, celle de Philémon de Holland, je vis en même temps chaque lettre de chaque page (...), je vis un monument adoré à Chacarita, les restes atroces de ce qui délicieusement avait été Beatriz Viterbo, la circulation de mon sang obscur, l'engrenage de l'amour et la transformation de la mort, je vis l'Aleph, sous tous les angles, je vis sur l'Aleph la terre, et sur la terre de nouveau l'Aleph et sur l'Aleph la terre, je vis mon visage et mes viscères, je vis ton visage, j'eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avait vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu'aucun homme n'a regardé : l'inconcevable univers ."
Borges, L'aleph,
Ed. Imaginaire Gallimard, 1977, p.208.
source :
https://education.francetv.fr/matiere/physique-chimie/cm1/article/l-aleph-de-borges-petite-sphere-contenant-tous-les-points-de-l-univers
à propos de "l'aleph"
éd. de référence : L’imaginaire Gallimard p. 202 à 207
Nota : les lettres "h, b, m" qui suivent les numéros de pages indiquent le haut, le Milieu ou le bas de la page.
Texte extrait de la nouvelle qui donne son titre au recueil, et qui le clôt, L'Aleph, objet situé au cœur de la problématique Borgésienne, au même titre que La bibliothèque de Babel, ou le Zahir de ce recueil, en ce qu'il met en jeu la question de l'infini, et son expression dans l'écriture.
À la faveur de détours et de circonstances fortuites (le culte de Béatriz, les manœuvres littéraires du cousin de cette dernière, l'imminence de son expropriation), Borges entre en contact avec l’Aleph, la sphère lumineuse infinie, sur le mode, on y insistera, du recul et du détour.
Nous verrons d'abord comment l’ Aleph est marqué au sceau de la dénégation et du refus : refus d'être vu, refus d'être dit, puis, dans un second temps, dans quelle mesure l'infini résiste au langage et à l'homme, et enfin, comment l'Aleph peut se dire, tout de même, dans une ébauche de poétique de l'infini.
I) Le recul
L'approche de l'Aleph, de l'infini, l'expérience d'entre les expériences, se fait sur le mode du recul, du refus, de la dénégation.D'abord, par
1) la dérision des circonstances
Le conte "l'Aleph" obéit aux lois de la littérature, et le narrateur, aussi bien que le lecteur, doit passer par un certain nombre de relais avant d'entrer dans le vif du sujet : l’Aleph, et la problématique de l’infini. La plupart de ces relais, qui préparent et retardent la rencontre sont marqués au sceau de la dérision.
Dérisoires:
– Carlos Argentino : l'initiateur, qui est tantôt décrit comme un littérateur de faible envergure, tantôt comme un petit bourgeois qui se laisse éblouir par le luxe de ses expropriateurs, et révulser par son expropriation.– la maison bourgeoise de Carlos Argentino est aux antipodes de la pyramide, ou du temple (qui seraient les sièges "naturels" de Aleph), même si l'appartement est "approfondi" par la cave qui recèle l'Aleph : mais la cave est aussi une simple cave, où l'on trouve une malle, des "sacs en toile", des "caisses emplies de bouteilles" (203b).
– le prétexte de la visite du narrateur est de vérifier qu'il ne s'agit pas, de la part du fanfaron Carlos Argentino, d'un bobard, d'une fanfaronnade de plus (cf. les lignes qui précèdent ce passage).
– le "mode d'emploi" de l’Aleph, qui semble extrait d'un conte pour enfants : "Tu te coucheras sur le pavé … tu verras l' Aleph " (203m). Instructions réitérées à la page suivante (204m) pour être qualifiées de "ridicules" par le narrateur.
– la satisfaction basse du narrateur à l'idée que Carlos Argentino soit fou.
Le montage du conte, la progressivité du récit sont donc fondés sur ce contraste entre la trivialité du contexte, et l'absolu de l'expérience.
