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Mr et Mme Smith. Joies matrimoniales

Publié le 15 Juillet 2012, 17:40pm

Catégories : #Philo & Cinéma

La rupture officielle du contrat de mariage pour vice de forme ouvre à un couple l’infini pervers des possibles.

 

L’histoire
Mariés depuis trois ans, Ann (Carole Lombard) et David (Robert Montgomery) Smith constituent un couple amoureux et uni. Une harmonie idéale que vient ternir un agent de l’administration, monsieur Deever, qui prévient David que son acte de mariage n’est pas valide suite à quelque méandre fluvial de la légalité. Alors même qu’ils se taquinaient la veille sur la qualité de leur engagement mutuel, les époux Smith deviennent célibataires devant la loi, chacun s’engouffrant, pour le meilleur et pour le rire, dans cet abîme de liberté retrouvée. Une situation, qui engendre conflit, rupture et bientôt stratégie de reconquête effrénée afin de séduire à nouveau l’autre...

 

Who’s guilty ?
A dire le vrai, séduit par le nom d’Alfred Hitchcock, on se précipité sur ce film comme une sorte de pépite. L’idée que l’on a derrière la tête est assez facile à résumer au demeurant : que peut bien venir faire dans cette galère humoristique celui qu’on a surnommé, « le maître du suspens » ? Réalisée en 1941 - entre Rebecca et Soupçons s’il vous plaît ! - cette comédie américaine mérite le détour puisque, en un certain sens, on y voit tout sauf du Hitchcock ! C’est-à-dire que, fidèle à son habitude, on y aperçoit bien Hitchcock croiser à la quarante-cinquième minute David Smith au pied de son immeuble, mais que le style habituel du réalisateur des Oiseaux ou de Psychose est radicalement absent ici. Point de suspense donc. Point de construction psychologique chantournée afin de confondre le coupable non plus.

 

 

Et pourtant. Le coupable, il doit bien y en avoir un. Voire deux. Car ce que révèle Mr & Mrs Smith c’est une pente propre à l’humaine nature, un travers que Sir Alfred n’a eu de cesse d’épingler dans toute son oeuvre magistrale et qui n’est pas sans évoquer au philosophe le mythe de l’anneau de Gygès rapporté par Platon dans sa République (II, 359b6-360b2). Gygès était un berger qui gardait son troupeau en pleine nature. Lors d’un orage, suivi d’un séisme, le sol se fendit et découvrit une caverne à l’endroit où il faisait paître ses moutons. Il y descendit et trouva un trésor, avec parmi d’autres merveilles, un anneau d’or sur le doigt d’un cadavre. Gygès s’en empara et sortit de la caverne. Or à l’assemblée des bergers, il se rendit compte par hasard qu’en tournant le chaton de la bague, il devenait invisible. En tournant encore le chaton il redevenait visible. Voyant le parti qu’il pourrait tirer d’en tel objet, Gygès se rend au palais où, écrit Platon, « il séduisit la reine, complota avec elle la mort du roi, le tua et obtint ainsi le pouvoir ».

 

 

La communauté de l’anneau : Gygès est parmi nous !
A l’instar du berger grec, Ann et David se rendent coupables d’une même transgression : la rupture officielle du contrat de mariage pour vice de forme leur ouvre l’infini pervers des possibles. Désormais il suffit que demain puisse ne plus ressembler à hier pour qu’ils éprouvent - au bout de trois ans de mariage seulement ! - le besoin de mener une vie de patachon. Confondre licence et liberté, telle est l’erreur fondamentale de celui qui se sent doté d’un pouvoir surhumain. Ce que pointe du doigt au travers d’une merveilleuse trame comique le réalisateur, c’est ce fantasme propre à l’être humain : ne plus se sentir lié par le sens de la loi, de la justice. A leur façon, dans une proportion moindre que Gygès (on n’est pas dans un film noir), Ann et David ne se lancent pas uniquement dans un jeu sentimental du chat et de la souris. Ils se plaisent à exercer - enfin - leur volonté de puissance. Mariés, comme tous les autres, pour les avantages que procure cette situation une fois légalisée : tranquillité, ordre social, ils sont prêts à s’en extraire dès que l’occasion leur en est donnée.

 

 

Façon de prouver que le mariage demeure une convention (qu’il n’a rien de naturel et s’assimile surtout à une contrainte), que les individus ne le recherchent pas seulement pour lui-même ? Que mari et femme, sitôt qu’ils peuvent désobéir impunément à la loi, le font ? Tout cela à la fois quand bien même le happy end soulignerait-il qu’il ne s’agit que d’un détour (une passade filmique ?) pour mieux retourner à l’ordre restauré. Quoi qu’il en soit, par cette question-fantasme gygèsienne là, que feriez-vous si vous aviez soudain les moyens de faire ce que vous ne pouviez pas faire jusqu’alors, changeriez-vous votre vie du tout au tout ? Mr & Mrs Smith s’impose comme une réflexion du Maître plus profonde qu’on ne le dit. Car tant d’optimisme façon « madcap comedy » ne noie pas le fond de la conception pessimiste de la nature humaine que met en scène Hitchcock, qui ne suit guère le scénario de Norman Krasna et dépasse le film de commande en nous exposant ainsi les aventures matrimoniales d’un couple devenu illégitime à cause d’une erreur de l’administration.

 

 

Une comédie enjouée et distrayante à conseiller donc, que servent une bonne qualité de l’image et une bande sonore mono en VO dans un état très correct. Ce qui n’est pas le cas malheureusement de la nouvelle version française disponible ici qui multiplie les rajouts artificiels en matière de bruitages alors que plus de sobriété conviendrait mieux au format d’origine, sinon à son esprit. Comme le veut la collection « Classic RKO », aucun chapitrage n’est proposé, seule la sélection audio constitue le menu du DVD. Aucun autre bonus n’est disponible que la présentation de Serge Bromberg, qui ne rajoute pas grand chose à l’oeuvre puisqu’il préfère nous parler des vaches de Carol Lombard plutôt que des moutons de Platon.

A noter pour finir qu’il n’y a aucun rapport autre que nominal entre ce film de Hitchcock et le thriller que cherche à faire aboutir, malgré les défections successives de Nicole Kidman et de Brad Pitt, Doug Liman pour les studios Regency Enterprises. Un Mr. and Mrs. Smith bis, décrit comme la rencontre entre La Guerre des Rose et True Lies, qui racontera l’histoire d’un homme et une femme, mariés depuis quelques années mais enfermés depuis dans une routine. Un couple qui retrouve la flamme perdue lorsque les deux époux découvrent qu’ils travaillent tous deux en tant qu’assassins professionnels sous couverture secrète et que leur prochaine mission est de se débarrasser... l’un de l’autre.

   
 

frederic grolleau

Mr et Mme Smith. Joies matrimoniales
Réalisateur : Alfred Hitchcock Avec : Carole Lombard, Robert Montgomery, Gene Raymond, Jack Carson, Philip Merivale

Date de parution : 16 septembre 2003 Éditeur : Éditions Montparnasse Présentation : Snap Case

Format image : Full Screen (Standard) - 1.33:1 Zone : zone 2 Langues et formats sonores : Français (Dolby Digital 2.0 Mono), Anglais (Dolby Digital 2.0 Mono) Sous-titres : Français

Bonus : la présentation de Serge Bromberg

Prix : 14, 50 euros

 

 
     

 
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