Ou une agréable réflexion sur l’origine des religions et les discutables fondements de la morale au XVIIIe siècle.
Still loving you
Le Scorpion, expert en vieux manuscrits, reliques et trésors antiques dont on tatoua jadis l’épaule de cette bête, signe de sorcellerie, est plus qu’abattu. Alors même qu’il est parvenu à s’approcher du Pape de Rome dont il croit qu’il s’agit de son propre père, celui-ci est exécuté par le seigneur Rochnan et ses sbires au service du cardinal Trebaldi. Le Scorpion jure de venger cette mort due à la folie d’un homme d’église qui a déjà fait autrefois brûler sur le bûcher sa mère. Sous le pseudonyme d’Armando Catalano, il trouve abri auprès d’un réseau de relations galantes et d’affaires auquel ont recours les riches familles romaines. Mais l’ignominie ne saurait demeurer impunie, et tandis que Trebadi pleure à chaudes larmes devant le peuple rassemblé la disparition du Pontife, notre héros ressemblant comme deux gouttes d’eau à Errol Flynn dénonce sa traîtrise du haut des toits de Rome et le macule de sang grâce à son habileté à l’arbalète (qui n’a d’égale, c’est entendu, que sa virtuosité à l’épée).
Après quelques décès curieux, certains cardinaux commencent à douter au Vatican de la moralité de Trebaldi et décident de voter contre lui. Mais le diable d’homme leur a préparé un mythique tour de passe-passe. Ayant agi à visage découvert, le Scorpion est désormais la cible des terrifiants moines soldats de Trebaldi, qui le traquent sans répit dans la Ville éternelle. Il rencontrera bientôt la belle Méjaï, empoisonneuse égyptienne recrutée par le félon Trebaldi pour l’éliminer...
Après "La marque du diable" et "Le secret du Pape", Desberg ne mollit pas l’allure - lui qui avait toutefois quelque peu relâché les rênes de son épopée dans le 2e opus - pour entraîner le lecteur dans une course folle à travers la Rome du XVIIIe siècle. Les ingrédients de départ qui ont fait le succès que l’on sait de cette saga (60 000 albums tirés en français pour le 1er album) sont toujours aussi adroitement exploités : dans une Rome dirigée dans l’ombre par 9 familles, l’infâme Trebaldi met tout en œuvre pour tuer le Scorpion, qui entretient un lien particulier avec la papauté. La ville de Rome et le mystère religieux se marient à merveille sous les yeux du proscrit dont l’enfance nous est révélée ici et dont le destin ressemble à un funeste stigmate. Dans un scénario carré et fluide, Desberg sonne l’heure de la vengeance, magnifiquement servi par le dessin chaleureux et chatoyant de Marini dont on peut apprécier le talent dans la série "Rapaces".
La dimension film de cape et d’épée joue ici à plein régime, bien enracinée dans une somptueuse palette graphique. L’esthétique, c’est le tour de force de cet album, reste cependant soumise aux rebondissements de l’histoire et le beau Scorpion abandonne son image de libertin pour entrer bille en tête dans l’histoire et la cruauté de ces hommes assoiffés de puissances qui vont jusqu’à créer de faux artefacts religieux afin de cantonner leurs ouailles et condisciples dans les murs de la religion établie, interdisant toute résistance. Une belle réflexion sur le poids de l’apparence et le danger de la croyance où la violence trouve toujours ses premières proies.
Le tome précédent nous a exposé toute la rouerie du cardinal Trebaldi, ourdissant complot sur complot afin de se faire élire pape. Prêt à tous les subterfuges pour parvenir à ses fins peu louables, le chef des moines-guerriers a déclaré que la croix de saint Pierre est apparue dans Rome ! Mais le cardinal rencontre sur son chemin Armando Catalano, spécialiste précieux des reliques des saints de l’antiquité et du Moyen âge qui est aussi connu sous le nom du Scorpion, un justicier-bretteur de haut vol au charme méditerranéen qui fait se pâmer toutes les femmes qui le croisent... Or le Scorpion - ainsi nommé parce qu’il porte un tatouage en forme de scorpion signifiant que sa mère est jadis morte brûlée vive sur un bûcher de sorcières - ne croit pas à ce prétendu miracle. Il va tout mettre en œuvre pour retrouver la vraie croix de saint Pierre à Istanbul, conformément à la dernière volonté de monseigneur Javeloy sur l’assassinat duquel s’ouvre ce tome 4. C’est donc accompagné du hussard et de Mejaï (sulfureuse gitane égyptienne experte en poisons), et bientôt rejoint par une mystérieuse jeune femme rousse, Antéa, aussi belle que fine lame, que le Scorpion se tourne désormais, loin des murs du Vatican, vers l’Orient...
Tous ceux qui pensaient que la série allait s’essouffler en sont pour leurs frais car ni Desberg ni Marini ne lâchent le pied, bien trop heureux de pouvoir donner encore plus d’âme, de rebondissements et de couleurs à leurs personnages. Comme dans tout scénario de roman de cape et d’épée, les coups du sort et les surprises se succèdent donc - avec au passage un intéressant flash back sur l’enfance du Scorpion - pour mener à cette cerise sur le gâteau qu’est la sculpturale Antéa : aucun lecteur honnête ne saurait renier, en vérité, qu’il s’intéresse davantage à son décolleté qu’à son sens de l’éthique ! Les décors, les costumes et les scènes de combat délivrés par un dessin classieux au rendu chaleureux forment donc, une nouvelle fois, le meilleur des ménages pour proposer une réflexion sur l’origine des religions et les discutables fondements de la morale qui laisse la porte ouverte à une remise en cause de la politisation des rapports humains en ce XVIIIe siècle.
frederic grolleau Stephen Desberg (scénario) , Enrico Marini (dessin & couleurs), Le Scorpion |
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