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Matrix, machine philosophique

Publié le 15 Juillet 2012, 13:03pm

Catégories : #ESSAIS

Un ouvrage à lire qui peut aussi bien déciller le regard qu’aveugler le profane à coup de concepts imposés.

 


Daubix editorial ?

 


"Le monde n’est pas vrai, mais il cherche, grâce à l’homme et à la vérité, à rejoindre son foyer."
Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie.

 


L
e mot est sur toutes les bouches. Matrix, la trilogie Matrix, c’est la révolution spirituelle en marche sur fond de digits tout en coulées verdâtres. En 3 films tonitruants et percutants, ultra-référencés (de Platon à Baudrillard, en passant par Descartes...) et à la technomystique de bon aloi, les frères Wachowski ont semble-t-il créé un mythe dédié à l’abyssale question : "Comment savoir si la réalité n’est pas une vaste illusion ?" Grand bien leur fasse. Il ne s’agit pas tant pour nous de revenir ci sur le bien-fondé ou non de cette oeuvre cinématographique (dont nous sommes résolument fans à tout prendre) que de mesurer ce qu’il en est d’un livre qui prétend donner des clefs philosophiques quant à la valeur conceptuelle même des deux premiers volets (l’ouvrage Matrix, machine philosophique ayant paru juste avant que ne sorte en France sur les écrans le 3e épisode de la saga cinématographique).

 

De ce point de vue, ce Matrix livresque, manière de "philosophie-fiction" entre science-fiction et philosophie qui introduit le kung-fu dans la Caverne de Platon, est plus un échec qu’une réussite. Soulignons pourtant, à leur décharge, que les divers articles de Elie During et Patrice Maniglier sauvent l’ouvrage en question, et constituent un motif valable d’y mettre le nez, tant ils tentent et proposent des pistes interprétatives pour pénétrer au coeur du système Matrix, "construction symbolique qui rend équivalents foule de codes culturels" et renvoie à la fois à des codes religieux (le bouddhisme, le taoïsme, la gnose face à des des figures judéo-chrétiennes reconnues tel le Messie), politiques (les totalitarismes...), métaphysiques ou philosophiques (la virtualité, la liberté, la réalité), culturels (la fable, le roman, la philosophie : Nietzsche, Platon, Spinoza, Baudrillard), et contre-culturels (science-fiction, kung-fu...)

 

On n’en dira pas autant des articles lamentables, pour ne pas dire scandaleux, de Jean-Pierre Zarader (pourtant directeur de cette collection philosophique chez Ellipses, un comble !) et d’Alain Badiou, qui vient ici se compromettre en délivrant pour toute participation à cet effort de guerre philomatricien un reste d’allocution pseudo ésotérique (" Dialectiques de la fable ") qui surprend par son aspect formel inchoatif et sa fébrilité. Même logique du survol complaisant et de la paillette fast think dans " Eloge de la contingence" où Zarader offre l’exemple parfait de la mauvaise copie de dissertation confondant argumentation philosophique et conviction personnelle. Deux bourdes aussi monumentales, deux articles aussi vite expédiés pour les besoins de la cause éditoriale , et qui ne sont pas sans contredire certains acquis des autres articles concomitants, qui montrent combien Matrix, avec ses multiples ramifications dans les jeux vidéos, le DVD et Internet, est un sujet sur lequel il fait bon surfer, qu’on soit philosophe, qu’on croit l’être ou qu’on se prétende tel. C’est bien le moins direz-vous à propos d’un œuvre filmée qui interroge l’image comme le lieu du simulacre suprême et du déni par définition de toute réalité...

 

Il est vrai qu’au regard d’une première ligne de quatrième de couverture qui demande si " la trilogie Matrix est [...] autre chose qu’une formidable machine commerciale ? ", tant de précipitation et d’âneries mêlées fait un peu désordre. Mais chacun s’invente la conscience professionnelle - pour ne pas dire la conscience tout court - qu’il veut bien. Nulle urgence donc pour le néophyte ou l’amateur curieux de Matrix, ce " film d’action intellectuel " selon ses réalisateurs, à se précipiter sur l’ensemble des articles des six philosophes ici réunis ; en revanche chacun lira avec profit : " La matrice à philosophies " ; " Les dieux sont dans la matrice ", " Trois figures de la simulation " de Elie During, de loin les meilleures contributions de cet ouvrage abordant les thèmes aussi variés que le réel et le virtuel, la liberté humaine et les raisons du choix, la cohabitation de l’homme et des machines, le statut des lois de la nature, la puissance de l’amour, le syncrétisme religieux drainés par le phénomène Matrix.

 

Malgré l’ineptie de telle ou telle contribution qui entoure les interventions de E. During et tend à transformer ce Matrix, machine philosophique en "Daubix éditorial", le présent essai a le mérite de proposer un glossaire des principaux symboles, concepts et personnages (Agent Smith, Architecte, Baudrillard, Bullet-Time, Croyances, Cypher, Guerre hommes-machines, Maître des clés, Mérovingien, Rêve, Téléphones, Terroristes, etc.) dont il serait malhonnête de ne pas souligner l’efficacité et la pertinence. Bref, un ouvrage à lire avec précautions puisqu’il peut aussi bien déciller le regard qu’aveugler le profane à coup de concepts imposés.

 


Frédéric Grolleau

   
 

Alain Badiou, Thomas Benatouil, Elie During, Patrice Maniglier, David Rabouin, Jean-Piere Zarader, Matrix, machine philosophique, Ellipses, 2003, 192 p.- 12,00 €.

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