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Pierre Mari," Résolution"

Publié le 16 Juillet 2012, 18:40pm

Catégories : #ROMANS

Une magistrale étude de l’intégrité des personnels rabougrie par l’idéologie mécaniste des leaders d’entreprise


Le temps est l’élément indispensable de toute prise de décision qui se respecte, et c’est pourquoi le narrateur - ni nommé ni décrit - de ce court récit devra attendre le terme d’une lente maturation pour aboutir à la " résolution " qui est l’objet de ses interrogations. Et s’il lui faut autant de temps, à notre héros, pour faire son choix et trancher, c’est qu’il doit précisément composer avec des heures qui fuient sans cesse (hormis les journées de repos du week-end, dont une bonne partie est consacrée à un entretien-promenade avec l’ancien critique rebelle V., ayant choisi, lui, de quitter leur entreprise commune) et le met aux prises, suite à un changement de responsabilités dans une société labyrinthique, avec la difficulté majeure de gérer l’humain au sein du département des Ressources humaines.

Un changement de cap et une orientation personnelle, au bout de six ans d’ancienneté, face à l’opacité des grands dirigeants et de leur sabir que complique encore la politique fort expansionniste des chefs de Nexorum bouleversant sans vergogne les repères historiques de l’entreprise et traitant, plus que jamais, les individus comme des numéros interchangeables ou du bétail. Les 130 pages de Résolution se lisent alors comme le troublant journal intime/extime d’un " opérateur de mobilité " devant faire face à la politique managériale, aux codes sémantiques et comportementaux de l’Entreprise avant que ne survienne la grande catastrophe.

Ce qui surprend dans ce premier roman de Pierre Mari, auteur d’un essai remarqué (Kleist, un jour d’orgueil, PUF, 2003), c’est la justesse et la sècheresse du ton : loin des fioritures stylistiques et nombrilistes dégoulinantes de ceux qui racontent à la première personne leur expérience d’un licenciement ou d’une démission professionnels, ici il n’y a jamais aucun mot de trop (le livre fonctionne à l’image du cahier tenu par le narrateur où il dresse un portrait saillant de ses camarades, désignés par une seule initiale). Le superflu descriptif ou psychologique est vaillamment mis de côté au profit du compte rendu, à limite de la froideur et de l’ironie mordante - voire de l’abstrait rationaliste (à l’instar de la peu ragoûtante couverture dont les éditions Actes Sud gratifient le roman ! ) - des dysfonctionnements croissants des rouages de la termitière Nexorum et de l’impasse où se trouvent bientôt réduits les collègues de celui qui parle.

Cette séduisante économie du propos, celle du héros comme celle de l’auteur, concourt à faire de ce roman un bijou de constat quant à l’éthique et aux dérives des grands groupes - souvent à la limite des organisations totalitaires - qui emploient des milliers d’individus, cela tout en mettant l’accent sur ce qu’il reste de " sincérité " chez ces employés absorbés par leur fonction jusqu’à oublier qui ils sont. Bref, une étude en règle de l’intégrité des personnels rabougrie par l’idéologie mécaniste des leaders. Magistral et brillant.

 

frederic grolleau

Pierre Mari, Résolution, Actes Sud, collection : Domaine français, 2005, 131 p. - 15.00 €

 
  
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