Exposé 1 CPES 2011-2012 par Mr Ligault
A. Synopsis
Trainspotting est un film sorti en 1996 et réalisé par Danny Boyle connu notamment pour le film Petits meurtres entre amis. Le décor du film est la ville d’Edimbourg, en Ecosse. Tiré du livre d’Irvine Welsh, Trainspotting nous emmène au cœur d’une bande de junkies accros à l’héroïne. Les personnages ont tous un caractère très spécial, capables de bousculer le cours de l’histoire : Sick boy, un fan de cinéma surtout de Sean Connery, Spud le maladroit et malchanceux de la bande, Alison la fille de la bande qui a un enfant sans père, Begbie un psychopathe impulsif qui lui se drogue a la violence, Tommy le sportif et enfin Renton, le personnage centrale de l’histoire, voulant décrocher une fois pour toutes.
B. Les grands axes du film
Plusieurs idées peuvent être mises en lumières dans ce film :
-Tout d’abord il y a un fort attachement a l’idée que la société emprisonne les jeunes dans leur désespoir, que la tristesse des individus est due pour beaucoup au cadre qui les entoure, ceci se prouve notamment grâce a la scène ou Renton fait la critique de son pays alors que son amis l’emmène en pleine nature
-L’idée d’une liberté artificielle crée par un mal, celui de l’héroïne, et aussi importante, en effet elle estici considérée comme « le trip ultime ». Les personnages rentrent volontairement une aiguilles dans leur peau pour oublier que là où ils vivent il y a du chômage, l’amour n’est qu’une illusion. Les premières minutes du film nous font part de cette idée, Renton n’a pas choisi une vie normale partagée entre la société de consommation et les histoires amoureuses, lui a choisi une autre voie, il a choisi celle de l’héroïne, celle de l’irréel. Mais le monde réel qu’il rejette tant le rattrappe comme si cela était une évidence, comme lorsque par exemple un de ses amis meurt ou lorsque Spud est emprisonné. Finalement, on ne peut pas si facilement rejeter la réalité, les lois de la nature comme la mort ou celle des sociétés nous remettent constamment face au monde que l’on évite. Plus tard Renton pense à un nouveaux départ car ne vaut-il pas mieux vivre enchaîné a un monde où l’on se sent cloisonné que de risquer sa vie et sa liberté (physique du moins) pour suivre le chemin d’un rêve qui finalement devient un cauchemar lors lorsque la vie reprend ses droits ?
-En résumé il y a dans ce film un lien fort qui se créer entre la drogue et la société (ce que Renton appelle la vie) : il faut échapper aux réalités de la vie par la prise de drogue et donc d’un paradis artificiel. La vie telle que Marc Renton la voit, est celle de ses parents, une vie minable dans un appartement misérable en ayant pour seule activité de s’abrutir devant des émission stupide et ayant pour grand plaisir d’aller à des « bingo », mais il va découvrir à la fin du film qu’il n’y a pas qu’une seule voie possible dans la vie. Quand il va réussir à se délivrer de l’héroïne et partir pour Londres (marquant cette cassure cette fois définitive), il va découvrir que la vie peut être dynamique, mouvementée et il va alors aimé cela. Cette image de cette vie positive lui est peut-être aussi transmise par les parents de sa copine qui paraissent sereins et vivent au contraire des parents de Renton dans une maison éclairée.
- Le lien qu’il y a entre Tommy et Renton n’est pas seulement un lien d’amitié, en effet, Tommy est exactement l’inverse de Renton, il est clean, sportif et amoureux, mais au cours du film lorsqu’il perd son amour et découvre alors qu’il perd le sens de sa vie il décide de plonger dans la drogue et donc dans le paradis artificiel dont Renton lui a tant parlé. Renton quant à lui sort de ce paradis, il devient clean et trouve l’amour qui donnera un sens à sa vie. En effet c’est grâce à l’une de ses réflexions que Renton décide de partir a Londres. Cela apporte un autre sens au film, les relations entre les hommes et les femmes, l’importance de l’amour dans les choix d’une vie, alors que Renton rejette la vie et ses passages amoureux, il est lui-même pris d’amour et va jusqu’à changer de vie grâce a cela.
Enfin on peut dire que quand Renton tend l’argent a Tommy pour que celui-ci s’achète de la drogue il lui tend son addiction a la drogue, comme si finalement un échange de vie avait lieu, Tommy reçoit un paradis artificiel en échange de quoi il donne la vie et l’amour, ce qui le mènera d’ailleurs à la mort quand il essayera de retourner vers l’amour et que celui-ci lui tournera le dos.
Rédaction de l’exposé
Trainspotting expose de façon malsaine l’existence de personnes qui on choisit une autre solution que la vie, la drogue. Ils vont se constituer un paradis artificiel leur permettant de vivre à part, de se cacher et de se protéger face aux aléas de la vie comme l’échec, l’amour ou l’amitié. Les passage présentés nous permettent de réfléchir sur les thèmes de l’amitié et de l’amour, plus généralement le rapport à autrui. On peut définir l’amitié comme l’attachement profond et désintéressé qui unit deux personnes, en dehors des liens familiaux ou amoureux. L’amour, lui est l’attachement privilégié que l’on peut avoir avec une personne et entraîne avec lui des gestes parfois dénués de raison, l’amour remplace la raison quand il est suffisamment fort.
Nous pouvons nous demander alors grâce à ce film : qu’est-ce que l’amitié, quelles en sont les formes ? Jusqu’à quel point l’amour peut-il s’immiscer dans nos vies ? En résumé, la vie ne serait-elle pas plus épanouissante sans autrui ?
Nous verrons tout d’abord que la scène 1 dévoile une forme inattendue de l’amitié, nous en extrairons alors sa signification avant de nous intéresser aux bouleversements qu’a apporté l’amour dans la vie de Tommy et de Renton avant de nous interroger sur le sens et les apports d’une vie sans autrui.
L’amitié dans cette scène prend une forme compliquée. En effet on peut voir ici que les deux amis entretiennent une relation presque cruelle car Renton décharge en quelque sorte toute la misère qu’il a accumulée à cause de la drogue sur Tommy. Cette scène est très symbolique. Je pense que l’amitié comme elle est vécue dans cette scène est une amitié qui repose presque sur le sentiment de la rivalité. En effet lorsque Renton tend l’argent a tommy le regard qu’ils s’échangent en dit long. On peut en déduire que l’amitié entre ces deux personnage n’est qu’une compétition ou chacun doit être supérieur à l’autre. L’amitié est alors un moyen de se grandir par le biais d’une personne qui ne nous servirait que de flatteur, nos amis ne seraient alors ni plus ni moins qu’un miroir déformant que nous aimerions regarder, pour y voir à quel point nous sommes supérieurs.
Cet aspect de l’amitié entraîne avec lui une facette plus perverse de l’amitié, c’est le mensonge, en effet pour qu’un amis nous flatte il faut le flatter et c’est à ce moment que se dévoile ce que l’on peut appeler l’hypocrisie tolérée. Alors qu’il est de coutume que l’hypocrisie et l’amitié ne vont pas de pair, elle est inévitablement nécessaire pour qu’une amitié soit solide. Cela veut dire que intérieurement on sait que nos amis sont hypocrites avec nous, mais cette hypocrisie est positive, elle permet à chacun de se coucher dans un lit de compliments et en quelque sorte d’avancer la tête haute. Ce phénomène se remarque d’autant plus chez les personnes qui n’ont pas d’amis, on voit très clairement dans leur comportement qu’elles ne se considèrent pas comme des hommes bien et cela est normal car quand une personne n’a pas ce fameux miroir flatteur, elle ne peut voir que ce qu’elle est, c’est-à-dire un homme tout simplement normal. Friedrich NIETZSCHE dit à ce dans son texte De L’ami : « Notre foi en autrui trahit ce que nous voudrions pouvoir croire de nous-mêmes. » Cela signifie bien que l’amitié déforme l’image que nous nous faisons sur nous-même.
