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Roland Kermarec, Lynchland # 1

Publié le 16 Juillet 2012, 16:02pm

Catégories : #ESSAIS

Une sorte de Rose pourpre du Caire dark-mutante où le lecteur se transforme en voyeur-jouisseur...

 

 

Cet opus de Roland Kermarec, jeune diplômé en lettres ayant assisté aux États-Unis au tournage de Lost Highway (1997), de David Lynch, en surprendra plus d’un. Pour cette raison, n’en déplaise aux amateurs, ce n’est pas du film éponyme ou de son analyse en soi (non plus d’ailleurs que des autres oeuvres du dérangeant Lynch) que traite Kermarec. Ce qui étonne lorsqu’on connaît le soin, tâtillon et minutieux, dont font montre les plumes du site Objectif Cinéma (devenu maison d’édition avec ce premier titre) dès qu’il s’agit de passer à la moulinette critique les films grand public ou cinéphiliques.

 

 

C’est qu’il s’agit d’autre chose ici : non pas tant donner à voir les "clefs" du Grand Oeuvre lynchien qu’aborder par la bande (nul doute que paraisse bientôt un Lynchland # 2, #3... etc.), de manière fragmentaire et fractale, la matière même d’un système qui refuse toute saisie conceptuelle "normative", toujours reconnaissable à ses gros sabots herméneutiques. On n’en saura donc pas plus, lisant ces pages, sur les neuf longs métrages du Maître (Kermarec et les éditions Objectif Cinéma présupposant, ce qu’on peut leur reprocher, que tout un chacun connaît déjà comme sa poche et ce réalisateur et ses films), mais on apprendra beaucoup en revanche sur les petites manies de Lynch et son sens de l’improvisation. Les six "textes très personnels" de Kermarec (la quatrième de couverture ne ment pas) prétendent donc à un cheminement autre que celui, balisé, qu’empruntent à l’accoutumée les critiques de cinéma.

 

 

Lynchland #1 se donne en effet surtout comme un "journal intime" rédigé dans l’ombre de Lost Highway, sous les yeux de Kermarec... qui a même été enrôlé comme figurant dans l’oeuvre au cours des trois mois de tournage à Hollywood. Là prend tout son sens l’entretien introductif du livre, qui res(t)itue dans son contexte la démarche d’un Kermarec-disciple traversant le miroir (et se retrouvant plus d’une fois dans le décor même du film le soir venu, puisqu’il loge quasiment sur place, dans la maison-compagnie-studio de Lynch) pour se retrouver aux côtés de celui dont il a analysé certains films dans son mémoire de D.E.A. Une sorte de Rose pourpre du Caire dark-mutante où le lecteur se transforme, au travers du regard du jeune Roland (dommage que les photos soient un peu écrasées et fort sombres dans l’ensemble), en un voyeur-jouisseur qui accède à l’intimité du créateur hors normes, et censément un brin parano. Gare aux pépites alors disséminées par ces notes de Kermarec !

 

 

Ce qui surprend néanmoins au coeur de ce dispositif, c’est le curieux choix éditorial d’avoir mis en avant, dans l’ordre des matières, des textes ("se souvenir du temps qui passe", hommage à Richard Farnsworth, "David B.DeMented : John Waters & David Lynch", et "Le Bee’s nest de David") qui sont nettement moins intéressants que le stimulant "La vache folle de David Lynch" et l’informatif "David on the road again" consacré aux péripéties du tournage de Mulholland Drive (2001). Le fait, également, d’avoir laissé tels quels des renvois qui font "datés" (et pour cause) à l’année 2000 ou 2001, quand le livre paraît au dernier trimestre 2004. On a plus d’une fois l’impression que rien n’est fait pour faciliter l’accès aux territoires du cinéaste à qui l’on doit, entre autres, Eraserhead (1977), The Elephant Man (1980), Dune (1984), Blue Velvet (1986), Wild at Heart (Sailor et Lulla, 1990 ), la série Twin Peaks... Il est vrai que comprendre, apprécier, juger David Lynch se mérite, mais tout de même.

 

 

Malgré cela et la volonté (perverse ?) de féminiser à tout prix les limbes de l’univers lynchien page 66, cet ouvrage mérite d’être salué puisque, aussi bien, il constitue une voie d’entrée (comme il est des voies d’eau pour un navire) à l’imaginaire foisonnant/fascinant du mythique cinéaste à partir d’une focale intérieure assez inédite. On n’en attendait pas moins, en définitive, des talentueux dirigeants du site Objectif-Cinéma : publier, pour leur premier titre, un livre dédié à Lynch... et qui prend, précisément, une forme (sinuo-)lynchienne !

 

 

Pour commander l’ouvrage :
http://www.objectif-cinema.com/editions/0001.php

   
 

frederic grolleau 

 

Roland Kermarec, Lynchland # 1, Objectif Cinéma, 2004, 96 p. - 15,00 €.

 
     

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