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Thomas Day, L’instinct de l’équarrisseur

Publié le 16 Juillet 2012, 18:17pm

Catégories : #ROMANS

Quand Holmes et Watson évoluent dans un London dix-neuvièmiste et un Londen parallèle et steampunk !

 

Arthur Conan Doyle est resté dans la postérité pour ses aventures du célèbre détective Sherlock Holmes, lui-même emblématique de la société anglaise du XIXe siécle. L’on sait moins en revanche que le romancier, docteur de son état, aspirait surtout à faire autorité dans le domaine des récits historiques où il commit des textes qui ne demeurèrent point dans les annales. Pour se consacrer cette veine, il alla jusqu’à faire périr, au grand effroi de ses fervents supporters, Holmes lors d’un affrontement avec son adversaire de toujours, le professeur Moriarty...

 

Dans une introduction qui lui rend hommage et précise le sens de ce surprenant roman qu’est L’instinct de l’équarrisseur, Thomas Day - dont on peut lire le plus contemporain et cinématographique Resident Evil paru chez Denoël en 2002 - plonge conformément à ses desiderata Doyle dans cette histoire même dont il entendait restituer les différents niveaux. A cette différence près que le romancier, qui devient personnage à son tour, n’est pas rendu uniquement au London dix-neuvièmiste mais à un Londen parallèle et indéterminé où Holmes et Watson, au look méconnaissable, utilisent des engins de haute technicité (side-car gravitationnel, ondovibrateur, ascenseur, télécommande, lunettes à détection calorifique etc.) afin de contrer l’inusable Moriarty... et traquer, of course, l’inévitable Jack l’Eventreur qui rôde dans les ruelles embrumées de Whitechapel !

 

La poursuite de L’Eventreur occupe précisément le premier tiers du récit, qui commence en force puisque dès la deuxième page Doyle se plaint d’avoir eu la témérité de suivre Watson dans son univers lorsqu’il lui est soudain apparu dans son salon, dévastant tout sur son passage. Ses personnages évoluent en effet, il le découvre rapidement, dans un monde où pullulent des sortes de E.T nains et rouquins, les Worsh, aux connaissances scientifiques et technologiques de loin supérieures à celles des hommes. Un monde où il n’est pas stérile pour un auteur de romans policiers de se promener, pour autant qu’il existe entre les deux univers, l’Angleterre victorienne et La Monarchie Libertaire Britannique, des correspondances et que ce qui se déroule dans le second, phantasmatique, vaut comme miroir grossissant de ce qui passe inaperçu dans celui de la prosaïque réalité. Ainsi l’Eventreur qui sévit dans les deux pourra-t-il être appréhendé par Doyle jouant à Holmes, dont il s’inspire après l’avoir créé. Ce qui permet au passage l’étonnante rencontre entre Arthur Conan Doyle et Oscar Wilde en mal d’inspiration littéraire !

 

La suite du roman est consacré au combat, par jeu d’échec interposé, du détective à la bouffarde et du diabolique Moriarty, qui s’est adjoint les services de la redoutable E. "Shiva" Worrington... Point commun entre ces séquences du texte et les meurtiers combattus par Holmes et Watson : un livre de Stephenson, nommé L’instinct de l’équarrisseur, et qui désigne le massacre, dépeçage et cannibalisme d’autrui comme une condition d’accès à l’immortalité. Fin connaisseur du contexte historique et des ouvres littéraires de Doyle, Thomas Day régale ici le lecteur d’un décorum « steampunk » (dont on peut consulter un exemple graphique détonnant en lisant Le Régulateur de Corbeyran et Moreno chez Delcourt) où coexistent vampires et femmes fatales, revolvers à crosse nacrée et cocaïne à doses infinitésimales.

 

Le mélange de deux époques aux antipodes l’une de l’autre mais qui se superposent parfois au point d’intersection qu’est Doyle, docteur-écrivain écartelé, s’accompagne toujours ici d’humour et de références parodiques. Ce qui aboutit à une œuvre dont la force évocatrice charme en même temps qu’elle sidère.

   
 

frederic grolleau

 

Thomas Day, L’instinct de l’équarrisseur, Vie et mort de Sherlock Holmes, Gallimard, Folio SF, 2004, 414 p. - 6,00 €.
Première édition : Mnemos, 20002.

 
   
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