Dans une autre scène du film, celle qui se passe juste après le deal, dans l’hôtel a Londres, on remarque qu’une forme plus positive de l’amitié existe. L’amitié permet de développer en nous le sentiment de joie, Alain dit à ce sujet que « Il suffit que ma présence procure à mon ami un peu de vraie joie pour que le spectacle de cette joie me fasse éprouver à mon tour une joie ». Cela veut dire qu’il y aurait un cercle vertueux de la joie au sein de l’amitié, hors la joie est indispensable pour échapper à toute forme de lassitude car elle permet finalement de faire de notre vie autre chose qu’une ligne droite continue. Alain appuie cette théorie en expliquant la joie que peut ressentir une personne qui ne connait pas l’amitié ; « Mais il faut dire aussi que l’homme content, s’il est seul, oublie bientôt qu’il est content ; toute sa joie est bientôt endormie » - autrement dit un homme seul finalement comme un volcan endormi, et dont la pression, ici l’amitié, en son ventre serait capable seulement de faire couler quelque mètres de lave de temps à autres.
Mais l’amitié permet autre chose, elle permet la communication, chose des plus importante a la vie, elle permet de se faire confronter nos idées, ce qui peut apporter une remise en question de nos idéaux et de nos principes et ainsi de nous faire évoluer et même de nous rendre meilleurs, plus sereins même et donc d’avancer plus heureux dans la vie. Sur ces points les amis sont donc fondamentaux, ils sont ici de solides bases nous permettant de construire nos idées et notre vue sur toute chose par le biais d’une conversation. *
Le rapport à autrui par le biais de l’amitié est donc bien difficile à définir. L’amitié est une nécessité pour ceux qui vivent seuls et un danger pour ceux qui vivent en société, car pour l’homme qui vit seul elle lui permet de maintenir son bonheur et d’être heureux. Kant dit à ce sujet que l’amitié est un devoir pour permettre à la société d’être heureuse, mais cela n’est pas totalement vrai, l’homme en société peut perdre son image réelle et se prendre pour la personne que lui décrivent ses amis à son sujet, un peu comme si dans le film Matrix des frères Walschoski, la matrice représentait l’amie de Néo alors que celle-ci lui fournit une fausse image de lui tout en sachant que l’image que cette matrice renvoie est celle qu’il s’imagine, nous avons alors ici une mise en abîme.
Mais l’amitié peut aussi, par le même procédé par lequel elle nous grandit en faisant se confronter nos principes, nous faire reculer. Cela peut se produire lorsque l’on change ses principes à cause d’un aveuglement du à la confiance que l’on peut porter à un ami. Cela peut alors aller à l’encontre de ce que l’on est et même nous exclure de la société si ces idéaux sont marginaux (les sectes par exemple), on peut alors imaginer que dans Trainspotting Renton a laissé les principes de ses amis, en ce qui concerne la drogue, changer ce qu’il était et même envisager que ce qu’il devient à la fin est ce qu’il était, un citoyen modèle, à ce moment il a quitté ses amis et vit donc sans autrui.
Nous avons vu que l’amitié influe fortement sur notre vie, nous allons maintenant voir la place de l’amour dans nos choix et l’influence qu’il a sur nos vies.
Dans Trainspoting ont peut voir toute l’étendue que l’amour à sur nos vies. En effet Renton n’aurait jamais pu partir à Londres si il n’avait pas rencontré l’amour. C’est cette rencontre qui va le poussé à réfléchir sur sa vie et à réaliser que le monde change contrairement à lui. Sartre dis de l’amant qu’ «Il veut être aimé par une liberté et réclame que cette liberté comme liberté ne soit plus libre. » Cela veut dire que l’amour est une sorte de liberté à laquelle on s’enchaîne pour ne pas que cette liberté s’en aille. Une fois encore Renton prouve cela en partant à Londres ou finalement il retrouve la liberté, loin des chaînes de la drogue. Cette liberté il l’a trouvé en suivant la lumière de l’amour. L’amour est une porte à la liberté. L’amour présente un autre avantage non négligeable : la personne que nous aimons, si l’amour qu’elle nous porte est sans failles, est capable de nous soutenir dans les moments les plus méandreux de notre vie, de nous raisonner. Ce qui différencie l’amour de l’amitié et que dans l’amour on se retrouve en l’être aimé, on partage avec elle des principes et des valeurs plus ou moins communes ce qui nous permet, lorsque que l’on se sent perdu face à une situation de nous rappeler qui nous sommes et d’orienté nos choix sans que pour autant ceux-ci ne soient pas les résultats de nos convictions et de ce que l’on est. L’amour nous permet donc de ne pas perdre notre personnalité, il nous permet de ne pas modifié notre conscience. L’amour nous permet également dans une certaine mesure de ne pas dépasser les limites de notre société, de rester sur le droit chemin de celle-ci. Par exemple quand Renton se rend compte qu’il a commis un détournement de mineur avec Diane, on peut voir qu’il éprouve un regret. Ce sentiment de regret peut alors lui permettre grâce à une revue de ses actes et de son caractère de vouloir arrêter de dépasser les limites. Si l’on d’éloigne du film on peut prendre l’exemple d’un mari en prison qui en voyant le regard accusateur et triste de la femme qu’il aime vraiment derrière une vitre de plecsiglace fait une revue de ses actes et décides après avoir regretté ces derniers de retourner sur le droit chemin de la société pour sauver son amour et donc, comme nous l’avons vu précédemment, sa liberté.
L’amour peut aussi être la source de notre destruction, autant physique que morale. Tommy en est l’exemple du film. Alors qu’il essaye tout pour regagner le cœur de Lizzie, celle-ci le rejette. Tommy s’engouffre alors dans la drogue et perd par ce fait sa liberté. En effet, l’amour peut tout aussi bien donner la liberté que la détruire, cela ce prouve a tous les niveaux de l’échelle sociale, partout sur la Terre et son exemple le plus populaire reste celui du crime passionnel. En effet un homme est capable de tuer l’être qu’il aimé le plus si celle-ci devient trop libre. Alors cet homme peut se détruire physiquement et moralement. Physiquement car la société va devoir l’empêcher de recommencer en le privant de sa liberté de mouvement et en l’enfermant le plus longtemps possible. Moralement car un homme qui a tuer son amour, qui a tué ce qui représenté pour lui la liberté, est définitivement brisé. L’amour à également pour défaut de se substituer à notre raison, c’est d’ailleurs pour cela que Tommy tombe dans la drogue, l’amour a presque totalement obscurcis sa raison, et quand l’amour est partis il ne resté rien pour le maintenir hors de portée de ce qu’il a pourtant toujours rejeté. Ce sentiment nous affaiblis donc alors qu’il nous donne l’impression d’être plus fort, il nous affaiblie car il met un voile entre nous et la réalité, finalement on peut dire que l’amour était la drogue de Tommy et que quand se dernier n’en as plus eu il a dû se trouver un substitue cette fois plus concret. Il est un peu comme Renton lorsque celui-ci décide d’arrêter l’héroïne et, n’ayant pas trouvé de « dernier fixe », il remplace celle-ci par de l’opium. Le plus étrange dans cet amour entre Lizzie et Tommy est que Tommy accepte la souffrance, c’est-à-dire qu’il préféré souffrir , tomber dans la drogue qui était contraire à ses principes (d’ailleurs comme dis précédemment, la personne qu’il aimé lui rappelle ce qu’il était et donc lui a permis d’évité l’héroïne) plutôt que de se battre pour récupérer son amour, voilà en quoi l’amour nous rend faible avant de nous détruire (ceci est symbolisé dans le film par la mort douloureuse de Tommy).
L’amour n’existe cependant pas que sous la forme unique d’une relation amoureuse. L’amour existe aussi au sein de la famille par exemple. Renton entretient un lien particulier avec ses parents. En effet l’amour que portent les parents de Renton à son égard semble être de la méchanceté. Dans la scène ou ils décident d’aider leur fils a arrêter la drogue en l’enferment dans sa chambre fait ressortir un sentiment d’amour familial singulier. Ils prouvent l’amour qu’ils portent à leur fils en le faisant souffrir, cela voudrait dire que pour savoir aimer il faut savoir faire mal ? Oui, c’est une évidence, cela est plus flagrant dans une relation d’amour entre enfant et parents. Le but premier des parents est de faire de leur enfants des adultes responsables, c’est pour cela qu’il y a un système de règles contraignantes au sein de cette relation, par exemple lorsque l’on interdit à son enfant de traverser une rue sans avoir regardé, on est plus cruel que l’on ne le pense car on le prive en quelque sorte de sa liberté, mais cela est nécessaire pour le protéger, et la protection que l’on porte a quelqu’un ou a quelque chose est la preuve que l’on éprouve un sentiment d’amour fort. Néanmoins même si cette amour nous fait souffrir, il nous permet de nous fortifier, de nous rendre meilleur, c’est ce que montre le film en nous démontrant que c’est grâce à cette amour que Renton a réussis a décroché de la drogue. Il faut par ailleurs un amour immense pour être capable de faire souffrir la personne que l’on veut aider, cela peut même aller jusqu’à casser ce lien qui réunit deux personnes. On peut voire alors que l’amour est une souffrance nécessaire, que sans souffrance on ne peut réellement aimer, car cela signifierait alors qu’on serait incapable de raisonné la personne que l’on aime ou encore de l’encourager.
