Il est des auteurs qui ne sont pas ce qu’ils écrivent. Tant pis pour ceux qui y croyaient.
Et Dantec s’en est allé...
Il fut un temps où Maurice G. Dantec faisait vaciller les fondations du Grand Littéraire en osant produire des textes denses où une nouvelle science-fiction venait fricoter avec les arcanes du polar en faisant la nique à la geste philosophique des siècles précédents. Babylon babies moquait ainsi ouvertement les habituelles taxinomies hiératiques et the big Dantec, avec un Journal épatant, s’ouvrait sans coup férir, voie royale qui mène à l’inconscient narcissique, les portes pourtant réputées hermétiques sinon élitistes de la Blanche chez Gallimard.
Et puis il y eut l’abscons Villa vortex ; et puis il y eut le départ de l’auteur pour Albin Michel ou, après un Cosmos incorporated inégal, naissait ce troublant Artefact en l’été 2007. Prosaïques, nous rêvions à de nouvelles Racines du mal. Mais messire Dantec point ne se répète. Autant dire que ces trois récits enchâssés dans la matière première de la folie généralisée et d’une "société-monde" en pleine déliquescence ne sont pas d’un abord facile et que plus d’un lecteur sera dérouté.
Nous le fûmes pour notre part, notamment eu égard au parti pris assez dérangeant des deux derniers récits, la première fiction du texte ("Vers le Nord du ciel") étant consacrée à une revisite plutôt réjouissante de l’attentat du World Trade Center de septembre 2001. Ainsi, après un premier texte transhistorique et métahumain tout feu tout flammes où Dantec excelle à brouiller les pistes angéliques façon K-pax et K. Dick mêlés, on est assez décontenancé lorsque l’auteur projette dans la confuse mise en abyme induite par le deuxième récit "Artefact", lequel plonge dans une perplexe confrontation entre un homme et une machine à écrire !
On est alors bien loin de la collusion précédente entre la Beauté et la Grâce, l’aride convocation d’une métaphysique à la Duns Scott ou à la saint Thomas d’Aquin entrant bientot en précipitation avec une théorie de termes empruntés à un sabir cyberpunk qui laisse de marbre. Cette structure réticulaire de la fiction interrogeant la fiction, l’écriture elle-même étant le protagoniste de l’histoire, rappelle quelques pages spécieuses de Villa vortex et on y perd le peu de latin exégétique que l’on pourrait posséder. Ce chassé-croisé assumé entre théologie (statut démiurgique du créateur faisant sens par les mots) et fiction assombrit davantage la pente ontologique de tout un chacun plus qu’il ne l’éclaire ; ce qui est certes une façon soutenue pour dire qu’on n’y comprend pas grand-chose en définitive.
Malgré la meilleure volonté, l’on capitule devant cette rencontre du 300 000e type entre code ADN, métacortex et Trinité divine ô combien hypostatique ! Le pire doit bien être passé susurre-t-on et lorsqu’on aborde, le cœur vaillant, la troisième fiction, "Le Monde de ce Prince" ; on se dit volontiers que ce ne sont pas les horreurs à la www.welcometohell.world ici disséminées qui vont faire trésaillir/vomir. Même si un meurtrier se défoule sans compter céans pour assurer l’intérim du Grand Méchant parti en vacance(s). De facto, on a déjà lu des romans aussi engoncés dans la terreur qu’ils entendaient dénoncer en l’exposant, quelque part entre American psycho, Funny games et Les prédateurs d’un Chattam par exemple. Bref, c’est bien le Diable qui œuvre ici sous la plume de notre diablotin de Dantec, sorte de psychopathe égaré dans la jungle urbaine québécoise et qui multiplie les trouvailles - le romancier aussi il faut le reconnaître - pour inventer les tortures infinies auxquels il soumet ces criminels que sont à ses yeux un politicien pro-islamiste, les membres d’une secte, la femme complice d’un pédophile, des néo-nazis, un acteur pervers, une juge sans âme... etc.
Et nous voici confrontés au Mal suprême ramené à une logique humaine trop humaine, soit cette mécanique/technique qui piège sans cesse le réel où nous nous dissolvons avec complaisance. Quoi qu’il en soit, le retour tardif de l’ange rédempteur in fine ne parvient guère à faire prendre la sauce. Encore la démonstration est-elle trop sadique à notre goût, qui voudrait proposer l’Homme au centre du dispositif narratif, écartelé entre un au-delà de son essence putative (la figure de l’ange) et son en-deça (le spectre du diable).
Sans doute ce faux centre n’est-il nulle part, et nous aurions donc bien aimé, comme cela était prévu, nous en ouvrir à l’auteur, qui devrait initialement répondre à nos (pertinentes, n’en doutons pas) questions devant les caméras du Litteraire TV le 19 septembre dans les locaux d’Albin Michel. Las, tandis que nous nous sommes acquittés de notre part du marché en nous enquillant allègrement les 566 pages en quatre jours de ce joyeux pavé luciférien, le romancier a annulé l’entretien deux heures avant le créneau horaire prévu. Qu’on ne nous en veuille donc pas d’en inférer que la crédibilité de la Littérature-Monde chère à l’auteur n’en ressort pas grandie - à moins of course qu’il faille voir là un des incontrôlables effets de miroir de ces "machines à écrire" textuelles qui s’affirment comme le sous-titre du livre. Lorsque l’Oracle Dantec s’en va seul sur de grands chemins quasi astraux, nul ne peut le rattrapper sur cette voie sanglante d’une Weltanschauung hype. Dont acte.
À tout prendre nous aurions préféré une fin plus heureuse à ce travail écriture/lecture mais nous en retirons, pour notre humble gouverne, qu’il est des auteurs qui ne sont pas ce qu’ils écrivent. Tant pis pour ceux qui y croyaient. Où est l’artefact, qui est l’artefact ici ? Nous laisserons à chacun le soin de répondre...
frederic grolleau
Maurice G. Dantec, Artefact : Machines à écrire 1.0, Albin Michel, 2007, 566 p. - 23,00 €. | ||
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