2) Repli rationnel en ordre
Devant l’imminence de l'expérience, le narrateur se défend (on serait tenté de dire : au sens psychanalytique du terme) en ayant recours à la Raison, en tant qu'elle s’oppose à la folie. Nous parlions précédemment de trivialité, et il y a encore de cela dans la convocation de la Raison, forcément dérisoire en regard de l'infini.
– Carlos Argentino n'est pas seulement un fanfaron capable de "bravade" (204m), c'est un fou. Et à l'égard de ce fou, le narrateur applique dans son récit une méthode que l'on pourrait qualifier de « rétro-génétique », et qu'il formule ainsi : « La connaissance d'un fait … auparavant » (202m).
– Que Carlos Argentino puisse croire que l'Aleph réside en sa demeure explique sa prétention à être un écrivain, et qu'il ose demander à Borges en personne (on le verra) de s'entremettre et de se compromettre pour obtenir une préface.
– Folie contagieuse, folie familiale, qui n'épargne pas la cousine morte, l'initiatrice, Beatriz : « Beatriz (je le répète … « explication pathologique. » (202m)
Recours à la Raison sous une autre espèce : la dissertation, que développe Borges, sur le caractère incommunicable de l'infini.
Développement de l'argumentation
– le partage nécessaire dans toute entreprise de communication, d'un alphabet de symboles, qui suppose le partage d'un passé et d'une expérience (204b) ; l'Aleph a séparé Borges des autres hommes.
– dans la mesure où un fossé s'est creusé entre l'initié et les autres, s'affirme la nécessité (pour l'écrivain) de recourir à un autre langage, un autre mode d'expression par exemple « l'emblème mystique » : tout dire en une image, en une formule, en un mot (ex. p. 204b - 205h. Mais cette solution n'est convoquée que pour être aussitôt récusée, au nom du "défaut de littérature" (on y reviendra).
– enfin, le fond du problème - la restitution et l'expression de l'instantané, de l'absolu contemporain, du tout simultané, par le langage, c'est à dire, obligatoirement, par le successif : la charge de l'infini réduite à l'énumération, la réduction de l'infini à "l'innombrable", la compilation (illustrée par le "grand œuvre" de Cartos Argentino). (205h)
Ultimes sursauts de la Raison : le recours à la description "objective":
– Démasquer l'illusion : je crus / je compris (205b)
– Mesurer : "le diamètre de l'Aleph…" (205b)
– Donner des équivalences, mais résistance de l'infini aux équivalences : « Chaque chose (la glace du miroir par exemple) équivalait à une infinité de choses. » (205b)
La rencontre de l'Aleph est donc refusée avant même qu'elle s'accomplisse : rabaissée, rationnellement niée, bref, refoulée (Borges, à la fin du conte, explicitera la nécessité de l'oubli, vis à vis d'une telle expérience).
II) Invalidation de l'expérience par la littérature
D'une certaine manière, tout ce mouvement de recul, toutes ces gesticulations pour refuser l'Aleph sont inutiles, parce que l'Aleph est nié plus profondément, de l'intérieur même du récit.
1) La littérature récusée
Si Borges récuse la littérature, c'est que, selon lui, elle est expression de l'erreur : « Peut-être les dieux … d'erreur. » (205m)
Dans la même nouvelle, quelques pages auparavant, on peut lire : « Ces idées me parurent si ineptes, son exposé si pompeux et si vain, que j'établis immédiatement un rapport entre eux et la littérature." (192h) Dans le même esprit, faut-il revenir sur l'image du littérateur Carlos Argentino, distillée sur l'ensemble de la nouvelle : histrion infatué de lui-même, et ridicule ?
De plus, le personnage central de cette nouvelle n'est pas n'importe qui, comme Isidoro Tadeo Cruz, ou Emma Zunz : il s'agit de Borges en personne : « Beatriz, Beatriz chérie … Borges". (203h)
Le personnage central de la nouvelle est Borges, l'auteur de L'Auteur, Fictions, l'Aleph, et cette révélation pousse l'invalidité de l'expérience à la puissance : ne s'agit-il pas d'une "fiction" de plus, d'un autre jeu intellectuel avec l'idée de l'infini, et ses apories ? On connaît la fascination de Borges pour l'effacement, le livre qui s'efface (le "livre de sable" écrit par Jésus Christ, qui s'efface en même temps qu'il s'écrit), et on pourrait formuler ainsi la position d'écrivain de Borges : "Moi, Borges, écrivain, je déclare, tout en faisant acte littéraire, la littérature nulle et non avenue".
