On aurait aimé que ces beaux personnages bien campés agissent avec autant de sens (pas forcément bon d’ailleurs) qu’ils prennent la lumière.
L’histoire
Caty a 27 ans et travaille depuis quelques années comme caméra(wo)man pour le journal télévisé. Elle rencontre une bande de quatre malfrats (Jean, Freddy, Loulou et Mouss) ayant besoin de filmer leur prochain braquage. Après avoir accepté leur proposition et découvert la vie de ces charismatiques gangsters, Caty, qui rêve de la belle vie, devient leur complice. Elle accepte de participer à un gros coup très risqué avec la bande : l’attaque d’un dépôt de transfert où sont garés des fourgons blindés remplis d’argent...
Noir c’est noir
Loin de L’Auberge espagnole, Cédric Klapisch qui se risque ici sur les terres très codifiées du film noir n’a pas été récompensé de ses efforts par le public lors de la sortie de ce film dans les salles. La parution en dvd de Ni pour ni contre permet pourtant de bien mesurer la dette du réalisateur envers les films de genre des années 50 et de rendre justice à son travail. Une oeuvre dont le format convient parfaitement aux conditions du home cinéma et qui joue d’un bout à l’autre de l’humour et d’une tension dramatique qui va croissant jusqu’au final. On notera en particulier la qualité de la documentation sur laquelle s’est appuyée Klapisch, qui a eu recours à l’aide d’un policier de la brigade de répression du grand banditisme et qui, du côté obscur de la force, a pu recueillir les observations du célèbre braqueur Frank Henry.
Abandonnées donc les comédies romantiques d’antan puisque Ni pour ni contre s’inscrit dans la veine des grands films de gangsters où policiers et malfrats sont engagés dans une lutte contre la mort pour blouzer le concurrent. La bande de Jean présente donc un archétype des grandes figures de voyous : un chef de bande qui aime les shoes, un chorégraphe raté meneur de revues pour call-girls, un jeune chien fou et un vendeur de kebabs père de famille. Ils multiplient les braquages à tour de bras mais verront leur virile entente et le sens même de leur vie changer lorsqu’ils intégreront dans leur fine équipe une « pure » jeune femme vivant en solitaire dans son studio parisien et qui va tout envoyer promener derrière les moulins par goût du luxe, du pognon facile et du trip « j’suis une braqueuse aussi ! ». Le meilleur moment du film repose dans cette explosive intégration d’une femme qui en a (de l’innocence et du cran) au sein d’une bande de caïds qui rêvent de mener la vie de pacha.
Melville, Huston, Scorsese : where are you ?
Qu’un réalisateur se remette en question et décide s’investir dans un type de représentation qui lui convient mieux et permet de casser une image déjà bien établie auprès de ses fans est tout à son honneur. Cela ne suffit pas malheureusement à justifier tous les partis pris et toutes les carences qui jalonnent Ni pour ni contre. Bien au contraire ! Car on attend d’autant plus Klapisch au tournant qu’il convoque une référenciation d’élite pour le cinéphile. Et sur ce plan, force est de constater que le scénario de départ ne tient pas la promesse de la maîtrise esthétique et de la mise en scène de l’ensemble. Il faut dire qu’en raison de nombreuses ellipses avouées, il reste encore bien des zones d’ombre dans cette trame, malgré la lumière d’un Bruno Delbonnel qui a réalisé la photo du Fabuleux destin d’Amélie Poulain (une bonne note au passage pour l’image 16/9 2.35 bien définie et pour la colorimétrie sans faille du master).
Il n’est pas exclu que cela soit dû en bonne partie au déplacement qu’a subi la notion de gangster elle-même au fil du temps. Toujours est-il que la grande vie de ces voyous autour des Champs-Elysées et non plus dans les bas-fonds habituels du Paris populaire ou de la banlieue ne facilite pas la prise de repères. Le cocktail mêle donc boîtes de nuit, vols à main armée, call-girls, hôtels de luxe, putes et vodka Absolut, mais on n’est plus dans le Pigalle des années 50.
La négation de la liberté d’indifférence
Créature ermite/angélique propulsée « de son plein gré à son insu » dans un univers de gangsters diaboliques en rupture avec la société, Caty incarne celle qui sait mettre un terme aux tergiversations infinies de la liberté de choix et opter résolument pour l’un des deux chemins à suivre : « A cet instant précis, deux routes s’ouvraient devant moi : une bonne et une mauvaise. J’ai pensé que la mauvaise était la meilleure à suivre. » Parfaite illustration de ce que le libre arbitre est capable de nous amener à choisir le mal pour le mal, non pas par ignorance du bien mais par pure délibération volontaire.