Nous avons vu que l’amour nous permettait d’avancer comme il pouvait nous détruire facilement. Voyons maintenant ce que pourrait être une vie sans autrui
Une vie sans autrui signifie une vie sans contrainte vis-à-vis de la société, c’est-à-dire une liberté immense, on pourrait faire ce que l’on veut sans que personne puisse nous faire quelques remarques que ce soit. Sartre dis « l’enfer c’est les autres ». Dans ce sens il a raison, car le plus grand nombres de nos ennuie viens des autres, si la notion d’autrui n’existerait pas, alors il y aurait plus de liberté pour les hommes. Tout d’abord car les société nous impose leur règle c’est-à-dire leur mœurs, leur lois, leur traditions et coutume auxquelles nous n’avons pas forcément envie de participé ou même d’en entendre parler, par exemple au Texas beaucoup sont ceux qui lutte contre une lois qui va contre leurs idéologies : la peine de mort. Il est difficile de vivre dans un milieu qui ne correspond pas a nos principe. Trainspotting prouve cela par le biais de Renton qui renie son Irlande natale alors que son amis Tommy l’emmène dans voir les paysages de son pays. Cela signifierait alors que la société dans laquelle nous vivons, n’est pas représentative de ce que nous sommes mais de ce que nous devrions être pour y être pleinement épanouie. D’ailleurs cela peut se prouver, dans une petite société (à une échelle locale) comme dans un village, on peut voir que le morale des gens, leur bonheur ou leur épanouissement et plus important que les habitant de très grande ville ou il y règne compétition, objectif financier, et intégration sociale. Vivre avec autrui serait alors une vie embryonnaire puisque démunit de développement.
Cependant, vivre sans autrui serait comparable à un jour sans fin. En effet, celui qui serait décidé à vivre seul, serait condamné à ne connaître aucune évolution. Il resterait le même durant toute sa vie, aurait les mêmes idées, les même principes et habitudes a n’importe quel moment de son existence. C’est d’ailleurs grâce aux autres que Renton à pus évoluer, par l’amour tout d’abord (Diane) puis grâce au travail. Le travail apporte un contact avec autrui obligatoire (client, patron, employés..) et l’on remarque bien qu’il aime ça que cela l’aide à se transformer, c’est grâce au travail qu’il commence à apprécier la vie de ce qu’il appelle « le citoyen model ». La vie sans autrui paraît impossible. Nous tomberions dans une folie, c’est une fatalité. Nous nous parlerions à nous même, nous verrions le monde qui nous entoure par nos seul pensées et donc nous aurions probablement une vision décalé du monde, nous ne pourrions pas progresser. Dans le film je suis une légende, de Francis Lawrence, le personnage principale est pris de folie, il commence à parler a un mannequin, se persuadant qu’il s’agit ici d’une vraie personne, le personnage cherche alors ici du répondant, il cherche un avis, des idées, un contact et des traits de caractères humains comme l’humour. Egel disait « l’homme n’est humain que dans la mesure où il veut s’imposer à un autre homme, se faire reconnaître par lui ». Cela veut dire que l’on a le besoin d’être « reconnu » par les autres pour se sentir vivant, pour savoir que l’on existe réellement.
Mais sans autrui nous pourrions nous concentrer sur nous même, nous interroger sur notre vie et son sens. Voilà pourquoi nous aimons parfois être seul, cela permet de nous retrouver et de faire le point. En effet la solitude n’est pas un trou noir, elle nous permet en un sens d’évoluer, car finalement la solitude est le temps que nous avons pour philosopher. Mais est-ce bien utile de se recentrer sur sois alors que finalement les autres sont les balises de notre personnalité ? Et bien il faut dire que non, cela reviendrait à se regarder dans un miroir et à juger de sa beauté que par celui-ci, alors que cela est impossible, on ne peut pas se considérer comme beau ou comme repoussant rien que en se regardant dans un miroir et en ayant aucun avis extérieur. De plus, il est inutile de réfléchir sur le sens d’une vie qui n’a comme objectif d’être le « meilleur » homme possible, en s’interrogeant constamment sur lui-même, ne se préoccupant que de son esprit, car cela serait finalement la seule activité encore constructive, mais aussi destructrice à cause de la folie comme nous l’avons vue. Réfléchir est alors un danger quand on est seul pour un long moment, il vaut alors mieux retrouver un instinct animal. En effet, certain animaux, différemment à l’homme vive seul, et c’est justement parce que les animaux ne pensent pas qu’ils arrivent à une telle prouesse. Mais si l’on enlevé de sa tribu un loup, il deviendrait triste sinon fou tout comme l’être humain. Ce n’est donc pas plus une question de « penser seul » que d’être coupé de tout lien, de près ou de loin, affectif. Vivre avec autrui, semble alors dans ces conditions indispensable.
Finalement nous pouvons dire avec certitude qu’une vie sans autrui est une vie déjà terminée avant même qu’elle ne soit commencé, car sans autrui nous ne pouvons pas évolué, sans amour nous ne trouvons pas la liberté et sans amitié nous ne pouvons pas connaître la joie. Sans autrui, sans l’amour, sans l’amitié nous ne sommes rien, nous sommes comme un corps dans lequel le sang se serait figé.
Nous pourrions nous demander alors si nous sommes vraiment libres, ne sommes-nous pas enchaînés à autrui volontairement dans une optique d’évolution ?
Textes en annexe
Il y a de merveilleuses joies dans l’amitié. On le comprend sans peine si l’on remarque que la joie est contagieuse. Il suffit que ma présence procure à mon ami un peu de vraie joie pour que le spectacle de cette joie me fasse éprouver à mon tour une joie ; ainsi la joie que chacun donne lui est rendue ; en même temps des trésors de joie sont mis en liberté, et tous deux se disent : « J’avais en moi du bonheur dont je ne faisais rien. »
La source de la joie est au-dedans, j’en conviens ; et rien n’est plus attristant que de voir des gens mécontents d’eux et de tout, qui se chatouillent les uns aux autres pour se faire rire. Mais il faut dire aussi que l’homme content, s’il est seul, oublie bientôt qu’il est content ; toute sa joie est bientôt endormie ; il en arrive à une espèce de stupidité et presque d’insensibilité. Le sentiment intérieur a besoin de mouvements extérieurs. Si quelque tyran m’emprisonnait pour m’apprendre à respecter les puissances, j’aurais comme règle de santé de rire tout seul tous les jours ; je donnerais de l’exercice à ma joie comme j’en donnerais à mes jambes.
Voici un paquet de branches sèches. Elles sont inertes en apparence comme la terre ; si vous les laissez là, elles deviendront terre. Pourtant elles enferment une ardeur cachée qu’elles ont prise au soleil. Approchez d’elles la plus petite flamme, et bientôt vous aurez un brasier crépitant. Il fallait seulement secouer la porte et réveiller le prisonnier.
C’est ainsi qu’il faut une espèce de mise en train pour éveiller la joie. Lorsque le petit enfant rit pour la première fois, son rire n’exprime rien du tout ; il ne rit pas parce qu’il est heureux ; je dirais plutôt qu’il est heureux parce qu’il rit ; il a du plaisir à rire, comme il en a à manger ; mais il faut d’abord qu’il mange. Cela n’est pas vrai seulement pour le rire ; on a besoin aussi de paroles pour savoir ce que l’on pense. Tant qu’on est seul on ne peut être soi. Les nigauds de moralistes disent qu’aimer c’est s’oublier ; vue trop simple ; plus on sort de soi-même et plus on est soi-même ; mieux aussi on se sent vivre. Ne laisse pas pourrir ton bois dans ta cave.
ALAIN, Propos sur le bonheur, (LXXVII). 27 décembre 1907.
Texte numérisé par Colette Lallement.
