Soderbergh s’applique ici comme un fou à se désimpliquer d’un bout à l’autre et à la longue, ça échauffe.
L’histoire
Psychologue dépressif, Kris Kelvin (George Clooney) est envoyé sur la station spatiale Prométhée surplombant la planète Solaris pour venir en aide aux membres de l’équipage obsédés par la mort de l’un d’entre eux. Sur place il découvre que son ami Gibarian, commandant de bord, s’est supprimé et que Solaris exerce une influence étrange sur les souvenirs humains. Pendant que les deux autres survivants sombrent dans la paranoïa la plus complète, Kelvin est bientôt rejoint à bord par sa femme Rheya (Natascha Mc Elhone), pourtant morte par suicide quelques années plus tôt...
SF-mensonge et vidéo
A partir d’un tel scénario qui a le mérite, je le reconnais tout de suite, de ne rien emprunter, ou si peu, à la première version du livre éponyme du polonais Stanislaw Lem (1961) par Tarkovski en 1972 (un chef d’oeuvre incontesté, celui-là), il faut s’attendre soit à une pépite transcendant le genre putatif de la SF soit à une daube poussive sous prétexte d’être une réinterprétation subjective haut de gamme. Or Soderbergh qui a fait plaisir à la critique comme au public avec Sexe, mensonge et vidéo, Hors d’atteinte ou L’Anglais a quelque peu déçu aussi en livrant Traffic ou Full frontal, très oubliables sans séquelle. A la croisée des chemins donc, Solaris. Eh bien, en ce qui me concerne, c’est un assez mauvais chemin où le réalisateur cherche tellement à éviter les attendus qu’il livre une copie vague et floue, sans véritable histoire qui tienne la route.
Bien sûr, les relations entre les protagoniste et leurs souvenirs se précisent au fil des minutes, et l’on touche parfois à l’essentiel lorsque sont pointées les questions de fond, first : la matérialisation de nos désirs et souvenirs en un être qui dépasse la simple illusion d’optique et vient nous narguer tous les soirs.. Mais à la différence de Cyrano, Soderbergh ne touche pas à la fin de l’envoi, et l’on reste sur sa faim. J’irais même jusqu’à dire que l’on s’emmerde royalement. Ce qui était drôle et maniéré dans Ocean’s Eleven, par ailleurs tout fait digne d’intérêt, devient ici prétexte à une esthétisation théâtrale toute en teintes fondues et musique sérielle sans implication - même si les sons enveloppants du Dolby Digital 5.1, en VO ou VF, sont très purs dans leur genre, en phase parfaite avec l’atmosphère globale tendance easy watching. Précisément, Soderbergh s’applique ici comme un fou à se « désimpliquer » d’un bout à l’autre et à la longue, ça échauffe.
Point de science-fiction au sens punchy du terme dans ce Solaris philosophico-mystico-métaphysique où c’est le spectateur qui doit en gros se débrouiller avec le maigre écheveau scénaristique qui lui est offert. « Nous ne recherchons pas de nouveaux mondes mais des miroirs. » Bof... Il en sera certainement qui parviendront à excaver là un chant existentiel post-romantique sur fond de reflets néonisés, mais en définitive on ne saura rien, mais rien, des radiations émises par Solaris et qui provoquent ces troublants effets mnésiques et réalistes à la fois - c’est tout le problème que l’on eût aimé voir creusé - sur l’équipe scientifique du Prométhée. Pourtant la séquence où le psychologue est réveillé par sa femme défunte qu’il touche et avec qui il parle avant de l’expédier dans l’espace illico presto- on ne badine pas avec le réel et les fantômes, non mais ! - est des plus suggestives puisque ladite Rheya débarque de nouveau la nuit suivante.
Et Kelvin n’en revient pas de la voir revenir, la revenante ; et moi j’attends toujours devant mon rétroprojecteur que le réalisateur me jette un os sur cette question clonique. Peine perdue. Que dalle ! Solaris : un mouroir sidéral ou de l’art de se faire chier comme un rat mort - enfin presque mort parce que le rat, comme l’être jadis connu chez Soderbergh, ne meurt jamais vraiment.... Je ne saurai rien dans ce 2001 foireux , et vous non plus, sur le mixte d’irrationnel et d’espoir que représente le retour de Rheya pour Kelvin : bonheur retrouvé ? seconde chance ? éternelle projection de l’être aimé par-delà la mort ? possibilité d’influer sur sa mémoire ? indétermination de la limite entre imaginaire et réel ? grâce high tech de la rédemption spatiale ? Pas plus sur ce cadeau empoisonné pour les spationautes évoluant au-dessus de Solaris et recevant après leur première nuit de sommeil à bord la visite d’un être qui cristallise à la fois leur culpabilité, leurs angoisses, leurs remords et qui émane de leur mémoire.
Quid de l’idée de prédestination, impliquant que les choses se répètent sans cesse à l’identique ? Et que penser de l’hypothèse si freudienne selon laquelle la relation entre deux mêmes personnes est systématiquement appelée à être reproduite en dépit de circonstances extérieures autres (tant pis pour Proust) ? Bref, c’est le spleen herméneutique ambivalent total, Soderbergh axe son propos nostalgique sur ce qui était anecdotique dans le livre : l’histoire d’amour entre Kelvin et Rheya, il emballe tout ça d’un fin film alimentaire psychologique (si fin dirait certain comique qu’il n’a qu’un côté) et nous laisse en plan - séquence. Rien sur la planète Solaris, rien sur cette résurrection fondamentale et répétitive. De l’huis clos new age à tout va dans un temps indéterminé où sobriété assumée rime avec monotonie crispatoire !
« Il n’y a pas de réponses, il n’y a que des choix », comme le dit l’un des personnages dans le film : c’est vrai que l’on peut choisir de ne pas voir Solaris, en dépit d’une qualité d’image (dans son format d’origine en 2.35) qui frise le zéro défaut. Avant on convoquait en argot l’expression « se faire satelliser » pour désigner une expulsion du cercle, un rejet du groupe, grâce à Soderbergh, on pourra dire désormais « se faire solariser »... Devant tant d’énergie prométhéenne gâchée, il ne reste plus qu’à se rabattre sur un bonus qui mérite qu’on s’y arrête : les commentaires audio du réalisateur et du producteur (James Cameron himself) fourmillent de remarques passionnantes, notamment sur la relation entre le roman et le film, et constituent l’indispensable pendant filmique de ce support DVD.
frederic grolleau Solaris Date de parution : 3 septembre 2003 Éditeur : Pathé Fox Europa Présentation : Snap Case Format image : Cinémascope - 2.35:1 Zone : zone 2 Langues et formats sonores : Français (Dolby Digital 5.1), Anglais (Dolby Digital 5.1) Sous-titres : Français, Anglais, Néerlandais Bonus : Commentaires de Soderbergh et de Cameron Les coulisses de Solaris Documentaire : « La face cachée de Solaris » Script intégral Prix : 20, 76 euros
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