2) L'univers saturé de littérature
Borges se met en scène dans sa nouvelle, mais cette présence paradoxalement invalidante est superfétatoire, parce que la littérature contamine et sature le réel.
– Ainsi, la Beatriz de Borges peut-elle être considérée comme un avatar de la Béatrice de Dante, qui le conduit au paradis (Beatriz était une femme, une enfant 202m).
– Dans la mise en scène du recul et de l'effroi devant l'Aleph, on peut voir un procédé littéraire, l'introduction d'un courant de littérature fantastique dans le flux du récit - la folie de Carlos Argentino, subitement révélée au narrateur, et qui se confirme dans la veine du roman noir : « Finalement, il s'en alla … Alors je vis l'Aleph » (204m) : obscurité, enfermement, danger de mort, malaise confus : le narrateur a été enfermé par un fou, empoisonné.
– Ainsi encore du roman d'amour frustré de Borges et Beatriz.
3) L'hésitation littéraire
On pourrait parler à propos de Borges, et particulièrement dans cette nouvelle, d'un fantastique littéraire : le lecteur est invité à hésiter (comme on parle de "l'hésitation fantastique"), à douter des tenants de la narration. Borges introduit le doute, et pas seulement en assimilant théoriquement la littérature à l'erreur, mais en pratiquant délibérément la confusion : peut-être un Perse a-t-il parlé d'un oiseau qui est tous les oiseaux, mais choisir Alanus Ab Insulis comme auteur d'une phrase qui apparaît à un lecteur Français et cultivé comme issue de Pascal, c'est choisir la confusion.[Alanus Ab Insulis est effectivement un auteur de cette phrase… ainsi que de nombreux autres - cf. Enquêtes, "la sphère de Pascal"].
L'expression littéraire est, selon Borges, une erreur en soi : elle a recours à des procédés, à l'image. Mais Borges ajoute à ces erreurs génériques la confusion délibérée ; citations erronées ou apocryphes (la citation exacte est « Dieu est une sphère intelligible dont… »), déformation des noms (cf. p. 135, in "le Zahir"). Sans doute faut-il tenir compte du fait que Borges dans cette nouvelle se pose comme l'auteur d'un ouvrage intitulé Les cartes du tricheur (209h), et qu'il est en réalité l'auteur d'un poème intitulé "El Truco", sorte de poker argentin.
En tout état de cause, ce recul devant l'Aleph, cette invalidation de l'expérience ne sont pas autre chose que des procédés littéraires, des précautions oratoires, et au fond, une prétérition, puisque, finalement, « j'en dirai cependant quelque chose. » (205m)
III) Dire quand même : poétique de l'Aleph
Il y a chez Borges une tension constante entre le désir d'écrire, et la vanité de la littérature : angoisse du bibliothécaire de Babel qui sait que, d'une manière au d'une autre, tout est écrit ("la littérature est inépuisable, pour la seule raison qu'un livre l'est" Enquêtes). Cette tension se manifeste de façons différentes : de la façon la plus évidente, le choix de l’œuvre brève - le conte - contre le "grand opus" ; de façon provocatrice, en préférant le résumé, au texte de l’œuvre; par le dénigrement (cf. II) ); par l'auto dépréciation, ou par le doute que Borges introduit dans ses propres contes : la multiplicité des citations, le parti-pris de l'apocryphe (cf. "Pierre Ménard" in Fictions). Le problème de Borges pourrait être formulé ainsi : comment concilier l'écriture et l'infini ? Le conte "l'Aleph", qui clôt le recueil, apporte quelques éléments de réponse.