Dans le jeune homme, deux instincts se combattent comme chez les oiseaux : celui de vivre en bande et celui de s'isoler avec une oiselle, Mais le goût de la camaraderie est longtemps le plus fort. Si tout notre malheur vient, comme le veut Pascal, de ne pouvoir demeurer seul dans une chambre, il faut plaindre les jeunes gens : c'est justement la seule épreuve qui leur paraisse insupportable; ainsi les voyez-vous s'attendre, s'appeler, s'abattre sur les bancs du Luxembourg comme des pierrots, s'entasser dans les brasseries ou dans les bars. Ils n'ont pas encore de vie individuelle; ce sont eux qui ont dû inventer l'expression se sentir les coudes. La vie collective en eux circule par les coudes. Même pour préparer un concours, ils aiment être plusieurs; et si ce n'était que pour préparer un concours !
Leur noctambulisme vient de cette répugnance à se retrouver seul entre quatre murs. Aussi s'accompagnent-ils indéfiniment les uns les autres, et reviennent-ils sur leurs pas jusqu'à ce que l'excès de fatigue les oblige à dormir enfin. Comme la vie des moineaux en pépiements, celle des jeunes hommes se passe en conversations.
Les promiscuités de la caserne, c'est cela au fond qui la rend supportable à la jeunesse. La camaraderie mène à l'amitié : deux garçons découvrent entre eux une ressemblance : « Moi aussi... C'est comme moi... » tels sont les mots qui d'abord les lient. Le coup de foudre est de règle en amitié. Voilà leur semblable enfin, avec qui s'entendre à demi-mot. Sensibilités accordées ! Les mêmes choses les blessent et les mêmes les enchantent. Mais c'est aussi par leurs différences qu' ils s'accordent : chacun admire dans son ami la vertu dont il souffrait d'être privé.
Peut-être ont-ils aimé déjà; mais que l'amitié les change de l'amour ! Peut-être l'amour n'a-t-il rien pu contre leur solitude. Une fois assouvie la faim qu'ils avaient eue d'un corps, ils étaient demeurés seuls en face d'un être mystérieux, indéchiffrable, d'un autre sexe - c'est-à-dire d'une autre planète. Aucun échange possible avec la femme, trop souvent, que le plai-sir; hors cet accord délicieux (et qu'il est vrai qu'à cet âge on renouvelle sans lassitude), l'amour leur avait peut-être été, sans qu'ils se le fussent avoué, un dépaysement. Car il arrive que la complice la plus chère ne parle pas notre langue et mette l'infini là où nous ne voyons que bagatelles. En revanche, rien de ce qui compte pour nous ne lui importe, et notre logique lui demeure incompréhensible. Une maîtresse est quelquefois un adversaire hors de notre portée, incontrôlable. C'est pourquoi amour se confond avec jalousie : qu'il est redoutable, l'être dont toutes les démarches nous surprennent et sont pour nous imprévisibles ! De cette angoisse, Proust a composé son oeuvre.
Dans l'amitié véritable, tout est clair, tout est paisible; les paroles ont un même sens pour les deux amis.
La chair et le sang ne font point ici leurs ravages. Chacun sait ce que signifie respect de la parole donnée, discrétion, honneur, pudeur. Le plus intelligent rend ses idées familières au plus sensible; et le plus sensible lui ouvre l'univers de ses songes. Le bilan d'une amitié, c'est presque toujours des livres que nous n'eussions pas été capables d'aimer seuls, une musique inconnue de nous, une philosophie. Chacun apporte à l'autre ses richesses. Faites cette expérience : évoquez les visages de votre jeunesse, interrogez chaque amitié : aucune qui ne représente une acquisition. Celui-là m'a prêté Les Frères Karamazoff, cet autre a déchiffré pour moi la Sonatine de Ravel; avec celui-ci, je fus à une exposition de Cézanne, et mes yeux s'ouvrirent comme ceux de l'aveugle-né.
Mais les jeunes hommes sont redevables les uns aux autres d'acquisitions plus précieuses : le souci de servir une cause qui nous dépasse, que cela est particulier à la jeunesse dès qu'elle se groupe ! Tous les mouvements sociaux, politiques, religieux, ont marqué notre époque dans la mesure où ils ont été des amitiés. Dès qu'ils ne sont plus des amitiés, c'est le signe que la jeunesse s'en retire; alors ils deviennent despartis : une association d'intérêts; l'homme mûr y remplace le jeune homme.
Nos jeunes amours ne nous ont-elles aussi enrichis et instruits ? Nos maîtresses ne furent-elles nos meilleurs maîtres ? Il est vrai. N'empêche que l'héritage de nos amours est plus trouble que celui de nosJe perçois autrui comme comportement ; par exemple je perçois le deuil ou la colère d'autrui dans sa conduite, sur son visage et sur ses mains, sans aucun emprunt à une expérience " interne " de la souffrance ou de la colère et parce que deuil et colère sont des variations de l'être au monde, indivises entre le corps et la conscience, et qui se posent aussi bien sur la conduite d'autrui, visible dans son corps phénoménal, que sur ma propre conduite telle qu'elle s'offre à moi. Mais enfin le comportement d'autrui et même les paroles d'autrui ne sont pas autrui. Le deuil d'autrui et sa colère n'ont jamais exactement le même sens pour lui et pour moi. Pour lui, ce sont des situations vécues, pour moi ce sont des situations apprésentées. Ou si je peux, par un mouvement d'amitié, participer à ce deuil et à cette colère, ils restent le deuil et la colère de mon ami Paul : Paul souffre parce qu'il a perdu sa femme ou il est en colère parce qu'on lui a volé sa montre, je souffre parce que Paul a de la peine, je suis en colère parce qu'il est en colère, les situations ne sont pas superposables. Et si enfin nous faisons quelque projet en commun, ce projet commun n'est pas un seul projet, et il ne s'offre pas sous les mêmes aspects pour moi et pour Paul, nous n'y tenons pas autant l'un que l'autre, ni en tout cas de la même façon, du seul fait que Paul est Paul et que je suis moi. Nos consciences ont beau, à travers nos situations propres, construire une situation commune dans laquelle elles communiquent, c'est du fond de sa subjectivité que chacun projette ce monde " unique ". [...]
Autrui ou moi, il faut choisir, dit-on. Mais on choisit l'un contre l'autre, et ainsi on affirme le conflit. Autrui me transforme en objet et me nie, je transforme autrui en objet et le nie, dit-on. En réalité le regard d'autrui ne me transforme en objet, et mon regard ne le transforme en objet, que si l'un et l'autre nous nous retirons dans le fond de notre nature pensante, si nous nous faisons l'un et l'autre regard inhumain, si chacun sent ses actions, non pas reprises et comprises, mais observées comme celles d'un insecte. C'est par exemple ce qui arrive quand je subis le regard d'un inconnu. Mais, même alors, l'objectivation de chacun par le regard de l'autre n'est ressentie comme pénible que parce qu'elle prend la place d'une communication possible. Le regard d'un chien sur moi ne me gêne guère. Le refus de communiquer est encore un mode de communication. La liberté protéiforme, la nature pensante, le fond inaliénable, l'existence non qualifiée, qui en moi et en autrui marque les limites de toute sympathie, suspend bien la communication, mais ne l'anéantit pas. Si j'ai affaire à un inconnu qui n'a pas encore dit un seul mot, je peux croire qu'il vit dans un autre monde où mes actions et mes pensées ne sont pas dignes de figurer. Mais qu'il dise un mot, ou seulement qu'il ait un geste d'impatience, et déjà il cesse de me transcender : c'est donc là sa voix, ce sont là ses pensées, voilà donc le domaine que je croyais inaccessible. Chaque existence ne transcende définitivement les autres que quand elle reste oisive et assise sur sa différence naturelle. Même la méditation universelle qui retranche le philosophe de sa nation, de ses amitiés, de ses partis pris, de son être empirique, en un mot du monde, et qui semble le laisser absolument seul, est en réalité acte, parole, et par conséquent dialogue. Le solipsisme ne serait rigoureusement vrai que de quelqu'un qui réussirait à constater tacitement son existence sans être rien et sans rien faire, ce qui est bien impossible, puisque exister c'est être au monde. Dans sa retraite réflexive, le philosophe ne peut manquer d'entraîner les autres, parce que, dans l'obscurité du monde, il a appris pour toujours à les traiter comme consorts et que toute sa science est bâtie sur cette donnée de l'opinion. La subjectivité transcendantale est une subjectivité révélée, savoir à elle-même et à autrui, et à ce titre elle est une intersubjectivité.
