Après quoi court-on à trente ans ? Nicolas Rey essaie de répondre, Frédéric et Isabelle donnent leur avis...
Après quoi est-on censé (encore ? enfin ?) courir lorsqu’on a 30 ans ? Les quelques héros paumés qui traversent ce court recueil de nouvelles livrent une manière de réponse qui ne déclenchera guère d’enthousiasme sportif. Comme tous les autres, Franck, Vincent, Jean, Marc et Louis - usés par la vie, ils finiront tous dans une même clinique avant un faux happy end - sont en quête de l’étincelle première d’où faire jaillir à nouveau la flamme passionnelle, l’embrasement existentiel. Mais l’on connaît le proverbe, qui trop embras(s)e mal ét(r)eint, et voilà nos pauvres bonshommes déçus, trompés trahis... souvent par eux-mêmes.
Qu’ils attendent en vain une maîtresse, croisent une ex flanquée d’une poussette, se décident à quitter femme et enfants, se montrent jaloux de la femme délaissée ou peinent à éduquer la chair de leur chair, les "ils" qui jalonnent ces pages se font ainsi l’écho des sensations, inédites et donc voluptueuses, procurées par le rapprochement soudain de l’autre. Nous renvoient au fragile moment de l’origine, où se cristallisent les prémices de l’amour, avant qu’il ne se mue en un désespérant quotidien. Il ne saurait, visiblement y avoir de la passion dans la répétition.
Mis en scène par une écriture qui va à l’essentiel, dépouillée des oripeaux du style superfétatoire, ces textes constituent une séduisante poétique de la désillusion urbaine - où l’on ne regrette que la confusion entretenue par l’auteur entre "on", "nous", "je" et l’usage récurrent d’une tournure impersonnelle qui fait grincer les dents (Franck parlant de lui : on aime son visage au point que se faire une idée de son corps ne nous intéresse pas vraiment). Ainsi, bien qu’alimentée comme il se doit par le Modern love de Bowie, le It was a very good year de Sinatra, le Sign of the times de Prince et hantée par les romantiques fantômes en diable que sont Reggiani, Brel, Barry White et Barbara, cette balade-déséducation sentimentale sonne davantage comme un chant funèbre que comme un hymne à la joie de vivre du trentenaire. A mi-chemin des oeuvres de Vincent Delerm et d’Olivier Adam, Courir à trente ans pourrait aussi s’appeler "Mourir à trente ans" ; heureusement, il y a les cocktails qui réconfortent, avant l’ivresse de la nuit, et la beauté de Paris, avant la pluie de l’oubli.
Frédéric Grolleau
Entre hommes et femmes, garçons et filles, c’est toujours les mêmes histoires qui s’écrivent : amour - voire passion - rires, enfants parfois, larmes, puis trahisons, déceptions, désamour jusqu’à la haine... souvent on jette le tout pour recommencer ailleurs. Et ainsi de suite. Nicolas Rey a pris pour matière première cette affligeante uniformité de l’échec sentimental qui, malgré les accidents heureux survenant de temps à autre en amour, perdure. Une matière qu’il a transformée en un texte hésitant entre le roman et le recueil de nouvelles, où la posture du narrateur fluctue sans cesse derrière des "je", "tu", "nous" "vous"... si confusément qu’à force de s’y perdre, on a envie de lâcher l’affaire au bout de quelques pages. D’autant que l’écriture, elle aussi, y va de son potentiel dissuasif : en enchaînant sur longue distance infinitifs isolés, phrases elliptiques, impératives ou infinitives, elle prend un rythme taxinomique des plus lassants. L’ennui ne tarde pas à sourdre - avant de se muer en exaspération.
Mais ça et là jaillissent de brillantes associations qui rendent compte, avec l’acuité d’un éclair zébrant un ciel morne, des misères du cœur et de la vie : [...] il y a le coin fumeurs. Un coin provisoire. Le coin des cœurs en vrac, des célibataires, des ratés, des cancers en perspective, des camarades. Éclairs trop rares hélas ! Reste que l’on poursuit malgré tout sa lecture, poussé par la curiosité de savoir où l’auteur veut en venir. L’on découvre ainsi que ce narrateur rendu insaisissable par les changements de pronoms est en fait une même entité qui adopte divers points de vue au cours du texte, puis que les chapitres, disparates à première vue si l’on ne prend garde aux infimes indices tissant un fil conducteur, convergent d’un même mouvement vers les deux derniers. Là gisent les clefs du texte...
Pour les atteindre, il faut consentir à cet effort que demande l’écriture ; or rien n’est moins évident. L’auteur aurait en effet pu tout aussi bien rédiger une liste, son texte n’a pas plus d’âme que cela. Et sans doute la vie, au fond, quels que soient ses abîmes ou ses sommets, ses rencontres, ses drames ou ses joies, peut-elle se ramener à cela : une liste. De noms, de prénoms, de gestes, de menus événements... tout un ensemble de choses qui sitôt vécues passent. Et valent à peine les mots que l’on pourrait inventer pour les dire - ou bien le livre qui se pourrait écrire. Celui de Nicolas Rey est d’un pessimisme profond ; d’abord parce qu’il est saturé des échecs successifs des personnages, mais surtout parce qu’il est écrit de telle sorte qu’il donne l’impression de tourner à vide, de n’offrir aucune prise solide à la lecture. Courir à trente ans a des mines d’exercice de style, et semble se borner à cela.
Courir à trente ans comme à quarante ou cinquante, courir comme ceux qui nourrissent encore l’illusion imbécile que les choses, la lumière sont possibles ; courir comme l’on tourne en rond dans sa propre vie... voilà ce qui se dégage de ce livre. Mais la voie choisie par l’auteur pour exprimer cette inanité fondamentale de quelques existences, bien qu’on puisse lui trouver des justifications, n’est guère enthousiasmante. L’on s’ennuie ferme à tourner ces pages et l’on ne garde à la fin qu’un triste "à quoi bon ?" aux lèvres...
Isabelle Roche
Nicolas Rey, Courir à trente ans, Le Diable Vauvert, 2004, 168 p. - 17,00 €. | ||
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