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Un été en Amérique

Publié le 15 Juillet 2012, 18:11pm

Catégories : #ROMANS

Un curieux mélange entre un roman de jeunesse antelapsaire et une sorte de Rose pourpre du Caire où Wilde réécrirait Allen.

 

 

De Nicolas d’Estienne d’Orves, alias neo pour les intimes et même les extimes, je n’avais lu qu’un seul livre à ce jour : Fin de race paru chez Flammarion en 2002. M’avait frappé alors la veine fantastique venant bousculer l’enfance du héros au milieu de bouleversements encore plus redoutables (la seconde guerre mondiale, l’horreur nazie, le génocide juif) ; m’avait gêné un premier chapitre trop insistant à mon goût sur le viol et la barbarie des soldats. Un été en Amérique vient opportunément corriger le malaise ressenti. Car même si la violence et la brutalité rattrapent ici une enfance qu’on pourrait croire dorée à outrance jusqu’à un final qui remet les pendules à l’heure du noir réalisme, l’ouvrage laisse place nette tout du long au thème où le romancier est à son aise : les rêves d’enfance et les (douces ?) rives des pays de Cocagne qui savent les accueillir.

 

Nous sommes en 1982, Martin, le narrateur, a 13 ans et s’envole pour les Thousand Islands, ces îles essaimées sur le fleuve saint-Laurent, à mi-chemin du Canada et des Etats-Unis, auxquelles voue chaque été un véritable culte la riche famille de son ami d’école, Jérôme Clayton. En huit semaines Martin enfin séparé de son étouffante maman va pouvoir découvrir la mythique « Rivière » en question. Le seul prix à payer pour cela ? Accepter, comme c’est l’usage depuis des lustres chez les Clayton, de ne se vêtir sur place que dans des tenues ne dépassant pas les années 30, et ne jamais évoquer de sujets modernes ou contemporains qui briseraient et le charme utopique du lieu et la magie du temps suspendu qu’est cette insulaire éternité. Le saut dans l’espace serait-il donc aussi un saut dans le temps ?

 

Plus que cela puisque, à la thématique de la « frontière » qui est au coeur du livre, Nicolas d’Estienne d’Orves greffe celle de la limite et du repli identitaire, souvent symptômes d’une violence archétypale oubliée. Aussi toute l’attention des vacanciers se porte-elle bientôt sur une mystérieuse tour construite sur l’île centrale de Papoose que viennent de racheter au nez et à la barbe de cette élite aristocratique des Indiens natives...

 

A l’aune d’une réflexion sur le droit du sol et les légendes des premières civilisations - ici les Indiens, indeed ! - qui n’est pas sans évoquer le sillon que trace par exemple un Stephen King, Un été en Amérique est un curieux mélange entre un roman de jeunesse antelapsaire (teinté du cynisme qui sied à l’accoutumé aux adultes) et une sorte de Rose pourpre du Caire où Wilde réécrirait Allen. Tout aussi bien, un croisement cinélivresque entre Le garçon aux cheveux verts et Sa majesté des mouches. Bien entendu, Martin qui s’éveille au monde et au plaisir des sens, donc à la fin de l’innocence, ira de déconvenues en déconfitures. De félicités infinies en terreurs abyssales. C’est que le monde à part de Flynn Bay a ses lois, que nul ne saurait enfreindre sans s’exposer au pire des châtiments : être exclu du paradis. Mais, qu’on se le dise, comme dans Fin de race ce sont les enfants, seuls, qui ont le droit de vengeance et de proposer une définition plausible, c’est-à-dire viable, de la réalité.

 

La preuve, à l’évidence, que les romans qui mettent en scène les/des enfants sont souvent tout autre chose que des romans d’enfant(s).

   
 

frederic grolleau

Nicolas d’Estienne d’Orves, Un été en Amérique, Flammarion, 2004, 383 p. - 18, 90 €.

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