Maurice MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception (1945). Amitiés
Je perçois autrui comme comportement ; par exemple je perçois le deuil ou la colère d'autrui dans sa conduite, sur son visage et sur ses mains, sans aucun emprunt à une expérience " interne " de la souffrance ou de la colère et parce que deuil et colère sont des variations de l'être au monde, indivises entre le corps et la conscience, et qui se posent aussi bien sur la conduite d'autrui, visible dans son corps phénoménal, que sur ma propre conduite telle qu'elle s'offre à moi. Mais enfin le comportement d'autrui et même les paroles d'autrui ne sont pas autrui. Le deuil d'autrui et sa colère n'ont jamais exactement le même sens pour lui et pour moi. Pour lui, ce sont des situations vécues, pour moi ce sont des situations apprésentées. Ou si je peux, par un mouvement d'amitié, participer à ce deuil et à cette colère, ils restent le deuil et la colère de mon ami Paul : Paul souffre parce qu'il a perdu sa femme ou il est en colère parce qu'on lui a volé sa montre, je souffre parce que Paul a de la peine, je suis en colère parce qu'il est en colère, les situations ne sont pas superposables. Et si enfin nous faisons quelque projet en commun, ce projet commun n'est pas un seul projet, et il ne s'offre pas sous les mêmes aspects pour moi et pour Paul, nous n'y tenons pas autant l'un que l'autre, ni en tout cas de la même façon, du seul fait que Paul est Paul et que je suis moi. Nos consciences ont beau, à travers nos situations propres, construire une situation commune dans laquelle elles communiquent, c'est du fond de sa subjectivité que chacun projette ce monde " unique ". [...]
Autrui ou moi, il faut choisir, dit-on. Mais on choisit l'un contre l'autre, et ainsi on affirme le conflit. Autrui me transforme en objet et me nie, je transforme autrui en objet et le nie, dit-on. En réalité le regard d'autrui ne me transforme en objet, et mon regard ne le transforme en objet, que si l'un et l'autre nous nous retirons dans le fond de notre nature pensante, si nous nous faisons l'un et l'autre regard inhumain, si chacun sent ses actions, non pas reprises et comprises, mais observées comme celles d'un insecte. C'est par exemple ce qui arrive quand je subis le regard d'un inconnu. Mais, même alors, l'objectivation de chacun par le regard de l'autre n'est ressentie comme pénible que parce qu'elle prend la place d'une communication possible. Le regard d'un chien sur moi ne me gêne guère. Le refus de communiquer est encore un mode de communication. La liberté protéiforme, la nature pensante, le fond inaliénable, l'existence non qualifiée, qui en moi et en autrui marque les limites de toute sympathie, suspend bien la communication, mais ne l'anéantit pas. Si j'ai affaire à un inconnu qui n'a pas encore dit un seul mot, je peux croire qu'il vit dans un autre monde où mes actions et mes pensées ne sont pas dignes de figurer. Mais qu'il dise un mot, ou seulement qu'il ait un geste d'impatience, et déjà il cesse de me transcender : c'est donc là sa voix, ce sont là ses pensées, voilà donc le domaine que je croyais inaccessible. Chaque existence ne transcende définitivement les autres que quand elle reste oisive et assise sur sa différence naturelle. Même la méditation universelle qui retranche le philosophe de sa nation, de ses amitiés, de ses partis pris, de son être empirique, en un mot du monde, et qui semble le laisser absolument seul, est en réalité acte, parole, et par conséquent dialogue. Le solipsisme ne serait rigoureusement vrai que de quelqu'un qui réussirait à constater tacitement son existence sans être rien et sans rien faire, ce qui est bien impossible, puisque exister c'est être au monde. Dans sa retraite réflexive, le philosophe ne peut manquer d'entraîner les autres, parce que, dans l'obscurité du monde, il a appris pour toujours à les traiter comme consorts et que toute sa science est bâtie sur cette donnée de l'opinion. La subjectivité transcendantale est une subjectivité révélée, savoir à elle-même et à autrui, et à ce titre elle est une intersubjectivité.
Maurice MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception (1945).
Le sentiment de communauté qui est au cœur de l'amitié se retrouve également dans le lien familial. Pour un Grec, il y a dans l'amitié civique quelque chose d'assez semblable à la famille. Les membres d'une même famille se disputent, se font les pires coups, mais ils sont unis en même temps par une sorte de solidarité fondamentale. J'ai souvent dit que, dans la Résistance aussi, il y avait quelque chose de ce type. Quand je rencontre quelqu'un que je ne connais pas et dont je sais qu'il a été un résistant actif, même si c'est un adversaire politique, j'éprouve un sentiment d'appartenance analogue à celui que je peux avoir en retrouvant un arrière-cousin : « Il est des nôtres...». Dans une famille, les histoires qui circulent, les traditions qu'on a entendu raconter, les souvenirs d'enfance forment une espèce d'horizon commun que l'on partage. Quand quelqu’un s’y inscrit, cela ne signifie pas que ce soit un ami ou un copain, ni qu'on ait envie de se précipiter dans ses bras, mais on l'embrasse quand même sur les deux joues, ce qui est une façon de le reconnaître comme proche. Les racines communes, les liens familiaux viennent tout d'un coup renforcer votre identité et on se reconstruit soi-même en retrouvant des membres de la famille à laquelle on appartient. Les sentiments qu'on éprouve à l'égard de soi et à l'égard des autres sont liés à ce qu'on a ressenti autrefois. C'est, au fond, le problème du temps : on n'est plus le même, les choses se défont, et on refait son tissu personnel avec la présence de ceux qu'on n'a pas vus depuis longtemps, quand on peut évoquer avec eux toute une série de souvenirs auxquels on ne pense jamais. Le passé revient, et revient partagé. Si on y pense tout seul, on ne sait même pas s'il est vrai, mais, à partir du moment où il est intégré au folklore familial, il devient une partie de votre histoire.
D'un autre côté, la solidarité familiale évoque aussi l'idée de clan, et le clan suppose l’exclusion, le secret; les parties rapportées ne sont pas dans le coup. Dans l'amitié, c'est autre chose, puisqu'il ne s'agit pas d'un rapport généalogique, mais d'un choix. Certes, il y a toujours dans le choix un élément qui ne dépend pas de soi, mais des hasards de la vie ou de pressions de toutes sortes; malgré tout, on a quand même le sentiment de choisir ses amis. Les parents, au contraire, on ne les a pas choisis, on les a reçus. Il est vrai que les amis peuvent constituer une espèce de famille et qu'on peut faire avec eux ce qu'on ne ferait pas avec d'autres, y compris, parfois, des choses qu'on n'approuve pas. Mais l'amitié implique toujours des affinités relatives aux choses essentielles. [...]
L'amitié a aussi ceci de particulier qu'elle nous change. Pour revenir à la Résistance, c'est une expérience qui a changé ceux qui l’ont vécue. Avant-guerre, j'avais mes groupes d’amis qui pensaient comme moi. Pendant la guerre, je me suis trouvé proche de gens qui étaient des militants catholiques, ou même qui avaient été membres de l’Action française. Le fait d'avoir pris ensemble, avec passion, des risques très grands m'a conduit à ne plus les voir de la même façon, et moi, je ne suis plus exactement le même depuis. Je n'ai plus porté le même regard sur les chrétiens ni même sur les nationalistes, à certains égards, dès lors qu'ils sont devenus presque automatiquement mes amis, c'est-à-dire mes proches de par notre engagement commun dans des choses d'une importance affective considérable. De même, ceux qui étaient communistes et qui ont participé activement à la Résistance à côté de non-communistes ont été profondément modifiés dans leur façon d'être communistes; ils ont, à mes yeux, cessé de croire qu'il s'agissait soit de conquérir les autres, soit de les éliminer. Ils ont été amenés à penser qu'il devait exister un moyen de s'entendre avec les autres pour créer quelque chose ensemble. Et l'amitié, c'est aussi cela : s'accorder avec quelqu'un qui est différent de soi pour construire quelque chose de commun. C'est la raison pour laquelle la plupart des communistes qui ont été dans la Résistance, spécialement dans la Résistance non communiste, se sont trouvés exclus assez rapidement dans les années qui ont suivi : ils ne pouvaient plus voir les choses comme auparavant. Mais ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas changer, qu'il s'agisse d'individus ou de groupes politiques ou sociaux, ceux qui n'acceptent pas l'idée que le changement est une manière de constituer sa propre identité édifient autour d'eux des murs de Berlin.