1) Impuissance de la littérature à dire l'infini.
– le cas Daneri, ou la "totalité des objets" (concept emprunté à Lukacs, à propos du roman historique) : nous sortirons brièvement des limites de notre texte pour parler de l’œuvre de Carlos Argentino, qui étend à l'échelle du monde le projet des Ballades Françaises de Paul Fort, en 40 volumes : on pourrait parler ici du "faux infini" hégélien, au sens où on n'a affaire qu'à une quantité, qu'il est toujours possible d'augmenter, ce qui renvoie le projet à son essentielle finitude, celle du catalogue, même s'il vise à l'exhaustivité : « … le problème central est insoluble : l'énumération, même partielle, d'un ensemble infini » (205m). Voir p. 194m la critique de l’œuvre de Carlos Argentino.
– l'universalité : en général, Borges ne croit pas à l'universalité, il ne croit pas au fait que les hommes puissent partager une émotion, ou la compréhension d'un phénomène : Averroës, dans le recueil, constitue une preuve de cette incommunicabilité, puisque lui, le savant, le commentateur d'Aristote, est incapable de comprendre ce que sont une comédie et une tragédie… Et dans l'Aleph Borges récuse l'universalité au nom de la singularité des expériences : voir l'Aleph l'a séparé des autres hommes, l'a éloigné d'un passé commun à l'humanité ("un passé que les interlocuteurs partagent" 204b). Les références aux mystiques, au "Docteur Universel" qu'était Alanus ab Insulis, confirment cette singularité incommunicable.
– la successivité : enfin et surtout, le langage, qui fonctionne essentiellement dans la successivité, est incapable de restituer l'infini de l'Aleph, qui est simultanéité : « j'ai vu (…) aucun ne m'étonna autant que le fait que tous occupaient le même point, sans superposition et sans transparence" (205m). L'infini, surface simultanée et sur-présente, échappe aux profondeurs du discours qui se déploie dans le temps.
2) Pour une poétique de l'infini
Si malgré tous ces écueils, toutes ces impossibilités, Borges veut quand même "en dire quelque chose", c'est, croyons-nous, qu'il estime possible de fonder une poétique de l'infini, et une littérature qui ne soit pas exclusive de l'infini.
– la totalité du mouvement (idem, cf. Lukacs) : au "faux infini" de Carlos Argentino, quantitatif et cumulatif, Borges oppose le mouvement de l'infini, sa dimension réflexive, et obscure.
– l'infini est vertige : les spectacles que renferme l'Aleph sont vertigineux, non parce que la sphère tourne, mais parce que le point de vue se démultiplie : "chaque chose … parce que je la voyais clairement de tous les points de l'univers" (205b).
– l'infini est réflexif : le miroir se reflétant en lui-même est ce qu'on pourrait appeler le mode de réflexion de l'Aleph : les yeux qui réfléchissent ceux du spectateur (206h), et les miroirs qui réfléchissent la totalité ("je vis tous les miroirs" 206h et "un globe terrestre entre deux miroirs qui le multiplient indéfiniment" 206b). Le miroir réfléchit au sens aussi où il multiplie les points de vue sur le même objet : macro et micro vision (les convexes déserts et chacun de leurs grains de sable 206m) ; l'endroit et l'envers (la violente chevelure / le cancer à la poitrine ; la terre desséchée / l'arbre ; le Mexique Quérétaro - et ses antipodes au Bengale. L'Aleph est infini parce qu'il est abyme : je vis sur l'Aleph la terre, et sur la terre de nouveau l'Aleph et sur l'Aleph la terre…" (207m
