Délire cryptogothique garanti dans un monde où le merveilleux est contaminé par l’étrangeté.
Cela commence comme une autobiographie trash avouée, celle de B.E.E lui-même, empêtré dans son statut d’écrivain star shooté en permanence, en proie aux soirées délétères d’une société riche à gogo et où seules diverses drogues irradient encore les morts-vivants catatoniques qui s’agitent sur les hauteurs de Los Angeles.
Comme d’habitude, depuis Moins que Zéro en passant par Zombies, Glamorama et American psycho, le romancier en fait des tonnes, usant et abusant ici du prisme de la mise en abyme. Puis cela bifurque, au-delà du glamour futile et de l’autoficition hystérique, vers une ambiance beaucoup plus kingienne : père de famille dépassé par la gestion de ses enfants et sa relation de couple, chargé d’un atelier d’écriture à l’université où il assouvit surtout sa soif de conquête féminine, Bret Easton Ellis n’est plus que l’ombre de lui-même. Autant dire l’ombre d’une ombre.
Car bientôt se multiplient des évènements inquiétant, entre vodka et médicaments, qui parasitent de façon invasive et prophylactique la normalité ambiante : le père décédé de l’auteur semble s’inviter en special ghost star en la maison familiale du Midland, des enfants de riches disparaissent partout à l’entour, le redoutable tuuer psychopathe d’American psycho, Patrick Bateman, se manifeste en créature maléfique face à son démiurge défoncé jour et nuit et, comble d’une folie aussi échévelée qu’horrifique, les murs de la maison pèlent comme rongés par une lèpre destructrice, la peluche de la petite fille du narrateur, le Terby, se mue régulièrement en un monstre assoiffé de sang. Délire cryptogothique garanti dans un monde où le merveilleux apparent est toujours contaminé par une inquiétante étrangeté latente.
Expert en nolonté réufgié dans ses paradis artificiels, Ellis oscille entre vodka et cocaïne, campant l’akrasique parfait, qui ne fait jamais ce qu’il lui faudrait pourtant faire, ce qui génère le chaos dans sa vie. Difficile de décréter dans la foulée si les évènements surnaturels qui surviennent sont objectifs ou issus de la seule imagination mise à mal par les addicitions du héros....
Voilà où le lecteur achoppe : autant le fond indifférencié d’une société de surconsommation où les protagonistes croulent sous les produits de luxe (bonjour le name-dropping !) nous renvoie aux froides tropes ellisiennes coutumières (avec de nombreuses autoréférences aux romans de B.E.E, tant qu’à faire !), autant le téléscopage entre le réel et la fiction, entre l’autobiographique et le fantastique laisse sur sa faim. La complainte tragique du roman, lequel hésite trop entre plusieurs genres enchevêtrés, perd alors de sa justesse. Certes il y a bien, en écho au titre, une sorte de « paysage lunaire » qui soudain obscurcit l’horizon sémantique d’un monde déjà vide où règne l’incommunicable mais... l’on reste sceptique. Comme si l’examen (skepsis en grec) radiographique des frasques de Ellis qui précède sur plus de 450 pages manquait lui-même de vérité en définitive, trop contourné pour être « littérairement » honnête. Pour trop prêter aux riches desoeuvrés Lunar park ne donne plus rien.
Seuls les passages dédiés à la peluche mutante parviennent à tirer le lecteur de la torpeur générale qui émane du livre à partir de la moitié des pages parcourue. Aussi, à moins de voir dans cet opus une confession de la relation compliquée entre l’auteur et son père (mais une telle sincérité peut-elle se nicher sous cet amas de fictions ?), se bornera-t-on à observer que Lunar park ne digère pas complètement la fausse réalité dont il se nourrit - à quand donc une autobiographie pure ?
Ce qui n’enlève rien à l’orginalité du tout.
frederic grolleau
Bret Easton Ellis, Lunar Park, 10/18, septembre 2010, 472 p.- 7,90 € |
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