Davantage que les zonards criminels qui l’encadrent, elle est la vraie puissance du mal, la volonté qui dit non à la morale, la volonté qui choisit le néant éthique afin de se réaliser égoïstement. C’est cela « ni pour ni contre ». Par ce jeu sur les apparences (le méchant n’est pas celui que l’on croit, le gentil non plus), Klapisch se situe dignement dans les films de casses qui finissent mal. Il arpente non sans efficacité l’étroite limite entre bien et mal, entre la comédie et le polar, taillant au scalpel l’irrévocable perversion d’une âme tentée par l’argent et la violence - sans que l’on ne sache jamais au juste lequel des deux le fascine le plus. Une ambiguïté que sert parfaitement la bande son, compatible avec un maximum d’installations sonores (simple piste basique DD 2.0, piste DD 5.1 et une somptueuse piste DTS 5.1 pour ceux qui disposent d’un matériel de pointe) et où la musique, notamment la fracassante partition musicale de Loik Dury, joue un rôle crucial.
Dans l’ombre de Miss Magot
Reste que l’on ne sait pas au juste pourquoi Jean recrute Caty : à quoi bon et pour qui filmer le premier hold-up ? Qu’y a-t-il dans la malle qui terrifie la jeune fille lorsqu’elle accepte de traîner avec cette bande mal famée ? Sur quoi s’ancre son revirement final qui confine à la trahison suprême ? On n’en saura pas plus ici et c’est fort regrettable parce que cette mise en suspens nuit à tout le suspense ! Que l’amitié unissant les hommes du clan ne tienne pas le coup face à la séduction de choc de Caty, « qui en veut », on le comprend fort bien, tout comme on apprécie à sa juste mesure le parallèle entre les armes viriles et la caméra tenue par une main féminine : sous adrénaline, un flingue ça se charge comme un gun, of course ! Quoique c’est surtout dans ses appâts charnels de séductrice invétérée que Caty devra puiser pour toucher sa part du gros lot... et plus si affinités !
Mais Klapisch est moins convaincant dès qu’il donne dans le sous-Tarantino et tant de violence esthétisée à l’extrême, sans tomber pour autant dans l’apologie du mal ou du vol c’est entendu, et déboucher en définitive sur une fin qui ne finit pas vraiment, agace un peu. Beaucoup. Passionnément. Car le scénario lui-même n’est guère abouti passé la première demi-heure ; c’est une évidence, et l’on aurait aimé que ces beaux personnages bien campés agissent avec autant de sens (pas forcément bon d’ailleurs) qu’ils prennent la lumière. A aucun moment Caty ne connaît le sens réel de sa présence dans la bande et nous non plus : c’est plus grave que de ne pas connaître la blague sur Barry White que ne parvient pas à finir Jean...
Affranchis nous ne serons pas !
Quant au message patent : la société pousse ceux qui sont dans le besoin à braquer par révolte contre elle, mais nul n’est méchant volontairement, il paraît aussi limité que la psychologie de la brochette d’andouilles ex-taulards à biscottos et blousons de cuir que l’on nous dépeint ici. A moins qu’il ne faille voir dans tout cela qu’une pénible illustration de la difficulté à sortir de la médiocrité pour s’inventer « la belle vie » dont on rêve tous ?
Côté bonus
Ce qui laisserait une impression mitigée au cinéma est donc sauvé par les impressionnants bonus, qui prennent le dvdvore au sérieux : belle présentation, couleurs toniques pour un opus noir, livret sympa sur toute la filmographie de Klapisch en photos et annotations et surtout, un making of de vingt-quatre minutes, six scènes coupées commentées en long, en large et presque en travers par Cédric Klapisch. Très efficace côté esthétique, une fois de plus, mais là on ne s’en plaint pas !
frederic grolleau Ni pour ni contre (bien au contraire) Réalisateur : Cédric Klapisch Avec : Marie Gillain, Vincent Elbaz, Zinedine Soualem, Dimitri Storoge, Simon Abkarian, Natacha Lindinger o Date de parution : 3 septembre 2003 o Éditeur : G.C.T.H.V. Collector 2 dvd Présentation : Snap Case Durée : 1h 51mn Format image : Cinémascope - 2.35:1 Zone : Zone 2 Langues et formats sonores : Français (DTS), Français (Dolby Digital 5.1), Français (Dolby Digital 2.0 Surround) Sous-titres : Anglais Bonus : Making Of (25 min.) Six scènes coupées Filmographies Galerie photos Bandes annonces Deux teasers, un spot TV et la bande annonce tournée pour le cinéma. Site officiel http://www.bacfilms.com/nipournicontre/
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