Une fantaisie-piraterie grand public au ton frais et vouée au succès
Sous la houlette des Humanos, éditeurs dynamiques dont l’inspiration ne cesse de tarir pour la plus grande joie des lecteurs curieux, Ted Naifeh, l’auteur de Courtney Crumrin (renommée série fantastique présentant une jeune sorcière parue chez Akileos - et pour laquelle il a été primé aux Eisner Awards), change son mousquet d’épaule avec cette saga Polly et les Pirates destinée à la jeunesse...
Si les créatures étranges de Courtney Crumrin demeurent présentes via les physionomies quelque peu zarbi des protagonistes, le noir et blanc de cet univers sombre et souvent violent a cédé la place à la colorisation de l’œuvre initiale et à sa segmentation en 6 courts tomes prévus jusqu’en juin 2007. Au coeur de ces aventures, mouvementées on s’en doute, une demoiselle bien sous tout rapport, Polly-Ann Pringle, fille de l’ambassadeur en Vervenvanie et interne dans une prestigieuse école pour jeunes filles de la ville de St Helvetia, dans la bonne société du XIXème siècle.
Polie comme son prénom, la jeune héroïne vénère sa mère, morte à sa naissance, et subit avec bonhomie les quatre cents coups de ses camarades plus espiègles, Sarah et Anastasia. Or, c’est à la suite d’une tentative de fugue de celle-ci que Polly se retrouve soudain enlevée pour d’obscures raisons par une bande de pirates menée faute de mieux par le vieux Scrimshaw...
Si la mise en couleur atténue en partie les niveaux de gris de l’édition originale, le dessin de Naifeh conserve le mélange de nervosité et de rondeur qui fait sa marque, à mi-chemin du livre illustré enfantin de jadis, du cartoon et du manga plus moderne. Comme tout est fait pour que le jeune lecteur adhère aux exploits de Polly, cet album d’installation campe une psychologie rudimentaire tout en contrastes : très sage au risque d’être couarde, Polly n’est pas une meneuse, c’est le moins que l’on puisse dire. Son univers désuet et empesé ne peut par voie de conséquence que voler en éclats au contact des rudes pirates qui la transbordent sans crier gare sur leur navire ...pour lui révéler qu’elle est en fait la fille de la célèbre écumeuse des mers, Meg Malloy, qu’elle va devoir remplacer, liens du sang oblige !
Comment Polly, qui passe son temps à toujours respecter les règles, va-t-elle alors évoluer dans ce nouveau milieu qui ressemble tant aux romans d’aventures auxquelles sa cothurne Anastasia rêve constamment ? Parviendra-t-elle seulement à assurer la relève dans ce microcosme viril qu’est un navire de " gentilshommes réprouvés " ?
Ni intrigue complexe ni réalisme, l’aventure qui tient du conte fantastique ne fait certes que commencer, mais nul doute que cette fantaisie grand public au ton frais connaisse un grand succès, tant le personnage de Polly se montre attachant. L’histoire de ce comic devenu BD standard semblera peut-être peu originale aux yeux des plus grands (quoique, une petite fille qui devient pirate malgré elle, est-ce si commun ?) ; elle séduira sans peine les plus petits qu’attirera ce téléscopage entre une vie policée et l’air du grand large faisant claquer les haubans d’un navire de flibustiers. Une attirance facilitée par un nombre de pages réduit (avec cinq cases en moyenne par page).
Je connais d’ailleurs une petite fille de quatre ans et demi, Camille, qui demande tous les soirs qu’on lui lise Polly et les pirates dont elle a fait son livre de chevet... L’album est pourtant assez abîmé, vu qu’il a été fortement imbibé suite à un dégât des eaux - un comble pour un récit de forbans chroniqué dans Des bulles dans le bain - : il y a pourtant survécu, perdant à peine quelques couleurs, les pages ainsi que la couverture cartonnée conservant leur rigidité.
Qu’on se le dise, Polly... résiste bel et bien à tout. Si ce n’est pas un signe de qualité ça...
frederic grolleau
Ted Naifeh, Polly et les pirates , tome 1 : "L’héritage de Meg Malloy", Les Humanoïdes Associés, 2006, 32 p. - 8, 90 €. | ||
Commenter cet article