Jean-Pierre VERNANT, Entre mythe et politique (1996).
« J’ai toujours auprès de moi une présence importune », pense le solitaire. « Toujours une fois un, cela finit par faire deux, à la longue.
Je et Moi sont engagés dans un dialogue trop véhément. Comment serait-il supportable, s’il n’y avait l’ami ? »
Pour le solitaire, l’ami est toujours un tiers ; le tiers est le flotteur qui empêche le dialogue des deux de sombrer aux abîmes.
Hélas ! il y a toujours trop d’abîmes pour tous les solitaires. C’est pourquoi ils ont une telle soif de l’ami et de son altitude.
Notre foi en autrui trahit ce que nous voudrions pouvoir croire de nous-mêmes. Le désir que nous avons d’un ami nous trahit.
Et souvent l’amour ne sert qu’à surmonter l’envie. Et souvent l’on n’attaque et l’on ne se fait un ennemi que pour cacher que l’on est vulnérable.
« Sois à tout le moins mon ennemi ! » —ainsi parle le véritable respect qui n’ose solliciter l’amitié.
Si l’on veut avoir un ami, il faut vouloir aussi se battre pour cet ami ; et pour se battre, il faut pouvoir être ennemi.
Il faut honorer dans son ami l’ennemi même. Peux-tu venir près de ton ami sans passer dans son camp ?
Il faut avoir en son ami son meilleur ennemi. C’est en lui résistant que tu seras le plus près de son cœur.
Tu ne veux porter aucun voile pour ton ami ? Tu penses faire honneur à ton ami en te montrant à lui tel que tu es ? Mais pour t’en remercier, il t’envoie au diable.
Celui qui ne dissimule rien de soi excite notre indignation ; voilà pourquoi il vous faut tant craindre la nudité. Si vous étiez des dieux, bien sûr, c’est de vos vêtements que vous auriez honte.
Tu ne saurais assez te parer pour ton ami ; car tu dois être pour lui la flèche du désir élancé vers le Surhumain.
As-tu déjà vu dormir ton ami, afin de le connaître tel qu’il est ? Quel est donc le visage coutumier de ton ami ? C’est ton propre visage, vu dans un miroir grossier et imparfait.
As-tu déjà vu dormir ton ami ? N’as- tu pas eu peur en le voyant tel qu’il est ? O mon ami, l’Homme est ce qui doit être dépassé.
Il faut que l’ami soit passé maître dans l’art de deviner et de se taire ; garde-toi de vouloir tout voir. Que ton rêve te révèle ce que fait ton ami qui veille.
Que ta pitié soit divinatrice ; sache d’abord si ton ami souhaite ta pitié. Peut-être aime-t-il en toi l’œil impassible et le regard de l’éternité.
Que ta pitié pour ton ami se dissimule sous une écorce rude ; casse-toi une dent sur cette pitié ; elle aura alors finesse et douceur.
Es-tu pour ton ami air pur et solitude, et pain et remède salutaire ? Plus d’un qui n’a pu libérer ses propres chaînes a su pourtant en libérer son ami.
Es-tu esclave ? Tu ne pourras être ami. Es-tu tyran ? Tu ne pourras avoir d’amis.
Trop longtemps il y a eu chez la femme un esclave et un tyran cachés. C’est pourquoi la femme n’est point encore capable d’amitié : elle ne connaît que l’amour.
Il y a de l’injustice dans l’amour de la femme, et de l’aveuglement à l’égard de tout ce qu’elle n’aime pas. Et même dans l’amour éclairé de la femme, il reste toujours, à côté de la lumière, la surprise, l’éclair et la nuit.
La femme n’est pas encore capable d’amitié ; des chattes, voilà ce que sont les femmes, ou des oiseaux ; ou, tout au plus, des vaches.
La femme n’est pas encore capable d’amitié. Mais dites-moi, hommes, qui d’entre vous est capable d’amitié ?
Hélas, quelle pauvreté est la vôtre ! Et combien grande la parcimonie de vos âmes ! Ce que vous donnez à votre ami, je suis prêt à l’offrir à mon ennemi, et je ne me sentirai pas appauvri d’autant.
La camaraderie existe : puisse l’amitié naître !
Friedrich NIETSZCHE, Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885), Les discours de Zarathoustra.
(Traduction révisée de Geneviève Bianquis,1996)
Texte numérisé par Colette Lallement.
L’homme de noble espèce, pendant sa jeunesse, croit que les relations essentielles et décisives, celles qui créent les liens essentiels entre les hommes, sont de nature idéale, c’est-à-dire fondées sur la conformité de caractère, de tournure d’esprit, de goût, d’intelligence, etc. ; mais il s’aperçoit plus tard que ce sont les réelles, c’est-à-dire celles qui reposent sur quelque intérêt matériel. Ce sont celles-ci qui forment la base de presque tous les rapports, et la majorité des hommes ignore totalement qu’il en existe d’autres. Par conséquent, chacun est choisi en raison de sa fonction, de sa profession, de sa nation ou de sa famille, donc somme toute suivant la position et le rôle attribués par la convention ; c’est d’après cela qu’on assortit les gens et qu’on les classe comme articles de fabrique. Par contre, ce qu’est un homme en soi et pour soi, comme homme, en vertu de ses qualités propres, n’est pris en considération que selon le bon plaisir, par exception ; chacun met ces choses de côté dès que cela lui convient mieux, donc la plupart du temps, et l’ignore sans plus de façon. Plus un homme a de valeur personnelle, moins ce classement pourra lui convenir ; aussi cherchera-t-il à s’y soustraire. Remarquons cependant que cette manière de procéder est basée sur ce que dans ce monde, où la misère et l’indigence règnent, les ressources qui servent à les écarter sont la chose essentielle et nécessairement prédominante.
De même que le papier-monnaie circule en place d’argent, de même, au lieu de l’estime et de l’amitié véritables, ce sont leurs démonstrations et leurs allures imitées le plus naturellement possible qui ont cours dans le monde. On pourrait, il est vrai, se demander s’il y a vraiment des gens qui méritent l’estime et l’amitié sincères. Quoi qu’il en soit, j’ai plus de confiance dans un brave chien, quand il remue la queue, que dans toutes ces démonstrations et ces façons.
La vraie, la sincère amitié présuppose que l’un prend une part énergique, purement objective et tout à fait désintéressée au bonheur de l’autre, et cette participation suppose à son tour une véritable identification de l’ami avec son ami. L’égoïsme de la nature humaine est tellement opposé à ce sentiment que l’amitié vraie fait partie de ces choses dont on ignore, comme du grand serpent de mer, si elles appartiennent à la fable ou si elles existent en quelque lieu. Cependant il se rencontre parfois entre les hommes certaines relations qui, bien que reposant essentiellement sur des motifs secrètement égoïstes et de natures différentes, sont additionnées néanmoins d’un grain de cette amitié véritable et sincère, ce qui suffit à leur donner un tel cachet de noblesse qu’elles peuvent, en ce monde des imperfections, porter avec quelque droit le nom d’amitié. Elles s’élèvent haut au-dessus des liaisons de tous les jours ; celles-ci sont à vrai dire de telle nature que nous n’adresserions plus la parole à la plupart de nos bonnes connaissances, si nous entendions comment elles parlent de nous en notre absence.
À côté des cas où l’on a besoin de secours sérieux et de sacrifices considérables, la meilleure occasion pour éprouver la sincérité d’un ami, c’est le moment où vous lui annoncez un malheur qui vient de vous frapper. Vous verrez alors se peindre sur ses traits une affliction vraie, profonde et sans mélange, ou au contraire, par son calme imperturbable, par un trait se dessinant fugitivement, il confirmera la maxime de La Rochefoucauld : « Dans l’adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas. » Ceux qu’on appelle habituellement des amis peuvent à peine, dans ces occasions, réprimer le petit frémissement, le léger sourire de la satisfaction. Il y a peu de choses qui mettent les gens aussi sûrement de bonne humeur que le récit de quelque calamité dont on a été récemment frappé, ou encore l'aveu sincère qu’on leur fait de quelque faiblesse personnelle. C’est vraiment caractéristique.
