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Photo obsession (One hour photo)

Publié le 15 Juillet 2012, 18:01pm

Catégories : #DVD

Vous déposez votre pellicule, vous recevez un ticket, vous payez, et une heure après, vous êtes floué d’une partie de vous-même, spolié de vos souvenirs personnels

 

Seymour Parrish (Robin Williams), alias Sy, travaille dans un magasin de développement photo (One hour photo : « Vos photos en une heure » ) installé dans un centre commercial anodin. Vieux garçon, maniaque et obsédé par la seule qualité de son travail, il s’intéresse de manière maladive à la famille Yorkin, dont il conserve chez lui les doubles des photos. Mais son employeur le licencie pour coûts de tirages abusifs, en même temps que Seymour découvre que l’idéal père de famille des Yorkin a une maîtresse : c’est tout un univers phantasmé qui s’écroule...

 

La fin de l’anonymat, le début de la souffrance
Comme le décline la charte graphique de la navigation du dvd, l’univers de Sy est celui même de sa boutique : propre, aseptisé, fade et stéréotypé. C’est le royaume de l’instantané, du service de qualité pour pas cher. Là où tout est lisse, impeccable, efficace. Mais Sy met ces qualités au service d’une effraction affective, il pénètre dans l’intimité de ses clients en se stimulant à partir des clichés dont il conserve copie. Le temps du tirage (et de l’après-tirage grâce au mur d’images qu’il érige dans son triste salon), Sy sort de son anonymat, il s’anime, ne vivant plus que par procuration les joies de l’existence distillée par les Yorkin. Vous déposez votre pellicule, vous recevez un ticket, vous payez, et une heure après, vous êtes floué d’une partie de vous-même, spolié de vos souvenirs personnels. C’est cette idée que s’attache à développer avec brio Mark Romanek, réalisateur de clips et de spots publicitaires dont c’est là le deuxième long métrage.

Une réflexion approfondie sur le pouvoir symbolique de l’image, et la charge représentative afférente à la photographie. Arrêt du temps sur un de ses scansions idiosyncrasiques, la photo est en effet élevée par Sy au rang de valeur suprême de l’existant : le sel argentique ne livre pas seulement une image parmi d’autres, il donne la vérité de l’individu en témoignant de ce qu’il a été un jour objet de l’attention d’un autre. Ineffable moment de bonheur que restituent les clichés sépia qui nous relient à l’humanité. Disposer d’une photo de quelqu’un revient à s’ouvrir au champ infini de ce que les philosophes appellent le travail du négatif (sic), par quoi chaque présent est nié au profit d’une représentation future, négation nécessaire de ce qui est pour que puisse advenir ce qui sera.

 

La vengeance de l’image : photos, matons !
Car la photo renvoie au moment, imaginaire par excellence, de la pro-jection : sortie de soi qui ne se confond pas avec l’ex-sistence et par laquelle chacun s’ouvre à une perception autre de lui -même et de son socius. Mais chez Sy le voyeur/violeur, ce dédoublement temporaire n’a pas de fin : Sy est double, coupé de lui-même tel un schizophrène à la Psychose. Gentil d’un côté, obsédé à la folie de l’autre. Romanek filme de manière palpable ce mal-être, ce malaise qui envahit peu à peu le héros et qui trouve reflet dans les décors. Entre trouble et pulsion scopique, folie douce et morne répétition, on suit avec un intérêt grandissant la chute annoncée de Sy, dont le parcours se rapproche de celui de Michaël Douglas, cadre sup qui pétait magistralement un plomb dans Chute libre. Entrecoupé d’images pointues dédiées au sombre mécanisme du développement photo, où le sang et la violence des adjuvants chimiques semblent nécessaires pour que surgisse la lumière, Photo obsession se transforme en une course haletante et angoissée à la vengeance. Vengeance de Sy contre le système social qui l’exclut, contre l’Idéal qui le rejette, contre la vie tout court, qui ne veut pas de lui. Une trajectoire en forme d’ellipse - bien servie par un final déroutant, presque moralisateur, qui évite tous les « clichés » attendus - et qui surprend par la déstabilisation qu’elle induit.

Un thriller psychologique pur et carré à la fois où Robin Williams, d’une justesse et d’une sobriété effrayantes, fait une de ses meilleures compositions de sa carrière. Il campe un technicien autiste (et inversement) incapable de vivre le bonheur à son échelle et qui ne tire jouissance que du partage de l’espace de vie d’autrui. Mais, art de la médiation par définition, il est somme toute logique que la photographie, cette mise en abyme de l’image de soi, se retourne tôt ou tard contre l’apprenti sorcier qui la subvertit en utilisant son savoir-faire technique au service de son plaisir égoïste. Et qui compte l’utiliser comme l’arme ultime pour rendre son dû à chacun, preuve que l’image - manipulée à dessein - interfère bel et bien avec la réalité....

 

Un art de la révélation perverti

 

Paradoxalement, l’errance psychologique de Sy, aussi laid que solitaire, va l’amener à outrepasser les limites relationnelles derrière lesquelles il a coutume de s’effacer, se protéger. Châtié par cela même qui nourrissait hier encore ses aspirations, le développeur, qui perd son innocence (le peu qui lui restait) dans l’affaire, est rendu à lui-même, révélé à son identité (ou à sa non identité, comme on voudra) à l’instar de l’image photographique dont l’impression va croissant au fur et à mesure qu’elle est « révélée » par les agents chimiques qui entrent en cause dans le processus de coloration de la pellicule et du tirage qui en est fait. Sans doute n’est-ce pas un des moindres mérites du film que de montrer la faiblesse de tout deus ex machina dans cette opération quasi démiurgique consistant à rendre aux clients les clichés extraits de la pellicule qu’il a remise à la boutique... une heure plus tôt.

 

Un film a voir donc - pour info : Prix Première, Prix Journal du Dimanche du public et Prix du jury Festival de Deauville 2002 - pour l’esthétisation de sa mise en scène, les points de vue virevoltants dont il regorge et un dénouement qui parvient à surprendre, quand bien même on n’est pas forcé d’adhérer à la lourde explication psychanalytique (enracinée dans le rapport au père) expliquant l’actuel état d’âme du héros. On regrette d’habitude que ce genre de production indépendante soit mal mise en valeur par les éditeurs, avec des bonus affligeants. Or, sous cet angle également force est de reconnaître que Pathé Fox Europa surprend avec l’un des bonus offerts : moins Anatomie d’une scène. (27 mn) voué au travail du réalisateur, que Le Show de Charlie Rose, interview déjantée au possible de la star hollywoodienne où Robin Williams témoigne, si besoin était, de son incroyable sens de l’improvisation foutraque et du délire - on en pleure de rire et c’est génial, même si l’on n’apprend rien de plus sur le film.

   
 

frederic grolleau
 

Photo obsession (One hour photo)

Réalisateur : Mark Romanek

Avec : Robin Williams, Connie Nielsen, Michael Vartan, Gary Cole, Dylan Smith, Eriq LaSalle

Edition 1 DVD - Format cinémascope 2.35 16/9 compatible 4/3

Chapitré Audio français, Dolby Digital 5.1

Sous-titres français anglais

• Date de parution : 19 mars 2003

• Éditeur : Fox Pathé Europa

 

 
     

 
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