Un thriller du septième art indispensable à tous les amateurs de l’érotisation de la salle obscure chantée jadis par Roland Barthes
« Plus le mal est fort, plus le film est fort » (Alfred Hitchcock)
Sur le papier, La conspiration des ténèbres ("Flicker" en V.O) ressemble à un énième thriller supplémentaire à promener partout avec soi l’été venu. Mais il y plus, beaucoup plus dans cet imposant ouvrage de Theodore Roszak, sérieux professeur d’histoire et d’écopsychologie à l’université de Berkeley (Californie) et écrivain connu pour son roman S-F Puces tout comme son essai sociologique Vers une contre-culture, qui fit grand bruit en 1970.
C’est ici la fascination d’un jeune homme pour le septième art qui se trouve au centre d’une histoire géniale, machiavélique et absolument maîtrisée de bout en bout (vingt ans de travail pour en accoucher tout de même !) où se téléscopent cinéma, mystère et littérature.
Passionné d’image et voulant faire un thèse universitaire dans ce domaine, Jonathan Gates hante les salles obscures de Los Angeles, notamment le crasseux Classic, où il découvre l’amour des vieux films et des femmes (en la personne de celle qui deviendra une célèbre critique US, Clarissa Swann). Il s’intéresse rapidement au cas d’un metteur en scène maudit, Max Castle (venu d’Allemagne en 1925 pour conquérir Hollywood et disparu en 1941), avant de partir à la recherche d’un film mythique réalisé par ce dernier : la première adaptation, mystérieusement évanouie, de Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad (l’oeuvre qui inspirera à Coppola le fameux Apocalypse Now).
L’enquête qui commence alors en 1961 (qui l’occupera pendant une grande partie de sa vie ) va emmener le jeune homme à la rencontre des plus grands monstres du cinéma - Orson Welles entre autres - et à s’interroger, par delà les arcanes du milieu de la réalisation/production cinématographique, sur le secret que peut receler la pellicule. Un secret qui a partie liée avec les croyances de la secte des cathares depuis la nuit des temps et qui pourrait bien conduire tout droit l’imprudent qui s’y risque à ouvrir des ténèbres tapies dans le coeur et l’esprit des hommes...
Comment en effet Castle, connu pour n’avoir réalisé dans toute sa carrière que des films de série B ou Z (vampires, revenants et sexe pour l’essentiel) a-t-il pu alors influencer à ce point Welles ou John Huston ? Quel sens, surtout, confère-t-il à ce scintillement de la lumière (« flicker ») sur l’écran entouré de pénombre pour que son enseignement et sa pratique d’effets très spéciaux à consonance subliminale lui aient valu la disgrâce américaine et la répudiation des mystérieux Orphelins de la Tempête, organisation caritative internationale qui semble avoir pesé sur sa destinée plus qu’on ne pense ?
Fasciné par la force des images des films d’épouvante du réalisateur dont le credo tient dans cette formule : « Tout l’art réside justement dans le fait de cacher. On travaille toujours sous la surface. C’est la seule façon de pénétrer les esprits. Quand ils ne vous voient pas venir. », le narrateur traverse bientôt à ses risques et périls l’envers du décor tandis que Roszak nous achève par son érudition (en particulier en ce qui concerne le cinéma d’avant-guerre) et la chute parfaite de son roman.
Nous n’avons d’ailleurs pas été les seuls à être convaincus par la qualité de cette réflexion en abyme sur l’image puisque La conspiration des ténèbres sera prochainement adaptée à l’écran par le cinéaste de Pi et Requiem for a dream, Darren Aronofsky et le scénariste Jim Uhls (Fight Club).
Des Etats-Unis à l’Europe, au fil des siècles, des dualistes, manichéeens aux templiers et autres cathares, voici une fresque sur le cinéma de l’Âge d’or hollywoodien, enrichie d’une machination pluriséculaire ourdie par une minorité religieuse, qui se révèle un thriller du septième art indispensable à tous les amateurs de l’érotisation de la salle obscure chantée jadis par Roland Barthes.
frederic grolleau
Théodore Roszak, La conspiration des ténèbres (trad. Edith Ochs), Le Livre de Poche, 2006, 829 p. - 8,00 €. 1ère édition : Le Cherche-Midi, 2004, 765 p.- 23,00 €. | ||
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