Ou quand le suspense rejoint le grand frisson, sans verser dans le gore superfétatoire.
Jeune auteur salué par la critique et plébiscité par le public avec L’âme du Mal, Maxime Chattam livre dans ce deuxième opus de sa trilogie un conseil sur lequel il est bon de revenir : selon lui le lecteur devrait attendre qu’il fasse nuit avant " d’allumer une simple lampe " et d’ouvrir la première page d’ In Tenebris. A n’en pas douter, une lecture nocturne de ce thriller dans de telles conditions doit secouer son homme, mais laissez-vous aller à une expérience d’un autre genre, si vous avez le cœur bien accroché : fidèle au précepte hitchcockien régissant La mort aux trousses, choisissez un endroit clair, écrasé par le soleil mais fréquenté par la foule (une plage l’été dans l’idéal), plongez dans In Tenebris et vous verrez l’effet est immédiat : aussitôt vous êtes accroché par le style Chattam, emporté dans les bas-fonds new-yorkais ou les montagnes enneigées américaines. Une terrible solitude vous cloue soudain au sol, envolée la plage, fini les vacanciers détendus autour de vous, vos bras se couvrent de chair de poule, vous êtes percuté de plein fouet par un roman maîtrisé que vous allez dévorer en un rien de temps, quitte à être submergé par les flots de la mer montante...
Maxime Chattam n’a rien à envier en effet aux auteurs anglo-saxons spécialisés dans le thriller et le traitement qu’il réserve aux tueurs en série qui hantent In Tenebris promet au lecteur de beaux moments de sueurs froides et de séquences musclées. Et le critique de louer les éditions de Poche qui permettent de découvrir un talent qu’on avait manqué lors de sa parution en grand format !
Parmi les dizaines de personnes disparaissant à New York dans des circonstances étranges chaque année et dont on ne trouve jamais trace, l’une refait surface, scalpée, violée, ayant subi les pires sévices de l’Enfer. Grâce à elle, Annabel O’Donnel, jeune détective métisse au 78e precinct de New-York (Brooklyn), remonte la piste d’une secte de tueurs vénérant le dieu Caliban et ayant à son actif l’enlèvement de plus de soixante personnes, hommes, femmes, enfants de toute origine et de tout âge. Aidée par le profileur et spécialiste ès disparitions suspectes Joshua Brolin, Annabel et ses collègues se lancent dans une course à la montre pour tenter de retrouver les disparus et les ramener au monde des vivants...
Sur fond d’atmosphère apocalyptique et enténébrée, Chattam délivre un fascinant portrait très dark spirit de l’âme humaine. Le carnage qu’il met en scène ici n’est jamais qu’un miroir de la démence des hommes acculés à l’aliénation par une société consumériste de plus en plus totalitaire, et les pages consacrées à cette analyse quasi sociologique dans le dernier tiers du livre renouvellent le genre en remettant en cause le concept même de " norme ". Si on ajoute à cela la mine de documentation, technique, scientifique et géographique (la palme pour cette revisitation monstrueuse de la mégalopole NY), dont use avec maestria Chattam, on ne peut que s’incliner devant le punch et l’efficacité de cet ouvrage dont on pourrait croire qu’il a été écrit (ce qui suit est un compliment) par un auteur américain himself. Plus d’une fois l’on songe, entre autres références, au climat du Silence des agneaux et de Seven.
Quand le suspense rejoint ainsi le grand frisson, sans verser dans le gore superfétatoire façon Hannibal, il ne reste plus qu’à trouver la plage ad hoc et à entrer à son tour dans la valse des damnés. Alors vient vous narguer, au tréfonds de vos cauchemars, l’incantation des serial killers :
Caliban Dominus noster
In nobis vita
Quia caro in tenebris lucet
(Caliban est notre Seigneur, en nous est la vie car la chair luit dans les ténèbres.)
frederic grolleau Maxime Chattam, In Tenebris, Pocket, 2004, 610 p. - 7,80 €. Première édition : Michel Lafon, 2003.
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