– l'infini est obscur. Selon Borges, il est "un concept qui corrompt et dérègle les autres" [citation complète : « Je ne parle pas du mal, dont l'empire est circonscrit à l'éthique; je parle de l'infini ». Enquêtes 152h.] L'infini ne fait pas de distinctions : il confond essentiellement la réalité en brouillant les repères de la perception et de la raison : les espaces (Mexique / Bengale), les objets (tigres / pistons), les essences (le couchant / la couleur d'une rose), les catégories temporelles (la nuit et le jour contemporain 206b).– la subjectivité : on a vu que Borges récusait l'universalité des expériences. Non seulement l'expérience de l'Aleph est singulière, mais elle s'ancre dans la subjectivité parfois la plus étroite : subjectivité des dalles de Fray Bentos (anamnèse proustienne ?), subjectivité des affects que produisent la vision des lettres de Beatriz à Carlos Argentlno (207m), subjectivité intime enfin de la chambre vide (206b), ou de "la circulation de mon sang obscur … mon visage et mes viscères" (207m). la subjectivité est la garantie contre l'indifférenciation de l'infini, elle est un principe d'association (et non de formalisation logique) : le texte construit des lignes associatives : …au cours de la nuit ® je vis la nuit ® ma chambre à coucher ® un cabinet de Alkmaar (206b) ou encore : cartes postales ® jeu de cartes / des foules et des armées ® des fourmis ( "farmées" ? quelles sonorités en espagnol ?)– intensité : surtout, en opposition à la version extensive de Carlos Argentino, l'Aleph est pour Borges une expérience essentiellement intense, qui doit se dire non dans la longueur des énoncés, mais par la force de l'énonciation (la sphère fermée) :
– la phrase de deux pages, avec tout ce que cela implique d'effets rythmiques et d'essoufflement, pulmonaire ou mental.
– la reprise anaphorique du "je vis", qui ponctue le texte sur le mode de la relance perpétuelle.
– Les coq à l'âne, ruptures logiques, spatiales, temporelles, anecdotiques, incursions dans le subjectif.
– la convocation dans le texte du lecteur lui-même : "je vis ton visage" (207b)
3) Une autre littérature
On peut donc voir dans cette description de l'Aleph une poétique concernant l'expression de l'infini, mais aussi bien la matière de la littérature telle que la conçoit et la pratique Borges, au delà des stéréotypes littéraires, des catégories simples du vrai et du faux, du bien et du mal.
– le jeu avec le faux : mise en doute du caractère stable de la réalité, des identités, du temps (le Même qui se répète, la littérature qui bégaye).
– la mise en perspective par les changements d'échelle : dans le même conte, une histoire d'amoureux transi, d'écrivaillon ambitieux, d'expropriation, et la rencontre fortuite de l'infini (cf. aussi les contes de "western de la pampa" où surgit l'éternité, ou l'identité vraie).
– la condensation événementielle : l'éternité, ou l'infini, qui se disent en un conte.
Bilan
Nous retiendrons de ce texte L'extraordinaire tension entre le désir d'écrire et la tentation de se taire, ce que nous avons vu à travers les différents mouvements de recul du narrateur à l'égard de l'Aleph, mais aussi dans cette sorte d'entreprise de dénigrement, ou de mise en doute généralisé vis a vis de la littérature, accusée, au mieux, de fausseté, au pire. de vanité (on peut inverser les termes !). Il n’en reste pas moins que, au delà de ces désirs ou de ces tentations, le texte existe, Borges parle de L'Aleph, et, ce faisant, élabore une sorte de poétique de l'infini, un programme littéraire que l'on voit à l’œuvre dans de nombreuses nouvelles.
L'Aleph est une expérience limite, un "vertige fixé" et Borges clôt son recueil sur l'oubli et le doute, comme il a clos ainsi de nombreuses nouvelles. L'Aleph n'est pas une révélation, ce n'est pas un pilier de Notre Dame, c'est une manifestation de la limite, comme peut l'être un paradoxe (la tortue), comme peut l'être une coïncidence, ou une théorie (L'éternel retour).
En ce sens, la littérature de Borges n'est pas une littérature de l'infini, c'est une littérature qui engage la question de l'infini, ce qui explique l'importance des miroirs et des échos, des entretiens infinis, dans les textes de Borges, qui les posent comme méta, ou hyper-littérature.
source : http://lecridelasamericas.over-blog.com/article-31055609.html
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