L’éloignement et la longue absence nuisent à toute amitié, quoiqu’on ne l’avoue pas volontiers. Les gens que nous ne voyons pas, seraient-ils nos plus chers amis, s’évaporent insensiblement avec la marche du temps jusqu’à l’état de notions abstraites, ce qui fait que notre intérêt pour eux devient de plus en plus une affaire de raison, pour ainsi dire de trahison; le sentiment vif et profond demeure réservé à ceux que nous avons sous les yeux, même quand ceux-là ne seraient que des animaux que nous aimons.
Arthur SCHOPENHAUER (traduction J.A. Cantuzène, 1943).
L'amitié (considérée dans sa perfection) est l'union de deux personnes liées par un amour et un respect égaux et réciproques. - On voit facilement qu'elle est l'Idéal de la sympathie et de la communication en ce qui concerne le bien de chacun de ceux qui sont unis par une volonté moralement bonne, et que si elle ne produit pas tout le bonheur de la vie, l'acceptation de cet Idéal et des deux sentiments qui le composent enveloppe la dignité d'être heureux, de telle sorte que rechercher l'amitié entre les hommes est un devoir. - Mais il est facile de voir que bien que tendre vers l'amitié comme vers un maximum de bonnes intentions des hommes les uns à l'égard des autres soit un devoir, sinon commun, du moins méritoire, une amitié parfaite est une simple Idée, quoique pratiquement nécessaire, qu'il est impossible de réaliser en quelque pratique que ce soit. En effet, comment est-il possible pour l'homme dans le rapport avec son prochain de s'assurer de l'égalité de chacun des deux éléments d'un même devoir (par exemple de l'élément constitué par la bienveillance réciproque) en l'un comme en l'autre, ou, ce qui est encore plus important, comment est-il possible de découvrir quel est dans la même personne le rapport d'un sentiment constitutif du devoir à l'autre (par exemple le rapport du sentiment procédant de la bienveillance à celui provenant du respect) et si, lorsqu'une personne témoigne trop d'ardeur dans l'amour, elle ne perd pas, ce faisant, quelque chose du respect de l'autre ? Comment s'attendre donc à ce que des deux côtés l'amour et le respect s'équilibrent exactement, ce qui est toutefois nécessaire à l'amitié ? - On peut, en effet, regarder l'amour comme la force d'attraction, et le respect comme celle de répulsion, de telle sorte que le principe du premier sentiment commande que l'on se rapproche, tandis que le second exige qu'on se maintienne l'un à l'égard de l'autre à une distance convenable.
Emmanuel KANT, Métaphysique des Mœurs (1797), "La Doctrine de la Vertu", traduction de A. Philonenko.
Le premier sentiment dont un jeune homme élevé soigneusement est susceptible n'est pas l'amour, c'est l'amitié. Le premier acte de son imagination naissante est de lui apprendre qu'il a des semblables, et l'espèce l'affecte avant le sexe. Voilà donc un autre avantage de l'innocence prolongée : c'est de profiter de la sensibilité naissante pour jeter dans le cœur du jeune adolescent les premières semences de l'humanité : avantage d'autant plus précieux que c'est le seul temps de la vie où les mêmes soins puissent avoir un vrai succès.
J'ai toujours vu que les jeunes gens corrompus de bonne heure, et livrés aux femmes et à la débauche, étaient inhumains et cruels; la fougue du tempérament les rendait impatients, vindicatifs, furieux; leur imagination, pleine d'un seul objet, se refusait à tout le reste; ils ne connaissaient ni pitié ni miséricorde; ils auraient sacrifié père, mère, et l'univers entier au moindre de leurs plaisirs. Au contraire, un jeune homme élevé dans une heureuse simplicité est porté par les premiers mouvements de la nature vers les passions tendres et affectueuses : son cœur compatissant s'émeut sur les peines de ses semblables; il tressaille d'aise quand il revoit son camarade, ses bras savent trouver des étreintes caressantes, ses yeux savent verser des larmes d'attendrissement; il est sensible à la honte de déplaire, au regret d'avoir offensé. Si l'ardeur d'un sang qui s'enflamme le rend vif, emporté, colère, on voit le moment d'après toute la bonté de son cœur dans l'effusion de son repentir; il pleure, il gémit sur la blessure qu'il a faite; il voudrait au prix de son sang racheter celui qu'il a versé; tout son emportement s'éteint, toute sa fierté s'humilie devant le sentiment de sa faute. Est-il offensé lui-même : au fort de sa fureur, une excuse, un mot le désarme il pardonne les torts d'autrui d'aussi bon cœur qu'il répare les siens. L'adolescence n'est l'âge ni de la vengeance ni de la haine; elle est celui de la commisération, de la clémence, de la générosité. Oui, je le soutiens et je ne crains point d'être démenti par l'expérience, un enfant qui n'est pas mal né, et qui a conservé jusqu'à vingt ans son innocence, est à cet âge le plus généreux, le meilleur, le plus aimant et le plus aimable des hommes. On ne vous a jamais rien dit de semblable; je le crois bien; vos philosophes, élevés dans toute la corruption des collèges, n'ont garde de savoir cela.
C'est la faiblesse de l'homme qui le rend sociable; ce sont nos misères communes qui portent nos cœurs à l'humanité : nous ne lui devrions rien si nous n'étions pas hommes. Tout attachement est un signe d'insuffisance : si chacun de nous n'avait nul besoin des autres, il ne songerait guère à s'unir à eux. Ainsi de notre infirmité même naît notre frêle bonheur. Un être vraiment heureux est un être solitaire; Dieu seul jouit d'un bonheur absolu; mais qui de nous en a l'idée ? Si quelque être imparfait pouvait se suffire à lui-même, de quoi jouirait-il selon nous ? Il serait seul, il serait misérable. Je ne conçois pas que celui qui n'a besoin de rien puisse aimer quelque chose : je ne conçois pas que celui qui n'aime rien puisse être heureux.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Émile ou de l'éducation (1762), livre IV.
1. Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre ceux qui sont nés médiocres.
2. L'amitié peut subsister entre des gens de différents sexes, exempte même de toute grossièreté. Une femme cependant regarde toujours un homme comme un homme; et réciproquement un homme regarde une femme comme une femme. Cette liaison n'est ni passion ni amitié pure : elle fait une classe à part.
3. L'amour naît brusquement, sans autre réflexion, par tempérament ou par faiblesse : un trait de beauté nous fixe, nous détermine. L'amitié, au contraire, se forme peu à peu, avec le temps, par la pratique, par un long commerce. Combien d'esprit, de bonté de cœur, d'attachement, de services et de complaisance dans les amis, pour faire en plusieurs années bien moins que ne fait quelquefois en un moment un beau visage ou une belle main !
4. Le temps, qui fortifie les amitiés, affaiblit l'amour.
5. Tant que l'amour dure, il subsiste de soi-même, et quelquefois par les choses qui semblent le devoir éteindre, par les caprices, par les rigueurs, par l'éloignement, par la jalousie; l'amitié, au contraire, a besoin de secours : elle périt faute de soins, de confiance et de complaisance.
6. Il est plus ordinaire de voir un amour extrême qu'une parfaite amitié.
7. L'amour et l'amitié s'excluent l'un l'autre.
8. Celui qui a eu l'expérience d'un grand amour néglige l'amitié; et celui qui est épuisé sur l'amitié n'a encore rien fait pour l'amour.
9. L'amour commence par l'amour; et l'on ne saurait passer de la plus forte amitié qu'à un amour faible.
10. Rien ne ressemble mieux à une vive amitié, que ces liaisons que l'intérêt de notre amour nous fait cultiver.[...]
13. L'amour qui croît peu à peu et par degrés ressemble trop à l'amitié pour être une passion violente.[...]
18. Quelque délicat que l'on soit en amour, on pardonne plus de fautes que dans l'amitié.[...]
26. L'on confie son secret dans l'amitié; mais il échappe dans l'amour.
L'on peut avoir la confiance de quelqu'un sans en avoir le cœur. Celui qui a le cœur n'a pas besoin de révélation ou de confiance; tout lui est ouvert.
Jean de LA BRUYÈRE, Caractères (1688), IV, Du cœur.
Deux vrais amis vivaient au Monomotapa :
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre :
Les amis de ce pays-là
Valent bien dit-on ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du Soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme :
Il court chez son intime, éveille les valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'Ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme;
Vient trouver l'autre, et dit : Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissiez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Était à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle ?
- Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause.
Qui d'eux aimait le mieux, que t'en semble, Lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose.
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'on aime.
Jean de LA FONTAINE, Fables (1678), VIII, XI
Le sage, encore qu'il se contente de lui, veut pourtant avoir un ami, ne serait-ce que pour exercer son amitié, afin qu'une vertu si grande ne reste pas inactive, non dans le but dont parlait Epicure précisément dans cette lettre : « pour avoir quelqu'un qui s'asseye auprès de lui quand il est malade, qui lui porte secours quand il est jeté dans les fers ou privé de ressources », mais pour avoir quelqu'un auprès de qui lui-même s'asseye quand il est malade, qu'il libère lui-même quand des ennemis le gardent prisonnier. Celui qui ne regarde que lui et, pour cette raison, s'engage dans une amitié, pense mal. Il finira comme il a commencé : il s'est procuré un ami destiné à lui prêter appui contre les fers; au premier cliquetis de chaînes, il s'en ira.
Ce sont amitiés que le peuple appelle « de circonstances »; qui a été choisi par intérêt plaira aussi longtemps qu'il présentera un intérêt. Voilà pourquoi ceux qui prospèrent se voient entourés d'une foule d'amis; autour de ceux qui sont ruinés, c'est le désert, et les amis s'enfuient dès lors qu'ils sont mis à l'épreuve; voilà pourquoi il y a un tel nombre d'exemples sacrilèges : les uns vous abandonnent par peur, les autres vous trahissent par peur. Nécessairement les débuts et la fin se correspondent : celui qui commence à devenir ami parce que cela l'arrange, appréciera un gain qui va contre l'amitié, si, en elle, il apprécie quoi que ce soit en dehors d'elle-même.
« Dans quel but te procures-tu un ami ? » Pour avoir quelqu'un pour qui je puisse mourir, pour avoir quelqu'un que je suive en exil, à la mort de qui je m'oppose et me dépense : ce que tu décris, toi, c'est une relation d'affaires - non une amitié - qui va vers ce qui est commode, qui regarde ce qu'elle obtiendra.
Sans doute y a-t-il quelque ressemblance entre l'amitié et la passion amoureuse; tu pourrais dire qu'elle est la folie de l'amitié. Arrive-t-il donc que l'on aime par goût du lucre ? Par ambition ou par gloire ? L'amour lui-même, à lui seul, négligeant tout autre objet, enflamme les âmes du désir de la beauté non sans l'espoir d'un attachement réciproque. Quoi donc ? Une passion honteuse se forme à partir d'une cause plus honorable qu'elle ?
« Il ne s'agit pas, dis-tu, pour l'instant, de savoir si l'amitié doit être ou non recherchée pour elle-même. » Mais si, c'est avant tout ce que l'on doit prouver; car, si elle doit être recherchée pour elle-même, peut aller vers elle celui qui se contente de lui-même. « Comment donc va-t-il vers elle ? » Comme vers une chose très belle, sans être pris par le goût du lucre ni terrorisé par les variations de la fortune; on retire à l'amitié sa majesté, quand on se la procure pour profiter de bonnes occasions.
« Le sage se contente de lui. » Cette phrase, mon cher Lucilius, la plupart des gens l'interprètent de travers : ils écartent le sage de partout et le confinent à l'intérieur de sa peau. Or, on doit distinguer le sens et la portée de cette parole : le sage se contente de lui pour vivre heureux, non pour vivre; dans ce dernier cas, en effet, il a besoin de beaucoup de choses, dans le premier, seulement d'une âme saine, redressée et regardant de haut la fortune.
Je veux aussi t'expliquer la distinction que fait Chrysippe. Il dit que le sage ne manque de rien et, cependant, qu'il a besoin de beaucoup de choses, « au contraire du sot qui n'a besoin de rien (car il ne sait se servir de rien) mais manque de tout ». Le sage a besoin de mains, d'yeux, et de nombreux ustensiles nécessaires dans la vie quotidienne, il ne manque de rien; car manquer relève de la nécessité, rien n'est nécessaire au sage.
Donc, quoiqu'il se contente de lui-même, il a besoin d'amis; il désire en avoir le plus possible, non pas pour vivre heureux; car il vivra heureux même sans amis. Le souverain bien ne demande pas de moyens à l'extérieur; il se cultive à domicile, il vient tout entier de soi; il commence à être assujetti à la fortune s'il demande au dehors une partie de soi.
« Quelle est, cependant, la vie qui attend le sage, s'il se trouve abandonné sans amis, qu'il ait été jeté en prison ou bien isolé en pays étranger, ou bien retenu dans une longue navigation, ou échoué sur une rive déserte ? » Elle sera comme celle de Jupiter, lorsque, une fois le monde dissous et les dieux confondus en un seul être, la nature se relâche un peu, il se repose, livré à lui-même dans ses pensées. Le sage fait quelque chose comme cela : il se cache en lui-même, il reste avec lui-même.
Tant que, bien entendu, il lui est permis d'arranger ses affaires selon son propre jugement, il se contente de lui et prend femme; il se contente de lui et a des enfants; il se contente de lui et, cependant, il ne saurait vivre s'il était destiné à vivre sans son semblable. Ce qui le porte à l'amitié, ce n'est aucun intérêt personnel, mais un instinct naturel; car, comme il en existe en nous pour d'autres relations, il existe une douceur innée de l'amitié. De même qu'il existe une aversion pour la solitude et une recherche de la vie en société, de même que la nature concilie l'homme avec l'homme, de même il existe dans cette relation-là aussi un aiguillon pour nous faire rechercher des amitiés.
SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, I, IX (63)
De même que l’œil peut se reflèter dans l’oeil d’une autre personne , et plus particulièrement dans cette partie d’où procède la vision, la pupille, notre âme se contemplera dans l’intelligence d’une autre âme. Ainsi se trouve justifiée la pratique du dialogue.
SOCRATE : Réfléchissons ensemble. Supposons que ce précepte (« connais-toi toi-même ») s’adresse à nos yeux comme à des hommes et leur dise : « Regardez-vous vous-mêmes. » Comment comprendrions-nous cet avis ? ne penserions-nous pas qu’il inviterait les yeux à regarder un objet dans lequel ils se verraient eux-mêmes ?
ALCIBIADE : Évidemment.
SOCRATE : Or quel est l’objet tel qu’en le regardant nous nous y verrions nous-mêmes, en même temps que nous le verrions ?
ALCIBIADE : Un miroir, Socrate, ou quelque chose du même genre.
SOCRATE : Très bien. Mais, dans l’œil, qui nous sert à voir, n’y a -t-il pas quelque chose de cette sorte ?
ALCIBIADE : Oui certes.
SOCRATE : Tu n’as pas été sans remarquer, n’est-ce pas, que quand nous regardons l’œil qui est en face de nous, notre visage se réfléchit dans ce que nous appelons la pupille, comme dans un miroir ; celui qui regarde y voit son image.
ALCIBIADE : C’est exact.
SOCRATE : Ainsi, quand l’œil considère un autre œil, quand il fixe son regard sur la partie de cet œil qui est la plus excellente, celle qu’il voit, il s’y voit lui-même.
ALCIBIADE : Tu dis vrai.
SOCRATE : Donc si l’œil veut se voir lui-même, il faut qu’il regarde un œil, et dans cet œil la partie ou réside la faculté propre à cet organe ; cette faculté c’est la vision.
ALCIBIADE : En effet.
SOCRATE :Eh bien, mon cher Alcibiade, l’âme aussi, si elle veut se connaître elle-même, doit regarder une âme, et, dans cette âme, la partie où réside la partie propre à l’âme, l’intelligence, ou encore tel autre objet qui lui est semblable.
ALCIBIADE ; je le crois, Socrate.
Or, dans l’âme, pouvons-nous distinguer quelque chose de plus divin que cette partie où résident la connaissance et la pensée ?
ALCIBIADE : Non, cela ne se peut.
SOCRATE : Cette partie-là en effet semble toute divine et celui qui la regarde, qui sait découvrir tout ce qu’il y a en elle de divin, un dieu et une pensée, celui-là a plus de chance de se connaître lui-même.
ALCIBIADE : Évidemment.
Platon, Alcibiade, trad. M. Croiset, Gallimard, coll « Tel », 1991, pp.70-71.
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