Et si, aux confins de la 2de guerre mondiale, Israël et l’Allemagne avaient pu s’unir ?
Qui veut faire l’ange, fait la bête...
L’histoire de ce grand vague à l’âme civilisationnel commence sur une plage de la côte ouest des Etats-Unis avec le suicide raté d’un vieillard qui nous fait remonter le fil généalogique des actes existentiels manqués jusqu’à la figure de Magda Goebbels et de ses six enfants exécutés avec les vestiges du régime nazi.
Sur la toile de fond des amours du juif Haïm et de Magda (future et grande dame du Troisième Reich, icône de la relation antithétique entre l’amour maternel et l’horreur de la Shoah), l’enquête policière menée par Vince et portée par la jeune Stella se développe au-delà de la plage de Venice, district de Los Angeles. Bientôt s’agglomère autour du vieillard, impossible rescapé du grand naufrage du XXe siècle, toute une série de personnages à contre-courant qui vont permettre à l’auteure d’illustrer l’espace dérisoire, aussi sidéral que sidérant, qui sépare un destin d’une médiocrité.
Traversée des temps et des espaces, hymne à l’amour et aux vertus alchimiques de la"transfiguration", aux stases du Désir qui se refuse, ce roman est aussi trépignant que Sarah Vajda elle-même quand on a le bonheur de la soumettre au jeu des questions. Et puis, surtout et encore, il y a ces incroyables phrases, serties de componction, d’allitérations cosmopolites et de sous-entendus sémantiques, à mi-chemin du grand classicisme et de la modernité anglo-saxonne, qui tout à la fois plongent le lecteur dans des abîmes de repésentations et le giflent soudain pour le ramener, le rendre tel une nausée à la dure réalité, le bousculant volontiers au passage comme pour le tirer de sa confortable léthargie petite-bourgeoise.
Une phraséologie libérée de toute entrave qui n’hésite pas à rompre les amarres, en bateau (l)ivre assumé, avec les accords élémentaires de la conjugaison afin de moquer les correspondances entre les temps et les êtres, manière explicite de rappeler que l’histoire se fait et dit toujours au présent. Et si, au détour de ces possibles, de ces rencontres, aux confins de la 2de guerre mondiale, Israël et l’Allemagne avaient pu s’unir ?
Les grands livres sont ainsi conçus qu’ils ne se donnent jamais entièrement et qu’il appartient au lecteur impétrant, un peu fou peut-être que de plonger dans ce flux-ci - le salut ne tient qu’au saut consenti dans la catastrophe, disait walter Benjamin - , entre mélancolie romantique et lyrisme romanesque, d’aller chercher en leur coeur leur raison d’être : c’est bien pourquoi Le terminal des anges ne se dévore pas, non plus qu’il s’engloutirait « d’une traite », comme l’on peut lire parfois dans les magazines féminins ; c’est un roman très exigeant qui requiert du temps. Qui appelle la patience du concept.
Un grand livre assurément, bercé par un sentiment océanique - la plage de Venice toujours - que Freud n’eût pas renié, et qui bénéficie par ailleurs, cela ne gâte rien, d’un travail éditorial fort soigné de la part d’une maison, Le-Mort-Qui-Trompe gagnant à être connue.
Le « terminal » est parfois une condition de l’inaugural. Qui a dit que les anges ici-bas avaient disparu ?
frederic grolleau
Sarah Vajda, Le Terminal des anges, Le-Mort-Qui-Trompe, 2008, 201 p. - 16,00 euros. |
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